Mikaël nous offre le vertige du New York des années 30 : « Je pense que je n’aurais pas réalisé Giant de la même façon si j’étais resté en France »
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Mikaël nous offre le vertige du New York des années 30 : « Je pense que je n’aurais pas réalisé Giant de la même façon si j’étais resté en France »

N’avez-vous jamais rêvé d’être un oiseau ? On avait fait une croix sur ce rêve fou avant de nous glisser dans les planches du Giant de Mikaël. Et, là, le miracle s’est opéré et on a même été pris de vertige, entre chute et ascension, les ruelles des non-dits et les toits sans limites de la vérité. Dans un premier diptyque contant le New York des années 30 sous toutes les coutures, rythmé par une radio conviviale et les Ratatatat Ratatatatat des marteaux pneumatiques. Ici, une ville a la folie des grandeurs et des hommes s’efforcent juste de s’élever un peu. Nous avons rencontré Mikaël.

 

 

 

 

 

 

 

© Giant


Bonjour Mikaël. Si votre premier tome nous filait la peur du vide, avec ce deuxième tome, c’est le goût de la vitesse, et d’un rythme efficacement maîtrisé que vous nous offrez. Avec pas mal de planches muettes, du moins dans les mots.

Le but,  c’est d’essayer d’avoir une alternance de séquences. Certaines avec beaucoup de dialogues, chargée de ce que peut-être la vie des ouvriers mais aussi de leurs échanges, comme quand on se retrouve entre amis. D’autres séquences marquent les errances, un côté contemplatif, avec des cases muettes. L’idéal pour que le lecteur se projette et brode en fonction de sa sensibilité, de son vécu. C’est important de lui laisser de la place.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

En matière de BD, c’est la première fois que vous cumulez le rôle de scénariste et celui de dessinateurs, c’était le moment ?

Une affaire de sensibilité, ça me permettait de voir venir, de faire converser les deux facettes pour pouvoir sentir au mieux cette chronique, cette approche du quotidien à cette époque-là.

L’intérêt de raconter cette histoire, c’était le dessin. Dès le départ. C’était une histoire personnelle, avec un but, des personnages que je voyais venir à moi, qui coulaient de source.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

Pourquoi, cet affect personnel ?

Parce que New York me fascine et que je voulais absolument traiter cette ville. L’immigration, je l’ai connue, de la France au Canada. Certes, ça n’a rien de comparable avec les années 30 ou la guerre mais je peux au moins l’évoquer, je sais de quoi je parle, toutes proportions gardées. Il me fallait trouver la bonne manière de l’aborder.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

Ce départ au Québec, c’était finalement ma manière de vivre le rêve américain… mais en français. Tout en pouvant monter dans un immeuble comme celui construit par Giant et ses compagnons. Je pense que je n’aurais pas réalisé cette histoire de la même façon si j’étais resté en France. Aujourd’hui, je suis baigné dans cet univers nord-américain, les camion-pompiers sont les mêmes au Canada ou à New York.

Dans le premier tome, c’est Dan Shackleton qui nous permettait d’approcher Giant. Cette fois, sans entremetteur, c’est Giant qu’on suit de bout en bout.

 

 

 

 

© Mikaël

 

Mais avant ça, il fallait permettre de mieux le connaître. Comme avec cette photographe qui enquête et apprend quel est l’homme qui se cache vraiment sous la carrure de Giant. Puis, il se raconte à Mary Ann, par besoin?

 

 

 

 

© Mikaël

 

Le thème de Giant se dévoile vraiment à la fin. Un cheminement qui mène à faire son deuil, à entrer en résilience. Giant, il a fui et s’est laissé enfermer, une fois loin de ce qu’il fuyait. Sa force physique compense la force morale qu’il n’a pas. Alors que Mary Ann, elle, elle va de l’avant. Et encore faut-il l’avoir, cette force.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

Sous les pieds de vos héros, le drame se joue, de six pieds (et même plus) sur terre à six pieds sous terre ?

Tout le monde a en tête cette photo de lunch des ouvriers du ciel en tête à tête avec les oiseaux. Giant, lui, ça l’arrangerait presque s’il pouvait tomber. En Irlande aussi, il a voulu se jeter de la falaise mais il a fui. Alors, du coup, il côtoie la mort… et celle qui y a survécu.

Pour Giant, j’ai tiré les fils des photos spectaculaires documentant ces grandes constructions périlleuses, pour me retrouver dans les années 30’s. Et mine de rien, c’est une époque qui est fertile, propice en sujets contemporains. Une belle porte d’entrée.

Et vous n’avez pas eu le vertige en dessinant vos planches ? Nous, on l’a eu en les lisant !

 

 

 

 

© Mikaël

 

En fait, j’ai le vertige ! Enfin, pas quand je suis à l’intérieur, qu’il y a des baies vitrées pour me protéger. Mais cette hauteur, c’était une manière de créer une ambiance, de faire exister ce New York en émergence.

Et vous n’avez pas fini de le faire exister. La suite, c’est Bootblack.

Le vrai personnage de cette série de diptyques, c’est New York. Le deuxième récit est plus sombre, moins dans la chronique sociale. Je mets la ville à échelle humaine, pour sentir la crasse, les brumes mais aussi les mouvements dans la rue. Certains personnages secondaires des différents récits ne se télescopant pas pourront néanmoins se croiser. Comme Frankie, le mafieux que le lecteur a pu rencontrer à la fin du tome 1. Giant ? Pour le moment, il ne passe pas dans Bootblack, mais peut-être se décidera-t-il à passer à un coin de rue.

En tout cas, dans ce premier récit, vous désamorcez sans créer de manque toute baston pouvant éclater entre Italiens et Irlandais?

Je voulais être plus vraisemblable, au-delà de l’image d’Épinal.  Tous n’étaient pas armés. Puis, s’il y avait des conflits entre gangs, ce n’était tout de même pas comme dans les films. Je voulais être mesuré, pouvoir retenir Kid Anderson qui voulait se venger des Italiens. Ses comparses vont vite lui faire comprendre qu’il n’a pas le calibre.

 

 

 

 

© Mikaël

 

Si on sort de ses rues, on peut faire des allers-retours d’une côte à l’autre de l’Atlantique. Vous avez choisi la relation épistolaire pour (dés)unir Giant et Mary Ann. Un challenge?

Quand j’ai choisi la posture d’une correspondance écrite, je n’ai pas voulu regarder ce qui avait été fait, j’ai voulu avoir mon résonnement personnel. Et j’ai choisi de mettre ces lettres en pleine page puis de découper des petites bulles disséminant certains passages dans la planche suivante. Je voulais qu’en lisant la lettre de l’un, ce soit le quotidien de l’autre qui soit illustré.

 

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

 

Et puis les retrouvailles !

Ils devaient se retrouver, les masques devaient tomber. Le tout était d’arriver à faire tourner les pages au lecteur, placé dans une attente angoissée. Le lecteur sait des choses, le tout était de réussir à repousser le moment des révélations, de la scène d’aveu. Je l’ai d’ailleurs beaucoup recherchée, cette manière de faire avouer le secret. Avant d’opter pour ces trois planches avec des décors blancs. Tout va disparaître pour laisser les personnages mettre les choses au point. Jusqu’à ce moment où Mary Ann est interpellée, qu’elle se redresse et que la ville réapparaît, avec le tramway, les roues qui crissent. Il fallait arriver à exprimer l’état de malaise. Je m’y suis repris à trois fois. C’était le challenge.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

Le langage du bruit, aussi.

Oui, notamment via les marteaux pneumatiques que les gars utilisaient sans casque. Certains témoignages faisaient le parallèle entre le boucan de ces outils et celui des mitraillettes Thompson chères à Al Capone.

Puis, la radio qui ouvre et referme le récit.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

J’ai longtemps hésité à la mettre. À cette époque, la radio et la presse écrite étaient les seuls médias par lesquels les médias se tenaient informés. Ils se regroupaient tous autour des matchs des Yankees ou de la boxe. La radio était l’objet par excellence au coeur des vies des citadins. L’intégrer à l’album était un moyen d’amener quelque chose d’authentique, une touche de décor supplémentaire dans lequel le narrateur, moi déguisé, espère que le lecteur va passer un bon moment.

 

 

 

 

© Mikaël

 

La couleur est aussi un outil narratif. Je voulais un jaune un peu froid, combiné avec un encrage très nerveux, faisant tache d’encre et créant le malaise.

Ce New York made in 30’s, vous auriez voulu y vivre ?

Je préfère quand même mon époque. Mais les années trente, c’est la période idéale pour raconter des histoires. Mais mieux valait être riche dans cette insalubrité qui donnait quand même un côté romantique à la ville. Nostalgique, je ne le suis pas. Mais c’est fou comme on a l’impression que les 30’s-40’s sont lointaines alors que comme nous ces gens étaient dans une logique métro-boulot-dodo avec des migrants, une crise économique, etc.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

En partant au Québec, avez-vous découvert des auteurs québécois.

Oui, dont certains comme Jacques Lamontagne que je ne pensais pas être Québécois. Il y a aussi Djief, François Lapierre. Puis les auteurs de La Relève, La Pastèque, Pow Wow. Des structures qui font un boulot admirable. Même si la publication d’auteurs ne leur permet pas de vivre. Ils doivent multiplier les publications.

Merci pour ce beau voyage, Mikaël.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Titre : Giant (Page Facebook)

Tome : 2/2

Scénario, dessin et couleurs : Mikaël (Page Facebook)

Genre : Drame, Chronique sociale

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 56

Prix : 13,99€



Publié le 23/02/2018.


Source : Bd-best

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