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Bastien Vivès, 25 ans, aime le dessin, le foot et le vélo. Il est devenu la coqueluche du monde de la BD après avoir réalisé Le goût du chlore, un très bel album tout en nuances de vert qui raconte une rencontre dans une piscine entre un adolescent et une nageuse. Bastien a enchaîné avec Dans mes yeux, une histoire d'amour en caméra subjective: on ne voit que la fille... A l'occasion de la sortie d'Amitié étroite, il m'a accordé une interview exclusive. Ce nouvel album explore les sentiments de deux jeunes gens qui vivent une amitié particulière et pose la question de savoir si une telle amitié est possible sans déboucher sur de l'amour. On ne peut s'empêcher d'être séduit et captivé par le ballet des corps et les couleurs splendides de cette BD...
Marc Bauloye: As-tu vécu une amitié particulière avec une fille comme dans Amitié étroite ?
Bastien: Oui, pendant mon lycée, j'ai vécu une amitié profonde avec une fille. Comme la plupart des adolescents. On découvre à ce moment qu'on peut avoir des discussions avec une fille, des points communs. Elle m'a complètement changé. C'était une amie. Puis, j'ai passé cinq ans de ma vie avec elle. Même après notre séparation, on est restés amis. Il y aura toujours un profond respect entre nous. Je ne l'ai jamais détesté.
MB: Francesca et Bruno sont-ils inspirés de personnes réelles ?
B: Oui, pour Bruno, je me suis inspiré de Brel. Je le trouve magnifique en tant qu'artiste et physiquement, j'aurais aimé avoir sa gueule. Je trouvais qu'il était tellement expressif. Pour Francesca, je me suis inspiré d'une actrice italienne. Je l'avais vu dans un film de romance et je la trouvais superbe. Pour les caractères, j'ai ajouté des éléments que j'ai observé ailleurs.
MB: Crois-tu qu’une véritable amitié entre un garçon et une fille soit possible ?
B: C'est une question que je me suis posé. Avec mon meilleur ami, je sais qu'on ne peut pas faire l'amour. Pour moi, ce serait gênant. Donc, on peut profiter de notre amitié. On est là l'un pour l'autre. Et, c'est fort. Par contre, avec une fille, une amitié est possible jusqu'à un certain point. Mais, à un moment, il y a toujours un des deux qui magnifie l'autre. Et, cela fait prendre conscience de ce qu'il y a à perdre ou à gagner en allant plus loin. Donc, si c'est possible en théorie, en pratique, il faut avoir conscience des réalités et savoir que ce ne sera jamais vraiment uniquement de l'amitié. Cela reste toujours ambigu.
MB: Après le succès du Goût du chlore et de Dans mes yeux, on attend de toi de nouvelles prouesses. Cela devient-il difficile de surprendre le lecteur et l’éditeur ?
B: Non, je ne cherche pas forcément à surprendre. Je continue dans mon chemin logique des choses. Depuis que je fais des histoires, je raconte ce qui me touche. Jusqu'à présent, je m'intéressais aux relations entre un garçon et une fille et donc, ce sont les scénarios de mes histoires. Mais, je sais que les prochains projets ne sont pas du tout dans cette veine là. Il y aura des armées romaines dans une odyssée. Ou une danseuse étoile de ses six ans à ses quarante ans et la relation professeur/élève. Les choses évoluent. Amitié étroite, je l'ai fait, il y a un an. Le goût du chlore n'était même pas encore sorti. L'attente du lecteur ne me dérange pas du tout. J'essaye d'évoluer et de me concentrer sur l'instant présent.
MB: Combien de temps prend la réalisation d’un album comme Amitié étroite ?
B: Amitié étroite, c'est particulier. Je suis avec un coloriste pour cet album, Romain Trystram. Je suis parti en Italie pour dessiner cette BD et cela m'a pris deux mois et demi. Et puis, Romain a fait toute la couleur et cela a pris un certain temps. Pour Dans mes yeux, cela a pris entre six et sept mois.
MB: Tu as eu un prix à Angoulême pour Le goût du chlore et le prix 9 de la BD pour Dans mes yeux. Comment vis-tu ce succès ?
B: Cela me fait plaisir parce que je suis reconnu par mes pairs. C'est agréable et cela me donne une crédibilité. Mais, je n'ai besoin de cela car pour dessiner, j'ai toujours l'envie, la passion et la motivation. J'ai encore beaucoup de choses à raconter. Cela me permet aussi de penser qu'on lit et qu'on aime mes albums.
MB: Qu’est-ce qui t' a poussé à faire de la BD ?
B: J'ai toujours aimé le dessin et je dessine depuis que je suis petit. Il y a trois ans, je me suis rendu compte que ce que je voulais par dessus tout, c'était raconter des histoires. J'ai fait un calcul dans ma tête pour me demander quelle était la meilleure façon de le faire. L'illustration et le dessin animé ne me convenaient pas. Mais, la BD, c'était parfait. Je me suis jeté dedans et j'ai appris énormément en faisant mes premiers albums et en regardant ce qui existait. Je découvre des trucs hallucinants tous les jours.
MB: Peux-tu nous retracer ton parcours dans la BD ?
B: J'ai fait les Gobelins, une école de dessin animé. J'avais publié deux bouquins d'illustrations sur Poungi, un personnage que j'animais sur le web. En fin de deuxième année, on devait faire de la 3D et cela ne me plaisait pas. Donc, j'ai eu envie de faire de la BD. Puis, j'ai dessiné huit planches et je les ai envoyé à Glénat car j'avais un ami auteur dans cette maison d'édition. Sans réponse de leur part, j'ai envoyé mes dessins à Casterman, Dupuis, Dargaud, Delcourt, Lombard. Casterman et Delcourt ont répondu et j'ai choisi Casterman. Puis, j'ai fait Elles et Hollywood Jan. J'ai été bien soutenu. Casterman, c'est la mecque de tout bon auteur de BD. Quand je vois ma première BD, avec ses erreurs, je pense que c'est un miracle qu'elle soit sortie chez Casterman.
MB: Pourquoi est-tu parti en Italie pour dessiner Amitié étroite ?
B: Je voulais m'inspirer du comportement des italiens car j'étais tombé amoureux de la culture italienne, leurs films, leur langue. Le statut de l'homme et de la femme sont un peu magnifiés. Cela m'attirait et je suis parti là-bas trois mois. J'ai fait un colloque dans une petite ville, Urbino. J'ai rencontré des gens supers. C'était génial et cela m'a mis dans un rythme de travail acharné.
MB: Quel type de lecteur penses-tu toucher ?
B: Je n'ai pas vraiment d'idée, mais je suis souvent surpris par la diversité des gens qui peuvent accrocher à mes histoires. Mais, je pense que mes lecteurs doivent avoir entre dix-huit et trente ans.
MB: Pourquoi alternes-tu deux types de graphisme dans Amitié étroite ?
B: C'est vraiment purement au niveau narratif. Comme il y a des flashs backs, je voulais que, dès le début, on ait l'impression d'un sentiment fort sans savoir de quoi on parlait. Cela crée une rupture. J'ai fait cela avec Romain. Ce sont comme des souvenirs. On ne se rappelle plus les visages. Ce sont des ambiances. Cela nourrissait l'amitié entre Francesca et Bruno.
MB: Quelle importance donnes-tu à la couleur ?
B: Pour moi, c'est un élément narratif hyper important. Notamment, pour traduire le temps qui passe. C'est un moyen de créer de nombreuses ambiances différentes. Quand la couleur est bien faite, on a plein d'informations sur l'histoire et les émotions. C'est aussi une question de lisibilité. Dans une BD, il faut rentrer tout de suite dedans sans être heurté. La bonne couleur rend la narration plus fluide.
MB: D’où vient cette impression que tu as déjà une longue expérience derrière toi ?
B: Je pense que c'est parce que mon père était illustrateur. Et depuis que je suis petit, le dessin a toujours été quelque chose de sérieux. Je me suis toujours beaucoup appliqué. Et pendant que les enfants de mon âge jouaient, moi, je dessinais !
MB: Est-il vrai que tu as réalisé l'album par ordinateur ?
B: Oui, tout l'album a été réalisé par ordinateur. Comme Le goût du chlore. Cela me convient très bien.
MB: Quel effet cela fait-il d'être exposé au Centre Belge de la Bande Dessinée ?
B: De la fierté. J'y suis venu enfant. Et, cela me ravit d'y revenir ainsi.
MB: Quels sont tes projets ?
B: Je vais faire trois albums (Poissons Pilote) chez Dargaud avec Merwan Chabane (Fausse garde). Et, là, chez Casterman, je vais sortir une BD sur la danse classique.
Propos recueillis par Marc Bauloye
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