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Faire la circulation et maintenir l'ordre n'est clairement pas un poste de tout repos, encore moins pour Arthur Delfouille, le maladroit agent 212. Les automobilistes sont agressifs et peu disciplinés, les pompiers prétentieux et condescendants, le commissaire colérique et injuste, le matériel souvent caduc, la météo parfois aride...
Malgré tout, les journées qu'il passe à patrouiller dans la rue en uniforme sont des promenades de santé en comparaison de la gestion de son agaçante belle-mère, toujours fourrée chez lui et qu'il lui faut traîner tel un boulet même lorsqu'il est en congé.
Avec un plaisir évident, Raoul Cauvin et Daniel Kox continuent, dans ce nouvel album, à mettre en scène leur personnage fétiche, le souvent ridicule mais néanmoins sympathique agent 212, dans cette série devenue classique. Une caricature des petites absurdités de la vie en société, dans la pure tradition franco-belge.
Bonjour Daniel, l’agent 212 nous revient bientôt dans un nouvel album. Est-ce qu’au bout de 29 albums on attend la parution de son bébé comme un jeune père dans une salle de maternité ?

Oui, ça à chaque fois, et peut-être même plus qu’avant, à part pour le premier album. On a toujours l’inquiétude de savoir comment ça va être reçu. On n’est jamais bien sûr.
Arthur, comme le précise le titre de l’album, est ici l’agent tous risques. Est-il vraiment la dernière chance au dernier moment ?
Je dirais, c’est surtout la pire des choses. Quoiqu’il fasse ça tourne toujours en catastrophe et dans le prochain album, il en prend énormément. Il n’en a jamais pris autant je crois. Il se ramasse sur plein de choses et on se demande comment il vit encore d’ailleurs.
Vous avez sans aucun doute pris un plaisir jubilatoire à dessiner cette histoire où Arthur sauve un petit chat. C’est un épisode particulièrement cartoonesque. Alors est-ce que Kox est plus Disney, Tex Avery, Hannah-Barbera, … ?
Bien que j’aime bien Disney, Tex Avery, c’est sûr, est une référence pour moi, un peu comme Gotlib en BD.
Comment définiriez-vous le caractère d’Arthur ?
C’est quelqu’un qui est gentil, un peu soupe au lait. En fait, c’est le Gaston Lagaffe de la police. Quoiqu’il fasse, ça tourne en catastrophe. Il n’a pas le caractère de Longtarin. L’agent 212 étant le personnage principal, on ne peut pas en faire quelqu’un de méchant. C’est le bon gros.
Est-ce que sa belle-mère est inspirée d’un personnage existant ?
Dieu merci, non. Ma belle-mère est charmante.
Le personnage est un peu l’image que l’on donne des belles mères. C’est la mère du mari qui est souvent la plus dure, parce qu’en fait, elle sait toujours tout mieux que la femme de son fils.
J’adore ce personnage, j’aime bien jouer avec ça. J’avais peur que les enfants ne comprennent pas, parce que belle-mère pour eux c’est parfois la seconde femme de leur père. Il n’en est rien. Quand je suis en dédicace, les enfants me demandent un dessin de la grand-mère. Ma foi, ça passe très bien. Le principal est que l’on comprenne le gag.
Louise, sa femme, a la tête sur les épaules. Est-ce que les épouses sont les garantes de l’équilibre d’un foyer ?
Oui. Elle n’avait pas le même rôle au début. Maintenant, elle maintient un équilibre dans ce trio. Et il a le chien aussi… Il est apparu en même temps que la belle-mère.
Le commissaire Raoul Lebrun est-il conçu comme un clown blanc face à l’Auguste Arthur ?
Oui, tout à fait. Dans l’album qui va sortir, les nerfs de ce pauvre commissaire sont mis à dure épreuve. J’aime bien quand la tension monte entre l’agent 212 et lui. Il dit souvent à l’agent qui a l’art de se mettre dans des situations rocambolesques qu’il finira dans un cirque. Il y a encore plein de situations à exploiter avec le commissaire, mais il faut les dessiner…
Parmi ses collègues de fourgonnette, il y a Albert. Est-ce qu’Arthur et Albert, c’est un peu Kox et Cauvin ?
Dans la complicité oui. Avec Cauvin on s’entend à merveille et on a une complicité qui dépasse le côté professionnel. Je n’avais jamais pensé à cette comparaison. Resta à savoir qui est Arthur... (rires) Je suis plus grand que Cauvin et il est plus gros que moi… Mais l’agent n’a pas le caractère de Raoul. Je crois que j’ai un peu le caractère de l’agent dans les colères. Je n’en ai pas beaucoup mais je peux être excessif comme ça. Quand je ris, je ris fort comme lui.
En général, les colères de l’agent sont toujours justifiées.
Oui. Il monte vite mais c’est justifié. Les rares fois où je me suis mis en colère dans ma vie ça l’était aussi.
Au fil des albums, la corpulence de l’agent 212 se modifie. Sa rondeur change de forme. Est-ce une évolution naturelle ?
Tout au début, les planches ne sont pas parues en album, il était maigre. Dans la première histoire, il était tout maigre. C’était un personnage qui n’avait pas encore sa personnalité. Et puis, il n’était pas si grand, il était assez petit. C’est un peu plus tard dans le premier album qu’il est devenu très gros. Mais j’avais un problème de place dans mes cases. Quand je mettais deux personnages en gros plan, avec le ventre qu’il avait, je n’avais pas de place pour l’autre personnage, donc je l’ai fait maigrir. Ensuite, il a un peu regrossi, mais je crois que maintenant il a pris un poids de croisière. Ça vient tout seul, c’est inconscient. On change des choses et les personnages changent un peu forcément. On ne s’en rend pas compte.
Dans Spirou, vous passez régulièrement pour l’auteur éternellement en retard. D’où vient cette réputation ?
Du retard... C’est vrai, cet album ci va sortir trois ans et demi après l’album 28. J’ai pris mon temps.
Intervenez-vous dans les scenarios de Cauvin ? Vous arrive-t-il de lui proposer des idées ?
Oui j’interviens et je fais quelques scénarios moi-même, avec l’accord de Cauvin. Je connais Raoul depuis 41 ans. On s’entend à merveille. On s’appelle deux, trois fois par semaine. Mon seul regret est qu’il ne participe plus aux séances de dédicaces car on s’amusait comme des fous.
Laurent Carpentier est votre coloriste attitré depuis le début des années 90.
Est-ce pour gagner du temps que vous avez décidé de confier les couleurs à un autre ?
Non. Avant les couleurs étaient faites par le studio Léonardo. Laurent, lui, a commencé dans le numéro 15 et depuis ça se passe bien.

Péral, qui avait repris Billy-the-cat il y a quelques années, a été votre assistant. Comment se déroulait cette collaboration ?
Je faisais le crayonné. J’encrais les têtes des personnages, parfois un peu plus. Lui, il encrait le reste. Ça se passait très bien. Je m’entendais très bien avec Péral. Il a des séries qui sortent chez Bamboo, il a été engagé aux Studios Peyo pour faire des Schtroumpfs. On a travaillé deux ans ensemble. Il a arrêté parce qu’on lui a proposé une série. Il a repris Billy-the-cat après Colman. Ça n’a pas été facile. Puis la série s’est arrêtée, c’est dommage.
Avez-vous eu d’autres assistants ?
J’en ai eu un autre avant ça : Capezzone.
Vous avez vous-même rencontré les plus grands. Jidéhem a été le premier à vous donner un coup de pouce.
Oui, tout à fait, un grand coup de pouce. Je l’ai rencontré en 1967. A l’époque, je copiais des BD dans le journal Spirou. Ma maman connaissait quelqu’un qui le connaissait. Je lui ai montré mes dessins et finalement j’allais régulièrement les lui montrer. Il les corrigeait. Pendant plusieurs années, tous les quinze jours, j’allais montrer mes planches.
Quel a été ensuite votre parcours ?
En 1970, j’ai fait une série pour un journal qui s’appelait « Samedi jeunesse ». J’ai publié pendant un an et demi des planches de gags dans ce mensuel. Par la suite, je me suis branché sur Spirou. J’essayais de leur présenter des planches car je voulais travailler pour eux. Mais c’était systématiquement refusé.
Vers 1973-1974, j’ai travaillé pour Attanasio. Je faisais des crayonnés et des décors. Je n’encrais pas. C’est Attanasio qui le faisait.
En 1974, vous arrivez à rentrer chez Spirou grâce à Peyo.
Cette année-là, j’ai rencontré Peyo qui lui aimait bien ce que je faisais à l’époque.
Il m’a dit : « Vu qu’on a refusé ça, on peut vous présenter un scénariste qui vous fera deux trois scénarios pour Spirou ». Il m’a proposé cela parce que le but était que je travaille pour Peyo après. Mais ça a été compliqué car il travaillait sur le dessin animé « La flûte à six Schtroumpfs » et n’avait pas le temps de s’occuper de moi. Il m’a présenté Cauvin. Nous avons commencé à travailler sur des histoires d’un agent de police. Dans Spirou, ça marchait bien. Les lecteurs en redemandaient. Peyo m’a encouragé à poursuivre et je n’ai finalement jamais travaillé pour lui.
Vous avez travaillé avec un des auteurs les plus injustement oubliés de la BD franco-belge : Francis. Comment ça se passait ?
En 1975, Françis m’a demandé si je voulais travailler au studio. J’ai dit oui ; c’était un peu inconscient de ma part, car je venais de commencer l’agent.
Je suis resté trois mois chez Françis je crois. Travailler en studio ne me plait pas des masses parce que je bouge trop.
Vous travailliez sur Capitaine Lahuche ou sur la Ford T ?
Ni l’un ni l’autre. On travaillait pour l’Allemagne, en même temps que Tome et Janry. Ils travaillaient pour le studio de Francis mais dessinaient chez eux. J’ai travaillé sur la même série qu’eux, une histoire avec des jeunes. Mais j’y suis resté peu et j’ai continué l’agent.
Il paraît que vous avez insisté auprès de Raoul Cauvin pour qu’il vous écrive des gags. C’est vrai ?
Oui il y a eu une demande, mais je n’ai pas attendu devant chez lui pour le faire. Cauvin travaillait au labo photo. C’est Peyo qui est allé le voir avec moi et qui lui a demandé s’il voulait bien écrire des scénarios pour moi. Il a dit oui tout de suite. A l’époque, il avait moins de séries : il faisait les tuniques bleues, les mousquetaires.
Fin des années 70, vous créez votre propre série, qui comptera un petit peu plus qu’une centaine de gags : Les indésirables. Est-ce l’agent 212 qui vous a forcé à les abandonner ?
Oui, faire un choix, ce n’était pas difficile, car les indésirables était une série où j’allais sans doute vite tourner en rond. Je les ai dessinés de 1978 à 1980. Avec l’agent, de toute façon, la preuve est là. Il y a encore matière aujourd’hui après quarante ans passés alors qu’avec le indésirables j’aurais vite tourné en rond. J’aurais peut-être fait d’autre trucs après mais bon… Je m’amusais bien dans le scénario des indésirables.
Il existe une centaine de gags des indésirables. N’y aurait-il pas un micro-éditeur comme Le coffre-à-bd ou La vache qui médite qui pourrait publier l’intégrale de ces gags en demi-planches ?
Oui, il y en a quelques uns qui me l’ont proposé. J’ai dit qu’on verrait. Il y a de quoi faire un album. Ce qui m’arrête un peu c’est qu’un de ces éditeurs voudrait scanner les Spirou, mais je n’aime pas trop ce système. Honnêtement, je pensais tout redessiner, mais on m’a dit que les collectionneurs préféreraient la première version. J’aurais fait une version différente de l’époque mais ça n’aurait peut-être rien apporté.
Je garde ça sur le côté, on verra bien.
N’avez-vous jamais eu envie de les relancer ? Les gags en demi-planches sont très à la mode en ce moment.
En plus, ça marche bien en replacement dans les journaux. Mais la série est un peu démodée dans le sens où c’étaient des contrebandiers. Ils faisaient des hold-up, attaquaient le fourgon postal. Ça marchait bien à l’époque dans le journal, mais aujourd’hui ce n’est plus parlant pour les jeunes. Dans tous les cas, ça serait éteint plus rapidement que l’agent.
Pour l’agent, je suis étonné de voir des enfants de 10 ans en séances de dédicaces à qui ça parle alors que l’uniforme des agents n’est plus celui d’aujourd’hui. La fourgonnette aussi est d’époque. Elle date des années 60, fin 50 même. Je mélange ça avec des nouvelles voitures. Il y a le GPS dans le véhicule, mais je garde cet uniforme. Personne ne s’en étonne. On voit ce flic comme ça et ça ne dérange pas, comme le petit Spirou avec son chapeau.
L’agent 212 a mis du temps avant de connaître une publication en albums.
On a connu plusieurs rédacteurs en chef. L’un d’eux n’aimait pas l’agent et voulait le supprimer, disant que l’agent n’était pas fait pour le journal. La première histoire est parue dans Spirou en juin 1975 et le premier album date de 1981. L’éditeur pensait qu’un album n’allait pas marcher. Ce n’est que lorsqu’il y a eu un référendum en 1980 et que je me suis retrouvé cinquième derrière Gaston Lagaffe, Boule et Bill, les tuniques bleues et Yoko Tsuno qu’ils ont décidé de faire un essai d’album. Ils pensaient le solder six mois après, mais en trois mois le tirage était épuisé. C’est grâce aux lecteurs qu’il y a eu un album et grâce aux lecteurs que je suis encore là aujourd’hui avec l’agent.
Les grands récits en 44 planches ne vous ont jamais tenté ?
Non. La plus longue histoire, je crois, fait douze pages, dans l’album numéro 4. C’était sympa car on dessine plus vite. Toute l’histoire est sur le même sujet mais ça me lasse plus vite aussi. Dans l’album 25, il y a une histoire avec le GIGN assez longue aussi. Mais dans le prochain album, la plus longue histoire fait quatre pages.
N’y a-t-il jamais eu de projet de dessin animé de l’agent 212 ?
Il y a très longtemps, dans les années 80, il y a eu un essai de clip qui durait 15 ou 20 secondes. C’était pour mettre entre les informations et les publicités. En même temps, il y avait eu des essais pour le petit Spirou. Mais ils ont abandonné le projet ça coûtait trop cher. Après ça, il n’y a plus rien eu.
Honnêtement, un film, je ne cours pas derrière. Il y a eu les gendarmes (avec Louis de Funès), Pinot simple flic,… Si on me dit un jour qu’on fait un film, je ne vais pas dire non, mais il faudra voir ce que c’est. Ça ne me chipote pas. Les dessins animés, j’aurais été content. On n’en fait pas, on n’en fait pas. Il fait son petit bonhomme de chemin et qu’il soit encore là aujourd’hui, c’est déjà pas mal après tant d’années.
Si vous n’aviez pas dessiné l’agent 212, et sans vouloir provoquer de jalousies, quelle autre série du grand Raoul auriez-vous aimé réaliser ?
De Raoul, aucune. Je ne vais pas dire les Tuniques bleues, je déteste dessiner les chevaux. Il faut aussi avoir le talent pour dessiner les séries. Quand je vois certains albums de Tillieux comme Le gant à trois doigts ou L’enfer du Xique-Xique, c’est quelque chose. Tout le monde n’est pas Tillieux. C’est comme Franquin avec Gaston Lagaffe, c’est encore autre chose.
La rue du Marché aux Poulets à Bruxelles porte également le nom de « rue L'Agent 212 ». Comment vit-on un tel hommage ?
C’est hyper sympa, d’autant plus que J’ai le double de la plaque. Ça fait plaisir bien sûr.
La prochaine étape serait un mur du parcours BD. Où signe-t-on la pétition pour qu’il y en ait un ?
Je ne sais pas très bien à quoi ça tient… Franchement, je ne sais pas. C’est un mystère… Il n’y a pas de Schtroumpfs non plus. Il n’y a aucune série de Cauvin. C’est quand même étrange.
Mais l’agent est une belle aventure avec Raoul.
Merci, Monsieur Kox.
Propos recueillis par Laurent Lafourcade
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