Quel futur pour Spirou ?
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Quel futur pour Spirou ?

 

A ma connaissance, Spirou est un des rares héros (bondissant) qui n’appartient pas à un auteur mais à un éditeur. Cela a permis d’assurer sa longévité. Destiné à un jeune public, il va connaître une incroyable évolution en passant d’un auteur à l’autre. C’est Rob-Vel qui crée en 1938 le personnage de Spirou, un groom d’hôtel, avec Spip, son écureuil. Pendant le service militaire de Rob-Vel, son épouse (Davine) assure la continuité de la série. Puis, Dupuis rachète Spirou qui devient sa propriété. Jijé reprend le flambeau et imagine Fantasio comme faire-valoir de Spirou. Ce personnage apporte une touche d’humour et de fantaisie à la série.

 

 

 

José Luis Munuera  photo © Dupuis 2008

Des sommets inégalés…

Mais, c’est Franquin qui donne à Spirou ses lettres de noblesse. C’est l’âge d’or de la série. Franquin a une imagination débordante: il donne à ses héros (tous deux journalistes) une famille avec le comte de Champignac (un scientifique génial), Seccotine (une journaliste), Zantafio (l’incarnation du mal) et Zorglub (le savant fou). Il invente le marsupilami, un animal extraordinaire aux multiples ressources. Il est doué d’une force herculéenne, il parle, il est amphibie et c’est aussi un père de famille attentionné. Le Nid des Marsupilamis est un pur chef d’œuvre. La série s’enrichit de fabuleux engins comme le Fantacoptère, le Zantajet, les différents modèles de Turbotraction et un sous-marin de poche. Avec Zorglub, Franquin s’en donne à cœur joie: il invente de nouveaux moyens de locomotion, le Zorgléoptère, la Zorglumobile, tandis que la zorglonde est un rayon paralysant. Sans oublier le GAG (Le prisonnier du Bouddha) dont le rayon peut porter un individu. C’est frais et réjouissant. Mais, Franquin s’épuise à faire du Spirou et sombre dans la dépression. Vers la fin, il fait appel à quelques scénaristes quand il est en panne d’inspiration (dont principalement Greg). Il est indéniable que son graphisme atteint des sommets tandis que ses histoires passionnent les lecteurs. Aucun repreneur de la série n’arrivera à sa cheville.

Jean-David Morvan photo © J J Procureur

Tome et Janry, les héritiers de Franquin !

Fournier succède à Franquin. Le marsupilami disparaît car Franquin le destine à avoir sa propre série. Fournier crée de nouveaux personnages (notamment un magicien et une autre journaliste que Seccotine car il n’aime pas la dessiner). Mais, il ne connaîtra jamais le succès malgré les thèmes d’actualité abordés (énergie nucléaire, trafic de drogue, dictature). Graphiquement, ses personnages sont aussi fades que ses histoires. Par la suite, en hommage à Franquin et Jijé, Yves Chaland propose sa vision de Spirou. Il le dessine dans le style des années 40 et c’est très réussi, mais Dupuis interrompt l’aventure car il préfère le travail de Tome et Janry. Chaland peut publier le début de son récit mais pour la fin, il ne peut plus dessiner Spirou et Fantasio, ni mentionner leurs noms. C’est Yann qui va le dépanner en écrivant une suite illustrée par Chaland (Cœurs d’Acier). En fait, c’est profondément dommage de ne pas avoir laissé Chaland aller plus loin. Toutefois, Tome et Janry ont l’esprit Franquin. Le dessin de Janry est vif et joyeux; les gags pleuvent. Ils parviennent à faire rebondir la série par des thèmes nouveaux et passionnants. On retiendra la jeunesse de Spirou (qui préfigure le petit Spirou), la biotechnologie (Virus), le grand reportage (La frousse aux trousses et La vallée des bannis), l’expédition archéologique (Australie), la mafia italienne (Vito Cortizone est inspiré du Film Le Parrain avec Vito Corleone) et chinoise (New York), la robotique et la technologie de pointe (Qui arrêtera Cyanure ?), le voyage dans le temps, une première, (L’horloger de la comète et Le réveil du Z), l’espionnage et le KGB avec le retour de Zantafio (Moscou), le racisme (Le rayon noir), le charme (Luna fatale). Ensuite, les auteurs ont voulu faire évoluer la série. Dans leur dernier album, Machine qui rêve, le scénario plus mature (centré sur les manipulations génétiques) est une véritable réussite mais, le ton trop adulte, auquel s’ajoute le dessin au style semi-réaliste, n’ont pas plu au public.Tome et Janry se retirent donc non sans avoir inventé le petit Spirou qui raconte avec humour l’enfance de Spirou.

Un accouchement des plus douloureux…

C’est Jean-David Morvan (Nomad, HK, Sillage, Le Cycle de Tschaï) et José-Luis Munuera (Merlin, Näevis) qui sont pressentis pour reprendre la série. Leur premier essai est un flop retentissant. Le dessin des personnages n’est pas bien maîtrisé par Munuera. Le scénario de Morvan est poussif et guère palpitant. L’humour est pitoyable. Certains dialogues ne sont pas raccords. En effet, Paris sous-Seine détonne complètement. Jugez plutôt: le comte de Champignac a inventé le moyen d’apporter de l’eau aux populations défavorisées, mais des robots l’enlèvent au nez et à la barbe de Spirou. Entretemps, de gigantesques vagues d’eau inondent Paris. Spirou, qui veut sauver le comte, livre une bataille dantesque contre d’horribles engins mécaniques. De son côté, le comte a découvert le cerveau qui a déclenché cet apocalypse. Il s’agit de Miss Flanner, l’amour de jeunesse du comte et de Zorglub. Tout finit par s’arranger et le comte trouve le moyen d’enlever l’eau de Paris et de l’envoyer dans les déserts. A aucun moment on ne parvient à rêver ni à vibrer devant la faiblesse du scénario.

Enfin, une aventure digne de ce nom !

Heureusement, l’épisode suivant est mieux réussi. Le dessin est plus abouti et le scénario plus accrocheur. Dans L’homme qui ne voulait pas mourir, Tanzafio, l’oncle de Fantasio, que Spirou a sauvé avec son Fantacoptère, revient chez lui prendre de l’eau de jouvence pour ne pas vieillir. Il tombe sur Zantafio et sur Fantasio. Fantasio appelle Spirou à l’aide. Ce dernier est chez le psychanalyste (mais l’idée, intéressante, n’est pas exploitée, juste effleurée). Zantafio vole le carnet de son oncle. Il y trouve l’endroit où est l’eau de jouvence, le Guaracha. Il s’ensuit une course poursuite jusqu’à ce pays. Là, deux factions s’opposent. L’une dirigée par une jeune fille, Katxina, qui prend le parti des indiens. L’autre avec un chef, Selvo, qui lutte contre les extrémistes indiens. En fait, ce sont deux êtres qui s’aiment et qui sont promis l’un à l’autre. Dans la guerre qui suit les deux amants sont blessés à mort. Tanzafio se sacrifie et meurt après les avoir fait revivre en les baignant dans l’eau de jouvence.

Tokyo et c’est tout…

Par la suite, les auteurs retombent dans leurs travers avec un dessin approximatif et une absence de scénario au profit d’une visite de Tokyo où les auteurs ont été faire des repérages. On dirait qu’ils ont voulu privilégier la visite guidée de Tokyo plutôt que raconter une histoire, laquelle passe au second plan. Dans l’album A Tokyo, Spirou et Fantasio sont chargés par l’illusionniste japonais Itoh Kata (un personnage de Fournier) de secourir deux enfants doués de pouvoir paranormaux (inspiré d’Akira), Loon et Kow. Mais, ils doivent combattre la mafia locale. Kow ne fait confiance que dans les sans-logis qui ont été exploités par les clans de la mafia. En guise d’humour, on nous montre Fantasio pressé d’aller aux WC et victime de la chasse d’eau. Puis, le même en proie à une fièvre d’achats car tout est mieux et moins cher au Japon. Tout se termine par une bataille rangée entre les sans-logis et les gangs mafieux et par un banquet digne d’une aventure d’Astérix. En fait, outre la reconstitution de Tokyo, il ne se passe pas grand-chose. L’épisode est prolongé par un recueil, Le guide de l’aventure à Tokyo, qui fait l’historique du japon ancien et moderne. Il propose aussi une grande première avec un récit de Spirou sous forme de manga qui raconte la jeunesse de Spirou dans un hôtel de Tokyo (hommage à Rob-Vel). Mais ce n’est guère concluant car ce manga n’a pas été publié chez nous et le projet semble gelé.

Le tandem jette l’éponge sur un dernier flop…

Aux sources du Z est le dernier Spirou de Morvan et Munuera, remerciés par Dupuis. Ils ont essayés d’innover en faisant appel au scénariste Yann (Cœurs d’Acier, Freddy Lombard, Le marsupilami, Le tombeau des Champignac, Les Innomables, Pin-up, Les éternels). Hélas, Yann nous ramène seulement en arrière avec des flashs back sur des aventures signées Franquin. Zorglub fait appel à Spirou pour sauver la vie de Miss Flanner, victime d’un cancer mortel. Il invite notre héros à effectuer des voyages dans le temps pour revenir à l’époque où Miss Flanner a été irradiée. Gare à l’effet papillon! On revisite Le gorille a bonne mine, La mauvaise tête, Le dictateur et le champignon, La corne du rhinocéros, Z comme Zorglub, 4 aventures de Spirou et Fantasio. Spirou est habillé d’un costume ridicule. Par ailleurs, il ne peut s’empêcher d’embrasser Seccotine (ce n’est pas la première fois que sa sexualité s’éveille comme l’ont déjà montré Tome et Janry dans Luna fatale, Machine qui rêve, comme Yann dans Le Tombeau des Champignac et Bravo dans Le journal d'un ingénu). Sans vouloir déflorer la fin de l’intrigue, on se demande si les auteurs n’ont pas voulu saborder la série. En effet, dans le futur, Spirou a épousé Miss Flanner et il existe en deux exemplaires au même moment, au même endroit. Est-ce la fin de ses aventures ? Comment imaginer une suite compréhensible ? Munuera a toujours autant de mal à dessiner les personnages et surtout les décors, mais, c’est le seul à tirer son épingle du jeu. En effet, le scénario est téléphoné et la seule trouvaille et surprise de taille est le dénouement de l’aventure. Ajoutons que le voyage dans le temps et l’effet papillon ont fait l’objet de nombreux films et ont déjà été exploités par Tome et Janry (L’Horloger de la comète et Le réveil du Z). Il est à espérer que les prochains repreneurs sauront nous faire vivre des aventures de Spirou plus passionnantes.

Une brillante réussite: le Spirou de Bravo !

Il convient de noter que Spirou se décline aussi en albums Hors série (HS). Le principe est de prendre un auteur différent pour chaque album qui constitue un one shot. Le premier HS réunit le scénariste Fabien Velhmann et le dessinateur Yoann Chivard qui nous gratifie d’un Spirou laid et hirsute dans Les géants pétrifiés. Le récit tourne autour de découvertes archéologiques et de monstres venus d'un autre âge. Ce n’est guère palpitant. Ensuite, pour Les marais du temps, Frank Legall nous livre une histoire de voyage dans le temps (encore) et plus précisément dans le passé. Le dessin n’est pas déplaisant et le scénario n'est pas mal du tout. Ensuite vient Le Tombeau des Champignac de Yann et Tarrin Si le graphisme est plaisant (dans le style Franquin), le scénario est excellent. Il est question d'une crypte, d'un ancêtre du comte et d'une princesse momifiée. Mais le plus réussi est Le Journal d’un ingénu de Emile Bravo. Le récit se situe en 1938. Spirou est groom au Moustic Hôtel (nouvel hommage à Rob-Vel) et rencontre Fantasio qui l’exploite. Il tombe amoureux (d'une espionne) et propose une solution pour empêcher une guerre mondiale, mais Fantasio fait tout échouer. Le graphisme est celui des années 40; le scénario s'inscrit dans un contexte historique réel. C'est naïf, c'est clair, c'est limpide et passionnant. Emile Bravo, retenez ce nom: voilà un auteur qui pourrait reprendre la série… D’autres one shot sont prévus et on espère qu’ils apporteront des idées neuves.

Marc Bauloye

Spirou et Fantasio Aux sources du Z T50 Munuera Morvan Yann Dupuis



Publié le 23/11/2008.


Source : Marc Bauloye

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