Les coups de coeur de Pierre Burssens : Wotan
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Les coups de coeur de Pierre Burssens : Wotan

Septembre 1939, en France. Le jeune Louison est un enfant étrange. Amnésique, rejeté par les autres enfants, il parle en allemand dans son sommeil, se passionne pour la préhistoire et entretient de longs échanges imaginaires avec Du Guesclin. Placé dans une famille d'accueil, il fuit, et finit par être recueilli dans un campement de gitans. Au même moment, Etienne Murol, un jeune artiste, de retour de l'Académie de Vienne, retrouve Paris en proie à la fièvre des préparatifs de guerre. Mobilisé, il est envoyé en casernement à la ligne Maginot. La tête pleine de sentiments contradictoires, il ne peut se défendre d'une certaine exaltation face à l'idéologie nazie. Sans qu'ils le sachent, le destin de cet enfant et de ce jeune homme sont liés, tandis que s'abat sur l'Europe l'ombre des idéaux du IIIème Reich.

 

 

Mon premier contact avec le style de Liberge n'avait pas été des meilleurs. J'avais trouvé les deux premiers tomes des « Corsaires d'Alcibiade » littéralement à la limite du lisible, couleurs trop denses, dessin chargé... L'univers très particulier de « Monsieur Mardi-Gras Descendres » ne m'avait dès lors guère attiré non plus. Et puis voilà ce premier tome de « Wotan » qui apparaît en librairie, et sa couverture graphiquement extraordinaire et qui ne peut laisser indifférente. Déjà l'idée de faire figurer le titre de la série sur ce drapeau brandi par l'un des héros... Et j'ai entamé la lecture de Wotan, et je me suis pris une sérieuse claque ! Le premier mot qui m'est venu à l'esprit est tout simplement « oeuvre », car ce que nous propose Liberge déborde, pour moi, du simple cadre de la BD. Au-delà de l'histoire de ses personnages (peut-on vraiment parler de héros ?), Liberge fait oeuvre de mémoire. Jamais, à ma connaissance, cette période très sombre de notre Histoire n'avait été abordée de cette manière. Alors que plusieurs albums se déroulant pendant la seconde guerre mondiale sont sortis récemment,  Wotan immerge véritablement le lecteur dans une ambiance. Atmosphère de violence présente dès la première planche, de désespoir et de folie qui baignent tout l'album. Un peu à la manière d'un Guillermo del Toro dans ses films «l'échine du diable » et « le labyrinthe de Pan », les éléments que l'on pourrait qualifier de fantas(ma)tiques et qui apparaissent ici discrètement (relation de Louison avec Du Gesclin, les hommes préhistoriques, vision des « âmes »...) s'avèrent finalement presque rassurants face à une réalité qui s'emballe et à la direction qu'elle prend. Seul espoir illusoire pour certains : les prétextes « culturels » brandis par les nazis et leurs sympathisants..sans imaginer ce qu'ils entraîneront !

Oeuvre, oeuvre de mémoire et oeuvre d'art ! Liberge nous conte cette histoire de manière unique. Ses planches, au découpage éclaté et faussement déstructuré méritent vraiment d'être abordées et détaillées une par une. Il y intègre des photos, des documents d'époque sur lesquels il redessine. Le tout est enrobé de tons gris, ocres, d'éclats parfois lumineux qui sont souvent le pendant de traînées sanglantes. Et puis il y a cette narration, très particulière. Cette illusion pour ses personnages de tenter de maîtriser leurs destins alors qu'ils sont emportés, comme tant d'autres, pareils à des fétus de paille dans cette tempête de violence et de folie. Et quelque part, ce n'est qu'un début pour eux comme pour l'Histoire. L'ensemble de Wotan se déclinera en effet sous forme de trilogie. Les tomes 2 et 3 sont repectivement annoncés pour janvier et septembre 2012. Et l'auteur annonce, dans son très bel avant-propos, qu'ils traiteront des « Einsatzgruppen », responsables de massacres sur le front de l'Est, et de l'  « Ahnenerbe » (déjà discrètement abordé dans ce premier volume) « société pour la recherche et l'enseignement sur l'héritage ancestral nazi » créée par Himmler, qui, au départ d'études de certaines mythologies, en arrivera aux « expérimentations médicales » pratiquées dans les camps de concentration...

Loin d'une BD de distraction, et loin d'être abordable par tous, ce premier volet de Wotan est un véritable album coup de poing dont il est impossible de sortir indifférent. Il peut également constituer un point de départ idéal pour une réflexion sur les extrémismes et fanatismes toujours présents et vivaces. Le dossier qui le complète, composé des témoignages des parents de l'auteur et d'une conversation entre celui-ci et son père ajoute encore une pierre à cet édifice unique à classer sans le moindre doute parmi les albums de l'année !





Publié le 28/10/2011.


Source : Graphivore

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