Rencontre avec Frank: retour sur Zoo
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Rencontre avec Frank: retour sur Zoo

Après trois albums superbes de Zoo, Frank Pé dit Frank clôture provisoirement la saga par un livre somptueux intitulé La visite. En fait, un artbook riche en images et croquis. Frank a bien voulu m'accorder une interview exclusive. Créée avec Philippe Bonifay, Zoo est une histoire émouvante de gens simples. Médecin, Célestin crée son propre zoo en Normandie avec Manon, Buggy et Anna. L'arrivée de la guerre va bouleverser la vie routinière de ce lieu enchanteur. Oeuvre forte, à la fois réaliste et humaniste, Zoo est devenu un incontournale de la BD. Frank a suivi des études artistiques à Saint-Luc à Bruxelles. En 1973, il réalise une carte blanche pour le journal Spirou. En 1978, il crée Broussaille, un jeune garçon qui aime la nature et deviendra un héros à part entière en 1984 (sur un scénario de Bom). Son amour des animaux pousse Frank à réaliser des dessins pour des associations de protection de la nature.

Marc Bauloye: Comment est née l'idée de Zoo ?

Frank: C'est une vieille histoire. Le projet est né il y a une vingtaine d’années. A cause de ma passion pour les animaux et les jardins zoologiques. A l'époque, je faisais Broussaille et je voulais aborder une histoire avec des éléments que je ne pouvais pas mettre dans cette série. Il fallait que ce soit plus réaliste, plus profond, moins caricatural et moins humoristique. Mon idée, c'était d'utiliser le lieu zoo comme un lieu d'élévation. Partant de là, je trouvais que c'était assez audacieux comme type de travail et j'ai demandé l'aide de Philippe Bonifay. C’est lui qui a apporté tout un aspect psychologique à l'histoire. Nos deux univers se rencontrant, cela a donné Zoo. Mais, Zoo est vraiment né pendant les journées et les nuits innombrables de travail entre nous…

MB: En quoi Zoo La visite (l'artbook) est-il le prolongement du récit conté par Philippe Bonifay ?

F: La visite se veut avant tout un livre d'images. Au départ, on voulait recueillir en un seul bouquin ce qui avait été fait autour de l’univers de Zoo. Des images uniquement faites pour le plaisir des yeux. Comme j'ai eu beaucoup de demande dans ce sens là, je trouvais cela juste qu’on les réunisse en un seul ouvrage. Mais, évidemment, des images ne font pas forcément un bon livre. Donc, on s'est dit qu'on allait ajouter du texte et essayer de structurer l’ouvrage avec une idée. En fait, c'est une sorte de lien entre le tome 3 et le livre qui va sortir qui sera un roman. Ainsi, on a un trait d'union…

MB: Que devient Broussaille que vous réalisiez seul depuis les années 2000 ?

F: Broussaille dort dans un tiroir depuis sa dernière véritable aventure qui était La Nuit du chat. Il y a eu deux autre albums qui étaient Sous deux soleils et Un Faune sur l'épaule. Sous deux soleils, c'étaient deux histoires de voyage. J'ai voulu profiter de la matière acquise pour en faire un album. La première histoire au Japon a été réalisée d'une manière très spontanée puisque j'ai fait les dessins pendant le voyage. Je dessinais au jour le jour ce que je voyais. Pour ce qui concerne l'Afrique, il y a eu beaucoup plus de recul. C'est avec Bom que j'ai repris toutes mes notes de voyage au moins un an après être rentré. Pour le faune, j'ai eu envie de le faire seul. Ce n'est pas vraiment une histoire, c'est plus un essai en BD sur un thème qui est difficile. Ces deux albums sont un peu des parenthèses. On me pose souvent la question de savoir si l'on verra encore une vraie histoire de Broussaille. Je réponds toujours oui car je n'ai pas envie de le laisser tomber. Il me colle à la peau de toute façon. Le problème, c'est le temps. Mais, il y en a un autre qui est apparu. Je ne suis plus sûr que Broussaille soit encore vraiment adapté au monde actuel. Cela vaut pour le style du dessin et pour définir quel propos tenir. La question est: Broussaille parle-t-il encore aux jeunes de maintenant. Je n'ai pas envie de m'adresser uniquement aux nostalgiques qui ont quarante ans aujourd'hui. Je fais Broussaille pour le grand public, pour les jeunes. Or, le lectorat a changé et je ne suis pas sûr de bien savoir à qui je m'adresse. Donc, il y a un questionnement qui s'est enclenché. Cela se clarifie régulièrement mais je n'ai pas encore d'ouverture pour fixer la date du nouveau Broussaille.

MB: D'où vous vient cet amour pour les animaux ?

F: Il y a une approche psychanalytique. Dans ce sens, l'animal représente pour moi une sorte de refuge par rapport au monde des parents. Quand, j'étais enfant je me réfugiais dans les bouquins d'animaux. Cette passion des animaux s'est transformée, s'est renouvelée. A chaque période de la vie je m'y suis intéressé différemment. Donc, j'ai connu une période où j'étais plutôt scientifique, d'autres plutôt critique, d'autres artistique. Toujours autour de ce monde animalier. L'évolution du monde fait que j'ai toujours envie de m'y intéresser maintenant.

MB: Pourquoi avoir dessiné les portraits héroïques ? Qui est à l'origine de cette riche idée ?

F: C'était vraiment une envie. Le premier portrait a été celui de Champignac que j'ai fait avec un plaisir immense. J'avais en mémoire un magnifique portrait au fusain de Champignac fait par Franquin. Tout à coup, on voyait un personnage de BD prendre des traits assez réalistes, crédibles. Cela c'est une anecdote. L'autre anecdote: je devais avoir 25 ans et je me baladais dans la galerie des Offices à Florence. Il y a une quantité de portraits dans cette galerie là. Ils courent sur plusieurs siècles. Toujours avec la même volonté de faire le portrait de quelqu'un. J'ai été fasciné par le rendu vivant de ces personnes qui étaient mortes depuis longtemps. J’ai découvert l’art du portrait. Cette tentative désespérée de fixer sur une toile toute l'âme d'un être vivant. En mettant ces deux anecdotes ensemble, je me suis dit que cela serait intéressant de faire un travail qui soit une approche de personnages de BD. Une approche de gens avec lesquels on a un lien affectif. Pour reprendre Champignac, on l’aime bien. Pourtant, ce sont des personnages humoristiques. Les traits sont extrêmement caricaturaux. Ce serait un formidable défi d’imaginer qu’ils ont vraiment existé et que leurs auteurs en ont fait des caricatures. Ayant la liberté de faires des portraits réalistes, je pourrais faire ce genre de portrait. Et, donc toucher là une part de leur âme un peu plus large. Cela, c’était le Champignac. Et, puis j’ai eu envie d’en faire d’autres.

MB: Pourquoi êtes vous si peu productif ?

F: C’est vraiment une question provocatrice et qui fait mal. Je travaille beaucoup. Du matin au soir. Et, je travaille très vite. Donc, je ne sais pas d’où vient cette idée que je produis très peu ou très lentement. Il suffit d’aller voir sur mon site: il y a plus de 2400 images faites à la main. Je suis vraiment très productif. De plus, je suis actif dans beaucoup de domaines qui sont des disciplines à part entière: BD, sculpture, illustration, fresque, spectacles, dessin animé, scénographie, expos, parc à thème …Tout cela prend du temps et de l’énergie, et c’est toujours pour moi l’occasion de développer mon univers autrement. Mais, il est vrai, je ne fais pas beaucoup d’albums. Je ne suis pas très présent en BD...

MB: Quels sont vos projets ?

F: D’abord côté Zoo, après La visite, il y aura un livre qui sera plutôt un roman avec des images. Ce sera plus le livre de Bonifay. Ce roman sera un pas de plus dans l’histoire. Après ce roman, il y aura le tome 4 en BD. Ce n’était pas prévu dans la saga. Mais, il se fait qu'on a eu une idée après le tome 3. C’est quelque chose qui va complètement équilibrer le cycle. Autant le cyle des trois albums forme une tendance. Autant le quatrième va tout à fait rééquilibrer l’ensemble. On a trouvé intéressant de faire cela. De toutes façons, je n’étais pas prêt à abandonner les personnages comme cela. Ensuite, il y a un film qui va sortir au printemps. C'est l’adaptation de Quartier lointain de Taniguchi réalisé par un belge, Sam Garbarski. L’histoire est adaptée pour l’Europe. Le personnage vit en France. Cela n’a plus rien de japonais. Le héros est un dessinateur de BD. Aussi, Sam m’a demandé de produire tout ce que dessine ce personnage: ses planches, un faux album, son atelier. J’ai tout dessiné. Le film sortira avec une petite exposition qui reprendra des dessins inédits. Enfin, je fais de plus en plus de sculptures. Je viens de finir cinq pièces qui vont être commercialisées et je commence cinq nouvelles pièces. J’aurai ainsi une quinzaine de sculptures bronzes en vue d’une prochaine exposition qui se passera dans la province de Liège .En ce qui concerne le projet Atelier Zoo, le parc à thème sur l’Art animalier – avec des vrais animaux ! – il est au frigo pour l’instant. Mais le plus gros projet, et ce devrait être ma prochaine BD, c’est un Spirou et Fantasio one shot. Ca se passera dans le monde du cirque et des galeries d’art. Pas encore de dates.

Propos recueillis par Marc Bauloye

 



Publié le 04/03/2010.


Source : Graphivore

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