Ned C: « Je suis navré de voir que la chaîne du livre s’engraisse sur celui sans qui elle n’existerait pas »
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Ned C: « Je suis navré de voir que la chaîne du livre s’engraisse sur celui sans qui elle n’existerait pas »

Boulodromes est un album où tout le monde en prend pour son grade et qui plus est, toujours dans la bonne humeur. 54 pages d’illustrations et de planches d’humour dessinées par Ned C. alias Ned Christensen. L’homme est un touche-à-tout, illustrateur, graphiste, peintre et bédéiste autodidacte. Il est capable de tenir 23 marqueurs dans sa prodigieuse main droite (en une seule fois ! ) ou bien de réaliser un portrait réaliste de Mère Térésa escaladant la tour Eiffel au milieu d’un champ de lave en fusion en moins de 6 minutes.

Aimant bousculer les idées reçues et secouer les esprits endormis, son trait oscille entre un style comique et un autre dramatiquement réaliste (on en a presque la larme à l’oeil. Il a participé à divers fanzines (El Guapo, Lobotozine, Point Bar BD, Oxyures, Egoscopic,…) et a fondé le sien en 2014 : Reukeutepeuh !

 

 

Ned C - Illustrations - humour noir (4)

 

 

Ned fait partie de ces auteurs qui n’ont pas leur langue en poche. Ajoutez à cela un humour décalé et très underground parfois en dessous de la ceinture et vous obtiendrez un subtil cocktail molotov version BD. Rencontre avec un auteur à la fois très sympa et surtout cash !

Salut Ned, raconte-nous en quelques mots ton parcours d’artiste (depuis le début, en évitant le Big Bang si possible).

Salut. Je vais essayer de résumer mais je ne garantis rien,  je ne suis pas doué pour être concis. J’ai commencé à dessiner, comme tout gamin, c’est-à-dire avant même de savoir écrire. Inspiré par les dessins animés de l’époque (Goldorak, Ulysse 31 et consorts), la fascination pour les livres illustrés ainsi que les publications Lug, Strange, Nova…, je commence à raconter mes propres fictions en BD.

Formation « arts appliqués » au lycée (F12 à l’époque), avec la création de mon fanzine « Space Time » (dans lequel mon personnage, Max Hardkor, voit le jour). Quelques affiches, covers d’albums pour des groupes de Rock ou Reggae. Puis sorti du lycée, je me mets à la peinture, avec 4 ou 5 expositions, pour la plupart collectives.

Et ce n’est pas si facile que ça…

En effet, je galère plusieurs années et à 30 ans, j’ai un déclic et décide de me bouger. J’ai réalisé que c’était un gâchis de ne pas exploiter un talent et je décide donc d’y aller à fond. Mais pas facile de se faire connaitre lorsque tu ne vis pas à Paris, que tu n’as pas de bagnole, aucun réseau et que tu es le seul de ton entourage à faire de la bd ; pour cela les réseaux sociaux sont très utiles.

Covers d’albums pour des artistes comme AL 57, Vocal Chimistes, Tamaloo,…, couvertures de livres (« Course contre la montre à Quartz », « Terreur à Limoges », « Tholing the thwarting throngs »), créations de logos, participations aux fanzines « Egoscopic », « El Guapo », « Point Bar BD », « Gran Gaudi » et « Lobotozine ». C’est à cette période que je créé « Reuketepeuh », mon propre fanzine.

Puis peu de temps après, début 2015,  je décroche un contrat éditeur pour mon projet d’album « Max Hardkor »  et je sors dans la foulée mon premier album « Boulodromes », chez le même éditeur.

 

 

Ned C - Max Hardkor

 

 

Tu es donc le créateur du fanzine Reukeutepeuh. Qu’y trouve-t-on?

Yep ! Nous en sommes à trois numéros et pour chaque numéro, il y a un thème imposé. Une bonne grosse vingtaine d’auteurs y participe depuis le début et j’essaye également d’y introduire de nouveaux talents pour chaque numéro. Je laisse carte blanche aux auteurs tant que ça reste plus ou moins dans le thème,  pas de censure. J’aime qu’il y ait un ton libre ainsi qu’une variété de styles, de points de vue ; je pense que c’est ce qui en fait sa richesse : ses différences. Le but étant de fournir un objet marrant et/ou esthétiquement sympathique à l’oeil.

Comment en es-tu arrivé à ce fanzine?

Pour ce qui est de sa genèse, j’avais très envie de créer mon propre fanzine, réunir une équipe, faite d’auteurs que j’apprécie pour faire un truc en équipe, produire une émulsion. J’en avais marre de bosser seul dans mon coin et j’avais envie de réunir tous ces auteurs que j’aime au sein d’une même entité. J’avais la volonté de respecter le concept du fanzine tel que je me le représentais lorsque j’étais ado, à savoir un esprit punk, tendancieux, gras, libre et sans censure. Je cogite intensément à un nom qui reflèterait cet état d’esprit et me vient après pas mal de « loupés » le titre : « Reukeutepeuh » (onomatopée du glaviot, de sa fabrication jusqu’à son expulsion). Vous avez échappé à  Kéké comiks, Zouclypaq, Suppuku, Makkaké , Gogol Makak, Yogurth et j’en passe. La couv’ étant faite, je la balance sur le Facebook en conviant la fine équipe de rêve que j’avais en tête. A mon grand étonnement, la grande majorité répond  présent et avec enthousiasme. Le marmot braillard est né.

 

 

Ned C - Illustrations - humour noir (5)
 

 

Comment vois-tu l’évolution de ce fanzine ?

Je ne sais pas trop mais je sais ce que je lui souhaite : une longue vie. Son succès est relativement bon. Nous en sommes à 3 numéros, tirés entre 70 et 90 exemplaires, sont tous épuisés. Le 4 est en préparation (ce sera un spécial Jeux et je compte le faire sortir pour Noël). Je n’ai pas l’intention de le laisser tomber, ça m’apporte trop de plaisir.

Voici donc un premier album chez YIL éditions intitulé Boulodromes. Un condensé de cynisme et d’irrévérence. Qu’est ce qui t’as amené à te lancer dans ce genre de série ?

J’avais signé pour mon album Max Hardkor chez cet éditeur mais c’est en voyant tous les dessins et BD que j’avais publié chez les fanzines des collègues ainsi que sur le net que je me suis dit qu’il ya avait matière à en faire un recueil. Je les ai mis en couleurs, pour ceux qui ne l’étaient pas, les ai peaufinés, afin de livrer le produit le plus beau possible. Je trouvais ça mieux de me présenter au public  en tant qu’auteur avec ça car je ne souhaitais pas que Max me colle à la peau par la suite.

 

 

Ned C - Illustrations - humour noir (3)

 

 

L’humour décalé dans cet album est omniprésent. Il semble que cela soit du vécu… Un exutoire pour toi?

Sacrebleu, je suis grillé ! Effectivement, il y a pas mal de vécu. Sans rentrer dans les détails, à l’époque de la conception de cet album, j’étais en couple avec une timbrée qui m’en a fait voir de toutes les couleurs. Il y a un peu d’elle, de moi ou de messages subliminaux à son égard. Pour cette raison, il y a plusieurs degrés de lecture mais je souhaitais aussi que le lecteur revienne sur ce qu’il n’a pas compris immédiatement et s’interroge sur ce qu’il voit, décrypte l’image pour la comprendre. Viennent s’ajouter à cela, des événements du monde extérieur qui m’indignent. C’est malgré moi, mais l’humour est pour moi la meilleure façon de dénoncer ce qui me rongerait de l’intérieur si ça ne sortait pas.

 

 

Ned C - Illustrations - humour noir (6)
 

 

Quelle est ta technique de travail ?

Je travaille avec une bassine que je remplis d’encre de chine mélangée à de la confiture de groseille. J’enduis ensuite avec minutie chacun de mes membres de cette mixture et me roule sur mes feuilles étalées par terre en interprétant des chansons d’Hélène Ségara.

Plus sérieusement, pour ce qui est de mes dessins pleine page, mon idée de base est généralement très sommaire, ça se cantonne souvent à une phrase, type slogan, que j’écris immédiatement afin de ne pas l’oublier si je ne peux faire ce dessin dans l’immédiat. Je fais une esquisse vite fait puis le dessin, encré au feutre le plus souvent et je le scanne et le mets ensuite en couleurs sur GIMP.

Pour la bd, ça me demande beaucoup plus de boulot car je me pose tout le temps des tas de questions sur comment mettre ça en forme de la façon la plus efficace possible. Je tâtonne encore sur mes méthodes de travail et c’est souvent pour cette raison que je regrette de ne pas avoir fait d’école spécialisée.

Le plus souvent, j’écris donc mes idées grossièrement, après avoir fait mes petites fiches des différents protagonistes qui seront dans l’histoire (avec leur aspect, quelques expressions et un vague descriptif de leur personnalité), puis je procède à une réécriture storyboardée avec les dialogues et plus de détails sur le déroulement de l’action et  les lieux. J’attaque ensuite les crayonnés, l’encrage et je fais mes retouches sur ordinateur ainsi que les textes. Mais comme je le disais mes méthodes ne sont pas figées et risquent encore de changer ; j’ai encore énormément à apprendre.

 

 

Ned C - Illustrations - humour noir (8)
 

 

Peux-tu  nous donner ton regard sur la bande dessinée actuelle ?

En tant que gros lecteur, la production intensive actuelle ne me dérange pas outre mesure (il faut juste fouiller) ; il y en a pour tous les goûts et je trouve ça bien. Je crois qu’il y a pas mal de publications qui sont dispensables mais peut-être ont-elles leur public ; elles auraient donc une raison d’exister.

Mais en tant qu’auteur, je suis un peu navré de voir que toute la chaîne du livre s’engraisse sur celui sans qui elle n’existerait pas. Navré de voir que le business gagne une fois de plus face au don du créatif. En fait, comme tu peux le voir, je suis partagé.

Y a-t-il un ou des auteurs dont tu es fan ?

Il y a un paquet d’auteurs dont j’admire le travail mais je ne peux certifier être fan que de Monsieur Daniel Goossens. Pour moi, c’est le boss.

Que conseillerais-tu à un jeune enthousiaste qui désire se lancer dans la BD ?

Je ne suis pas tout jeune mais je suis fraîchement arrivé, ce serait déplacé de ma part que de  donner un avis de professionnel cependant je pourrais peut-être le prévenir que c’est le plus beau métier du monde mais également le plus mal payé. Que ça demande de la patience, de l’endurance, des sacrifices mais qu’en revanche, c’est passionnant, qu’il y a toujours à apprendre et que le milieu est majoritairement super sympathique.

 


 

Created with GIMP

 

 

Quels sont tes projets à venir ?

Mon second album « Max Hardkor » est quasiment terminé et devrait bientôt sortir. Je vais également développer ma série « Les 5 Formidables » (vous en avez un aperçu dans Boulodromes) pour une revue trimestrielle qui verra le jour prochainement si tout se passe bien, mais je ne peux en dire plus pour l’instant. Je continue Reukeutepeuh et vais essayer de continuer, si ma disponibilité me le permet, mes participations aux fanzines des collègues. J’ai aussi pas mal de matière pour faire un autre recueil type « Boulodromes », reste à trouver un éditeur pour le sortir.

 


Created with GIMP

 

 

Propos recueillis par Denis Pirlet


 

 

 

 



Publié le 13/12/2015.


Source : Bd-best

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