Les petites distances sont parfois des ravins, encore plus quand on devient invisible !
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Les petites distances sont parfois des ravins, encore plus quand on devient invisible !

Être inodore, insipide, c’est beaucoup mieux que d’être invivable mais ça pose quand même problème. Même au plus charismatique des humains sur cette Terre, ça doit déjà lui être arrivé de ne pas se sentir écouter, de devoir répéter. Rien de grave quand on a toujours la force de rebondir. Quant à Max, le nouveau héros (mais l’est-il vraiment ?) de Véro Cazot et Camille Benyamina, il s’est laissé dépasser de la réalité, à un point tel que celle-ci l’a… effacé ! Aux yeux de tous, sauf des deux autrices et des lecteurs.

 

 

 

 

 

 

 

© Cazot/Benyamina chez Casterman

 

Résumé de l’éditeur : Je suis là. Je suis Max. On vit ensemble depuis deux semaines. Enfin c’est surtout moi qui vis chez toi, mais je crois que je ne te dérange pas. Tu ne m’entends vraiment pas?

 

 

 

 

© Cazot/Benyamina chez Casterman

 

C’est facile d’être oublié. Encore plus quand on est mort, c’est sûr. Mais quand on est vivant, ça arrive parfois. Au rythme où filent nos existences. Un peu de métro-boulot-dodo, t’en veux ? On pense à soi et puis patatras. On pense aux autres et voilà qu’ils vous sortent de leur tête. Si, c’est lors des enterrements qu’on se rend compte à quel point untel était aimé, c’est en vivant au jour le jour qu’on apprend que des tas ont vite fait de passer à côté de vous sans se retourner. Du coup, il a l’air malin, Max, sur le pas de ce qui était encore son appart quelques heures plus tôt. Avec ses fleurs amorphes car artificielles destinée à celle qui était sa copine et qui se rhabille, à présent, à vitesse grand v alors qu’elle n’a pas fini de chevauchée son infidélité. De bon matin, à en croire ce qu’elle bredouille, elle a perdu de vue celui qui, plus de quatre ans, fut son aimé. Cette fille a définitivement un problème…

 

 

 

 

© Cazot/Benyamina chez Casterman

 

Du moins le croit-on, d’un premier accord avec Max, ce personnage attachant dont Cazot et Benyamina nous font vite sentir le désarroi et adhérer à son camp. Max et nous contre le monde entier. Car le problème, c’est bien Max qui en est victime. L’amnésie de son ex n’était qu’un signe avant-coureur : très vite, notre homme pâle est dégagé de la réalité par son nouveau colocataire, par ses parents qui semblent ne jamais avoir eu de fils ni même d’enfant, par la psy sur qui il comptait bien pour revenir à la réalité et la belle rousse qui, mine de rien, le fascine un peu.

 

 

 

 

© Cazot/Benyamina chez Casterman

 

D’ailleurs, avant de disparaître complètement, il tente bien de l’aborder. Le moment est mal choisi, et dans une séance de spiritisme borderline et improviso-alcoolisée, ce qu’il restait de l’enveloppe physique de notre fantôme en devenir se fait aspirer par l’aspirateur à démons. C’est fini, Max n’existe plus, sauf pour les extradiégétiques et chanceux lecteurs que nous sommes. C’est l’objet même du pacte de lecture passé avec les deux femmes qui tirent les ficelles de ce monde de papier comme on les aime.

 

 

 

 

© Cazot/Benyamina chez Casterman

 

Chanceux car il nous est donné, une nouvelle fois, d’assister au plus près à la métamorphose d’un personnage en voie de disparition, amputé par petits ou par gros bouts. Comme une certaine Betty Boob qui a fait des ravages, il y a quelques mois et encore maintenant, et qui était la créature d’une certaine Véro Cazot qui récidive ici dans un autre univers, en voulant dire autre chose. Mais en arrivant toujours à faire émerger folie et fantaisie face à des événements qui n’auraient pu accoucher que de déprime et de mélancolie.

 

 

 

 

© Cazot/Benyamina chez Casterman

 

Si, des hommes invisibles, on en a connu avec Wells, la scénariste choisi d’autres voies, relationnelles malgré tout même sans un mot et sans se voir. Les personnages se frôlent mais ne se touchent pas, se parlent mais ne s’entendent pas. Paradoxalement, en passant de l’autre côté du miroir, dans le monde des ombres insaisissables, des spectres inatteignables, Max a détruit les illusions, les lois du paraître, pour percer à jour ce que sont vraiment les gens qui l’entourent, et cette petite rousse qui est peut-être la clé de sa peine.

 

 

 

 

© Cazot/Benyamina chez Casterman

 

Sans moyen hollywoodien ni effets spéciaux pour dématérialiser les choses, Camille Benyamina a choisi la simplicité pour donner corps à cette histoire pourtant constituée autour d’un homme qui n’en a plus. Cela passe par la subtilité et quelques magnifiques jeux de lumières et de transparence. L’alchimie trouvée avec le texte et les dialogues de Véro Cazot est telle que les petites distances deviennent des ravins, des failles de San Francisco ou de Paris infranchissable. Et pourtant les personnages n’ont jamais été aussi proches, dans cette vie commune insoupçonnée. Le lecteur se retrouve au creux de ce monde, on ne peut plus face à Max qui n’a peut-être pas la fureur de vivre mais a eu la frayeur de ne plus vivre. C’est frais et très touchant. L’essentiel est invisible avec les yeux, disait l’autre. Et comme on est en plein dans l’invisible, on confirme.

 

 

 

 

© Cazot/Benyamina chez Casterman

 

 

 

Alexis Seny

 

Titre : Les petites distances

Récit complet

Scénario  : Véro Cazot

Dessin et couleurs : Camille Benyamina (Page Fb)

Genre: Drame, Romance, Fantastique

Éditeur: Casterman

Nbre de pages: 152

Prix: 20€



Publié le 23/05/2018.


Source : Bd-best

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