MARC SLEEN : La naissance de Néron dans la rue des Sables
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MARC SLEEN : La naissance de Néron dans la rue des Sables

La première bande dessinée de Marc Sleen s’intitule "Les aventures de Nez" mais dès le 10 juin 1945, il entame Les aventures de  Tom et Tony dans « Ons Volkske ». Après deux albums, Stropke et Flopke prennent leur succession.
Par ailleurs, Sleen s'essaie également à la bande dessinée humoristique de pantomine, (sans paroles) :  Pollopof (1946), Joke-Poke (1950) et Doris Dobbel (1950).  
Entre 1952 et 1965, Sleen se consacre à Octave Blaireau, un brave homme, complètement dominé par sa femme. Il crée environ 600 blagues et cinq albums d'Octave Blaireau.  

De 1950 à 1965, Sleen publie un épisode hebdomadaire de la très populaire BD Les Joyeux Petits Gars destinés à un public jeune. Dix albums des  Joyeux Petits Gars ont été édités par « Het Volk ».La série Miche et Célestin Radis, dont 10 albums sont publiés entre 1957 et 1965, remporte également un vif succès. Dans cette bande dessinée pour enfants, Sleen raconte la relation entre un père et son fils, un papa gâteau qui doit sans cesse rattraper les bêtises de son fils.  
Mais la création la plus célèbre de Sleen reste cependant Les aventures de Néron et C°. Marc Sleen a lancé cette série en 1947, dans le « Nieuwe Gids ». Le 200e album, Les petits frères bleus est paru le 5 mai 1999. Celui-ci valu à son auteur d’entrer dans le Guinness Book of Records. En 2003, à l'âge de 80 ans, il décide d'arrêter la série Néron. Son dernier album s’intitule Des larmes d'argent. Ces dernières années, il est secondé par Dirk Stallaert.  
 
Par ailleurs, l’œuvre de Sleen ne se limite pas à la publication  d’albums. Néron et ses compagnons quittèrent les frontières de la BD pour apparaître en public de façons diverses :  
Une fresque murale à Bruxelles et à Hasselt, deux timbres-poste, le café Néron à Hoeilaart, des décorations sur les avions de la Sabena, des statues à Hoeilaart, Turnhout et Middelkerke, des dessins animés, des marionnettes, un bas-relief sur la Grand Place de Sint-Niklaas, un opéra basé sur Het Rattenkasteel, une aventure jamais traduite de Néron, des librairies BD et des restaurants nommés en rapport à l’œuvre de Marc Sleen…

Nous vous proposons de suivre ci-dessous une interview du maître réalisée par Jean Aucquier en 1990:


Jean Aucquier : Vous avez donc bien connu la rue des Sables et les anciens Magasins Waucquez ?  


Marc Sleen : J’y suis venu tous les jours de 1946 à 1950. Les portes du magasin Waucquez étaient toujours ouvertes. Eté comme hiver. On y entrait sans cesse des rouleaux d’étoffe. Il me semblait qu’ils étaient tous brun. Jamais de couleurs.  
 
Vous travailliez pour quel journal, à ce moment-là ?  

J’ai débuté au Standaard, fin 1944. Je sortais d’un camp de concentration. J’y ai dessiné des caricatures politiques et beaucoup d’autres choses, cartes, graphiques, etc. Les directeurs du journal étaient en prison. Un peu « brûlés ». Cela a duré trois mois. Puis, avec une nouvelle équipe, on a créé De Nieuwe Standaard, devenu rapidement De Nieuwe Gids.  
 
Et du boulevard Jacqmain, vous avez émigré… rue des Sables ?  

En 1946. Dans un bâtiment qui n’existe plus, à la place de l’actuelle imprimerie Sofadi. De mon bureau, à côté de la photogravure, je voyais les fenêtres du magasin Waucquez. C’est là que j’ai fait mes premières vraies bandes dessinées. En plus de tout ce qu’on me demandait : des caricatures, des illustrations… pour John Flanders, par exemple.  
 
Vous voulez dire Jean Ray ?  

Il venait livrer des histoires pour Het Kapoentje, un supplément pour enfant. Ca lui rapportait 500 francs. Je l’ai toujours connu ivre mort. A la rédaction, il racontait des voyages extraordinaires qu’il avait faits : il avait vécu sur des bateaux, fait le tour du monde… A moi qui était gantois comme lui, il finissait pourtant par dire qu’il avait tout inventé et qu’en réalité, il n’était jamais sorti de son pays.  

Et Néron ?  

Néron est né en 1947, en face du Centre Belge de la Bande Dessinée. Il est apparu dans le deuxième album des aventures du détective Van Zwan. Van  Zwan se retrouve dans un asile de fous. Là, il demande à quelqu’un qui porte des branches de laurier au-dessus de la tête qui il est…  - Je suis Néron, l’empereur de Rome. Les lecteurs m’ont écrit pour me dire que ce fou était beaucoup plus sympathique que  mon détective. Alors c’est Néron qui est devenu le héros.  
 
Comment aviez-vous pensé à ce personnage ?  

Quelque temps avant sa mort, Jan De Spot, un des patrons de la finance belge, disait  - Néron, c’est moi. Il fallait oser : Néron est bête et con. Mais il avait raison, je m’étais un peu inspiré de son physique… A cette époque, Jan De Spot écrivait des petits articles d’humeur que j’illustrais. Quand on a créé « De Nieuwe Gids », notre ambition était d’en faire le plus grandjournal flamand de l’après-guerre. On y a attiré toute une génération de jeunes très talentueux : Jan De Spot mais aussi le futur ministre Van Elslande, les écrivains Marnix Gijsen et Gaston Durnez. 

 

Vous êtes resté longtemps au « Nieuwe Gids » ?

Jusqu’en 1950. Puis je suis parti à « Het Volk ». Jusqu’en 1965. Le « Nieuwe Gids » a cherché longtemps le dessinateur qui allait me remplacer… Même Octave Landuyt s’est présenté. Il trouvait que les dessinateurs étaient mieux payés que les peintres ! Il faut dire qu’aujourd’hui, à moins d’un million d’anciens francs belges, vous ne trouvez pas une toile de lui.  

Et il était doué ?

Avec ses planches, il est allé voir Madame Duplat, la directrice du journal « De Nieuws van de Dag », toujours dans la même rue. Elle prit son gros crayon rouge et commença à marquer tout ce qui n’allait pas : seins trop gros, jupes trop courtes, etc. Landuyt se leva et dit :  - Oui, Madame. Vous pouvez compter dessus… Il n’a plus jamais tâté de la BD. Il ne supportait pas la critique.  
 
Et au Volk, vous ne faisiez que de la BD ?

Pas du tout. Mais j’en publiais dans tous les supports flamands et francophones du groupe démocrate-chrétien : « Het Volk », « Het Volksmarkt », « La Cité », » Samedi-Jeunesse » et même, à Léopoldville, dans « Le Courrier d’Afrique ». Et puis, je continuais à faire de la caricature… pour le Tour de France, par exemple.  


Vous avez suivi le Tour de France ?  

Plusieurs fois, à l’époque du « Nieuwe Gids ». Mais c’était une vie de fou : il fallait dessiner en roulant, terminer son dessin à côté de la ligne d’arrivée, très vite, fatigué, après avoir beaucoup bu parce qu’il faisait chaud. Dans les années ’50, j’ai continué à illustrer le Tour…
mais depuis mon bureau, à la maison. J’écoutais la radio et au moment de l’arrivée, j’achevais mon dessin. Un motard l’acheminait rue des Sables, à « La Cité ». On en faisait un cliché que le même motard transportait à Gand, à « Het Volk ». Le type roulait sans
casque à tombeau ouvert. Pour sa performance, il était payé 500 francs, moi… 450 !  
 

Cela bougeait fort, rue des Sables !  

Un autre habitué de la rue, c’était Séverin De Meersman, le Roi de la Crevette. Une année, j’ai pu suivre le Tour de France dans sa bagnole, une énorme américaine blanche. Il était toujours accompagné d’un catcheur qui lui servait de chauffeur. Le soir, aux étapes, si De Meersman trouvait le champagne trop cher, il demandait à son catcheur d’intervenir. Celui-ci disait : - Non, madame, on ne paie pas ça. En général, c’était suffisant. C’est pour toutes ces raisons qu’aujourd’hui, quand j’entre dans la rue des Sables, je repense à mes vingt-deux ans. Je n’aurais jamais osé imaginer qu’un jour de 1989, avec Néron, j’entrerais de l’autre côté de la rue… au Musée. 

 

 



Publié le 26/11/2011.


Source : Graphivore

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