Philippe Francq emmène Largo Winch de Russes en ruses : « Il y a des secrets qui n’ont encore jamais trouvé leur place dans nos albums »
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Philippe Francq emmène Largo Winch de Russes en ruses : « Il y a des secrets qui n’ont encore jamais trouvé leur place dans nos albums »

 

 

Entre une introduction par Rihanna herself et un clin d’oeil à James Bond, le plus si jeune héritier – il fêtera ses trente ans d’aventure l’année prochaine – vit, dans Les voiles écarlates, une aventure russe et enneigée. Une conclusion pleine d’action, menée par la vengeance et la survie, à un cycle de quatre tomes dans lequel Eric Giacometti a relancé la machine à fric et à chiffres, les finances et l’économie retrouvant un rôle prédominant et dangereux. Rencontre avec Philippe Francq, serein et très enjoué.

 

 

 

 

 

 

Bonjour Philippe, je me suis laissé dire que lorsque vous revenez à Bruxelles, vous aviez quelques rituels. Juste ? D’ailleurs, il y a une Duvel devant vous.

Oui, une bonne Duvel, mais aussi des croquettes de crevettes. On n’en trouve pas en France, même à Paris. Bon, il ne faut pas trop se laisser aller, je vais aussi plonger avec mon papa.

 

 

 

 

 

 

 

 

Cela dit, ça fait des années que sur la route du retour je ne me suis pas arrêter à un Fritkot pour une fricadelle andalouse. Le prix doit avoir augmenter.

Cela fait longtemps que vous vivez en France ?

Cela fait 25 ans que j’ai gagné le Sud de la France. Ça m’aide à travailler sereinement. À Schaerbeek où je vivais avant, la vie nocturne était, comment dire, agitée. Avec des feux de poubelles, de la drogue. Je préfère vraiment la vie à la campagne.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

Avec ce nouvel album de Largo Winch, Les voiles écarlates, vous trouvez ici la conclusion non pas d’un diptyque mais d’une tétralogie, non ?

C’est vrai, si Chassé-croisé et 20 Secondes fonctionnait comme un diptyque, l’histoire de Jean ne trouvait pas sa fin. Il a fallu le prendre en compte lors de la mise en place de L’étoile du matin, trouvé les réponses. C’est vrai, ce fut un peu plus compliqué.

J’imagine que le conflit entre vous et Jean n’a pas aidé.

Éric n’a pas été touché par celui-ci. Il a fait le boulot. Mais c’est vrai qu’il sera plus à l’aise pour le nouveau diptyque qui s’annonce.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq

 

À l’époque, vous aviez dit être prêt à collaborer avec divers romanciers. De varier. Mais Éric semble bien s’installer.

C’est difficile de demander à un romancier de faire des scénarios de BD, ce n’est pas le même boulot. Je ne savais pas comment il s’y adapterait. Quant à l’argent si c’est la motivation, ça ne dure qu’un temps. Par contre, la passion… Et je pense que c’est bien parti.

Et Jean ?

Plus de nouvelles depuis. Je suis curieux de savoir ce qu’il pensera de la conclusion que nous avons trouvée… Sans doute par presse interposée.

Votre héros, lui, n’est-il pas plus revanchard que jamais, il n’est plus le même.

Il n’a jamais été formaté, Largo. Il a vécu des choses qui font de lui ce qu’il est. Dans ce cas-ci, il n’est pas le seul. Dans 20 secondes, c’est tout son groupe qui était visé par l’attentat. Tout le monde a failli y passer avec cette bombe. Mais, comme on dit, la vengeance est un plat qui se mange froid.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

C’est pour ça que vous partez dans la neige ?

Le Russe dont nous parlons dans ce tome avait déjà été installé par Jean Van Hamme, il nous semblait logique d’aller le chercher dans son élément. Nous faisons avec la base de départ.

Et dessiner la neige qui métamorphose le paysage, ça rend la tâche plus difficile ou pas ?

Ce n’est pas la première fois qu’elle apparaît. Elle était là dans Le prix de l’argent et La loi du dollar. Ici, c’est donc St-Pétersbourg. Le principe n’a pas changé dans la mesure où je prends toujours mes photos en été. Parce qu’on voit tout le paysage, sans subtilités. Je rajoute toujours la neige après. Faire une photo de la ville sous la neige, ça enlèverait la créativité dont je peux faire preuve dans mon dessin.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq

 

 

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

Puis, il y a des raisons pratiques. Au moins deux. Quand il fait très froid, l’appareil photo peut être embué. Puis, les batteries fonctionnent beaucoup moins bien à -20°C.

Ce qui est certain, c’est que j’aime plonger le lecteur dans la réalité. C’est tout un travail.

J’imagine, aussi, que vous connaissez des éléments du passé de vos personnages que le lecteur ignore.

Bien sûr, je sais ce qui lui est arrivé, ça m’aide à savoir ce qu’il pense. Même si nous n’utilisons pas les bulles de pensées dans la série. Il faut comprendre comment et pourquoi le personnage réagit, que cela corresponde à la manière dont nous pourrions réagir. Inventer un passé, c’est aussi veiller à ce que le personnage n’agisse pas en contradiction. Mais oui, pour Simon ou Freddy Kaplan, je connais des éléments de leur jeunesse qui n’ont pas été porté à la connaissance du lecteur. Et je ne sais pas si on le précisera un jour.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

Par contre, il y a des secrets qui n’ont encore jamais trouvé leur place dans nos albums. Peut-être qu’un jour l’occasion se se présentera. Mais, c’est sûr, en 46 planches, on ne peut pas mettre tout et n’importe quoi. Il faut du sens et ne pas s’encombrer de choses qui ne sont pas à propos.

Puis, il va quand même falloir combler les trous dans cet organigramme ! Qui perd encore un élément dans cet album.

C’est prévu, dans les tomes 23 et 24 qui s’intituleront La frontière de la nuit et Le Centile d’Or, nous allons remédier à ça. Après 25 ans, je crois que tout l’organigramme aura été revu. Cela dit, il y a des indéboulonnables, comme M. Cochrane, il est tellement hors-norme. Certains membres du groupe W n’ont par contre jamais fait d’apparition.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq

 

Nerio, lui, est « revenu » dans ce diptyque.

L’épisode dans la jungle avec des Anonymous faisait écho à quelque chose que je savais de que Largo avait vécu. Faire revenir Nerio, c’était une manière de souligne que ce cauchemar se reproduisait.

Alors que tous les jours on voit des articles de journaux sur des puissants dont le public n’a rien à faire et descend en flamme, comment expliquez-vous cette affection pour Largo, qui perdure, alors qu’il a aussi des problèmes de riches.

Cet argent, Largo n’a rien fait pour l’avoir, il lui est tombé dessus comme une mauvaise blague. Il ne peut pas supprimer sa société.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

Les femmes prennent de la place dans les albums de Largo, plus que les hommes non ?

Hum, je ne sais pas, je crois qu’elles prennent autant de place que les hommes. Ce sont des personnages avec diverses carapaces physique et psychologique. Mais je ne fais jamais la différence entre l’un ou l’autre. Avant tout, je souhaite que le personnage existe, que le dialogue viennent compléter l’es attitudes. Le phrasé de Cochrane ne ressemble à aucun autre, par exemple. D’autres personnages ont eu de l’importance un temps avant de ne plus les utiliser. Mais je peux avoir de temps en temps l’envie de les ressortir, de les faire vivre à nouveau.

Mais ne vivent-ils pas indépendamment du papier ?

Ils ont tous une vie imaginaire… dans la tête du lecteur, avant tout. Et ce n’est pas anodin quand on s’apprête à ramener un personnage dans une case après dix ans d’absence. C’est durant ces toutes premières images que le lecteur fait revivre le personnage, qu’il se souvient. Ça a aussi l’avantage de ne pas avoir besoin de faire de mise en place. Comme dit le plat lyophilisé: on réhydrate et ça reprend vie. Comme Dominica Leone qu’on n’avait plu vu depuis Voir Venise…

 

 

 

 

© Giacometti/Francq

 

Et sur un album de 46 planches, cela permet de gagner de la place…

… pour mettre tous les nouveaux personnages en place. Ça prend de la lace. Dans le prochain tome, je passe beaucoup de temps à planter le décor. Ce sera un nouvel univers pour Largo… et les lecteurs. Il faut révéler les personnages pour ce qu’ils sont… profondément et définitivement. Dans Voir Venise, c’était lent, il y avait peu d’action.

Mais il y a de l’aventure aussi.

J’ai toujours aimé ça, c’est ce qui m’a orienté vers la BD, à la lecture des Bob Morane. Mais aussi de Jules Verne. Je les lisais silencieusement, ça m’a fort marqué.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

Vous êtes également pilote d’hélicoptère, ça aide à la mise en image ?

Pour les prises de vue aérienne, je fais des photos, du coup je ne pilote pas, forcément.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Guillo chez Dupuis

 

C’est toujours mieux.

Par contre, cela facilite la mise en scène des séquences d’action. Comme dans Mer Noire et Colère Rouge, avec une scène que Jean Van Hamme avait écrit et que j’ai reprise plus tard. Les hélicoptères sont tous identiques. Ce qui change, c’est leur mise en marche, du coup je me renseigne.

J’ai l’impression que vous n’êtes pas du genre à vous documenter sur Wikipedia.

J’aime la rencontre de terrain. Dernièrement, pour la prochaine histoire, j’ai fait un repérage à 30km de chez moi, ça change. Je suis rentré dans un monde que je ne connaissais pas, une carrière qui permet la production de granulats d’asphalte, de basalte. J’ai donc passé une demi journée avec le directeur de ces installations dont nous avons fait le tour. Maintenant, je sais. Ce que je voyais de loin depuis l’autoroute, en me demandant ce que ça pouvait bien être, n’a plus de secret pour moi.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

C’est très intéressant. Je préfère la documentation qui m’est donnée par une rencontre, je préfère avoir quelqu’un en face de moi qu’un écran. Internet me sert de complément. Mais j’aime trouver par moi-même, faire mes propres photos. Aussi parce que c’est précieux d’avoir le choix parmi les angles de vue de ce qu’on aimera le mieux mettre en scène. En sachant que la réalité est toujours plus complexe. On n’en sait pas toujours l’ampleur, on ne fait que l’approcher.

Je lisais dans l’Interview du Soir que vous travaillez sur deux PC. Dont un totalement déconnecté, pour éviter les hackers.

Depuis que ça a été écrit, tout le monde me prend pour un parano. Mais, avant que les problèmes n’arrivent, je préfère essayer de les éviter. Cela dit, il y a deux raisons à ça.

En premier lieu, mon installateur informatique m’a dit que j’avais bien fait de dégager internet, ça me permet notamment d’éviter les mises à jour d’Apple. Ils viennent de mettre en place un nouveau système d’exploitation, Catalina. C’est juste aberrant. Mon informaticien m’a expliqué être débordé par des gens qui veulent désinstaller ça. C’est un gros problème de notre époque, tous les fournisseurs proposent des technologies qui ne sont pas au point mais comptent sur les utilisateurs pour déceler les failles, en fonction de leurs différentes utilisations. De l’espionnage permanent. Nous sommes ennuyés, eux en profitent.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq

 

Deuxièmement, il y a le cloud qui oblige à faire des sauvegardes de données qui ne sont même plus sur des disques durs. Alors que j’ai payé des droits d’auteurs pour utiliser le système d’exploitation, je dois payer une deuxième fois pour l’usage de ce Cloud. Une grande arnaque. Le lecteur, lui, achète son album, il le possède à vie.

Autre actualité, la sortie d' »Introduction à l’économie » d’Olivier Bossard, avec comme maître de cérémonie Largo.

Je ne m’en suis pas beaucoup occupé. Je ne suis intervenu que sur le plan formel. Je ne connais pas Olivier Bossard depuis très longtemps. Il est venu me trouver après L’étoile du matin avec son projet, déjà bien élaboré, bien structuré. En fait, son bouquin était en préparation depuis longtemps. Problème, dans nos albums, nous n’avions pas exploré tout un pan de ce qu’il voulait aborder… jusqu’à l’Étoile du matin qui lui donnait enfin matière à illustrer le monde de la bourse et du trading haute-fréquence.

 

 

 

 

L’occasion de voir l’évolution de votre dessin, non ?

Nous sommes toujours en progression. Sinon, nous nous arrêterions. Si l’oeuvre d’art était commise du premier coup. En tant qu’auteur, j’espère toujours faire un peu mieux.

Si je ne me trompe pas, Largo à trente ans, non ?

Pour moi, oui. Pour le lecteur, ce sera l’année prochaine.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

Avec un autre album pour fêter ça ?

On verra. Je boucle la documentation du tome 23. Je suis prêt à commencer. Les études de personnages n’attendent que ça. Une fois faites, J’aime les laisser prendre de la maturation. C’est important afin qu’ils existent au mieux dans ma tête. Il se passe quatre-cinq mois entre la création et leur utilisation. Je compare toujours ça à la naissance d’un fils. Quand il naît, c’est un inconnu pour vous, vous pressentez bien quelque chose, mais c’est avec le temps que appréhenderez ses facettes. Largo, c’est certain, je le connais beaucoup mieux que lors de sa toute première apparition, dans ce bazar en Turquie.

Comment élaborez-vous les couleurs avec Bertrand Denoulet ? Qui fait quoi ?

C’est là que ça se complique. La couleur de cet album, est un mélange de talent. Bertrand est un coloriste talentueux, c’est sont tout premier Largo en entier. Il intervient pour créer l’unité sur les planches. Sa couleurs agressive. Quand on travaille sur quelque chose, on n’a pas toujours de vue extérieure, dans la globalité. C’est toujours mieux de recevoir quelque chose de fait et de le corriger que de partir d’une feuille blanche.

 

 

 

 

© Giacometti/Francq/Denoulet chez Dupuis

 

Bertrand travaille aussi à la recolorisation de mes deux premiers albums, Des villes et des femmes, qui vont ressortir avec des couvertures originales, chez Dargaud en 2020. Probablement avec un bandeau rouge : « Par le dessinateur de Largo Winch ». (Il rit)

À l’époque, ça avait reçu un succès d’estime. J’étais très content de travailler avec Bob De Groot. Quand le premier album sort, on se dit : « Ah, j’y suis enfin arrivé. » Sauf que pas du tout. « Non mon ami », ça ne fait que commencer, c’est l’Everest. Au moment où j’ai eu cet album en main, je me suis rendu compte de l’absurdité de croire qu’on est enfin arrivé à quelque chose.

 

 

 

 

© De Groot/Francq

 

Vous avez d’autres projets, néanmoins?

Pas le temps !

Et le cinéma ?

Aucune nouvelle. Cela fait six ans que nous signons des rallonges pour bloquer les droits. Il y a eu des rumeurs d’un réalisateur et d’un acteur belge. Comme toujours, le soufflé est retombé. Mais je ne m’en préoccupe pas.

Merci Philippe !

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Série : Largo Winch

Tome : 22 – Les voiles écarlates

Scénario : Éric Giacometti

Dessin : Philippe Francq

Couleurs : Philippe Francq et Bertrand Denoulet

Genre : Aventure, Thriller, Économie

Éditeur : Dupuis

Nbre de pages : 48

Prix : 14,95€

Date de sortie : le 15/11/2019



Publié le 20/11/2019.


Source : Bd-best

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