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Les Derniers Jours de Stephan Zweig ou l’évocation de l’exil brésilien de l’écrivain et de sa seconde femme. Ce beau succès de librairie semble particulièrement inspirer son auteur, Laurent Seksik, car il vient de le transposer en pièce de théâtre. En attendant ce rendez-vous, le romancier s’est associé à Guillaume Sorel pour vous en proposer une adaptation en bande dessinée.
Laurent Seksik, qu’est ce qui vous a motivé à adapter votre roman en BD ?
Seksik : J’ai adapté mon roman en bande dessiné parce que je pensais que cela pouvait servir cette histoire. Cette histoire de Stephan Zweig, qui est à la fois exceptionnelle et tragique, qui se déroule dans un lieu d’exception qui est le Brésil, pouvait autant être valorisée par la BD que par le roman. C’est une autre façon de raconter cette histoire qui me tient à cœur depuis des décennies et qui, je pense, méritait d’être vu autant que lu.
Hormis la BD, vous êtes aussi en train d’adapter votre roman en pièce de théâtre. Dans le cas de cette histoire, j’ai l’impression que le seul medium du roman ne vous suffit pas.
Moi, j’ai l’impression qu’une vie ne suffit pas.
En fait, je ressens une soif d’apprendre comment se fait une BD, un film ou une pièce de théâtre. Le roman suffit à ma vie de romancier mais il ne suffit pas à ma vie tout court. Ecrire des romans, des pièces de théâtre ou des scénarios de BD, est une manière pour moi de goûter à toutes les manières d’écrire et de mieux croquer la vie.
Après, il est vrai que l’on ne peut pas tout réussir. Il y a des pièces ou des
romans qui ne sont pas bien écrit ou bien réalisé. Vous avez, par exemple, des romanciers qui se lancent dans la réalisation de films. Moi, ce n’est pas cela qui m’intéresse car je souhaite rester dans le domaine de l’écrit et du mot. Le mot n’est pas pareil lorsqu’il est dans le roman, dans une pièce de théâtre ou dans une BD parce que l’expression est différente. Et je cherche en fait à étudier toutes les expressions du mot, du monde de l’écrit, que l’on pourrait imaginer en disparition à cause de la concurrence de l’image. Pourtant, le mot sera toujours à la base d’un film ou d’une bonne bande dessinée. Une BD c’est une adéquation entre le texte et l’image. Tandis que dans le théâtre, le texte est au service de l’acteur. Pour le roman, on est seul et on essaye de se prêter les meilleurs mots possibles.
Si je vous ai bien suivit, on peut conclure que Guillaume Sorel a fait beaucoup plus que dessiner votre scénario, il vous a initié à l’art de la BD. Est-ce bien cela Guillaume ?
Sorel : Oui, clairement ! L’idée, ce n’était pas que je sois juste un illustrateur du roman de Laurent mais il fallait que j’aie aussi mon mot à dire quant à la réalisation de cet album.
Après, ce qui est assez rigolo c’est que l’on n’a pas spécialement parlé du rapport que Laurent a vis à vis de la BD. Je sais que Laurent est un lecteur de BD mais nous n’en avons jamais discuté.
Pour en revenir à la réalisation de cette BD, on s’est posé autour de la table. On s’est mis d’accord sur un sujet, sur un personnage qui nous passionne tout les deux. Mais d’un autre côté, je ne sais pas si on peut parler d’une initiation car je n’ai jamais eu le sentiment que j’initiais Laurent à la BD car pendant la réalisation du livre, j’étais dans mon grand plaisir. C'est-à-dire que j’aime le dessin et la coloration mais j’aime encore plus la mise en scène ! A partir de la matière qui est le scénario, je fais mon découpage, je réalise les cases et je montre comment je vais organiser l’espace et les personnages. Je montre comment les acteurs de ma BD vont jouer. C’est vraiment comme une mise en scène de théâtre ! On s’est posé ces questions là ensemble mais on ne s’est jamais posé la question du média bande dessiné. Cela a été un plaisir immédiat d’entrer dans le vif du sujet et je ne me suis jamais posé la question de savoir quels étaient les rapports de Laurent avec la BD.
Seksik : En fait, on a pu directement entrer dans le vif du sujet parce que je n’ai aucuns aprioris.
En effet, je découvre le métier d’auteur de bande dessiné mais au final, c’est le résultat qui déterminera si je suis un auteur de BD ou pas. Lorsque l’on écrit un roman, on ne sait pas si on est romancier. C’est une fois que le roman est écrit que les autres vous qualifient d’écrivain, même si vous pouvez sentir à l’intérieur de vous-même si vous êtes fait pour ce métier ou pas.
Guillaume Sorel, avez-vous abordé le graphisme de cette histoire différemment par rapport à vos autres BD ?
Dès le départ, je savais que j’allais procéder différemment que d’habitude. Etant donné que je travaillais sur des personnages historiques et une période précise, il fallait que j’effectue un travail de documentation. Mon but n’était pas de coller au plus près de la réalité mais il fallait trouver le ton juste, graphiquement parlant. Et puis, le fait de travailler sur le Brésil m’a obligé à trouver une autre technique de mise en couleur car j’ai l’habitude des décors de terres du Nord, de maisons en colombages, etc. Il me fallait pour cet album-ci des couleurs plus chaudes et éclatantes.
Pour l’occasion, j’ai changé mon papier et j’ai opté pour un papier qui fait éclater les couleurs de façon plus intéressante. J’ai vraiment changé beaucoup de choses pour cette histoire. Une partie de ces changements ont été volontaires et d’autres ont été involontaires car je me suis vraiment laissé porté par le projet. Et c’est d’autant plus intéressant de voir le naufrage d’un couple dans un univers lumineux et luxuriant. Il fallait que je joue sur le contraste entre le lieu et la noirceur du destin des protagonistes.
Laurent Seksik et Guillaume Sorel
Stephan Zweig a été éduqué en tant qu’autrichien, dans une sorte de déni de sa culture juive d’origine. Mais tout au long de sa vie, celui-ci a souffert des persécutions que subissaient les Juifs et aussi du fait qu’il était toujours perçu comme étant un étranger partout ou il allait.
En lisant cette histoire, je n’ai pu m’empêché de penser au débat français sur l’identité national. Avez-vous pris en compte cet aspect lors de la conception de cet album ?
Seksik : Moi, je ne voulais rien montrer et rien expliquer mais ce qui est intéressant c’est que dans son œuvre, il ne parlait pas de ses origines mais il y avait tout de même deux ou trois nouvelles qui ont été entièrement consacré à cela.
Au sujet de son éducation, il faut savoir qu’à l’époque il y avait une volonté de s’assimiler complètement au monde extérieur et au monde viennois et sa famille se considérait plus autrichienne que juive.
Il n’y a pas de moral là dedans du genre si on quitte ses origines, celles-ci vous rattrapent mais il y a peut être une réalité. En effet, on peut être rattrapé par l’histoire. A partir du moment où l’Histoire s’attaque à vos origines, on ne peut pas fuir ce que l’on est et d’où l’on vient. Il n’y a pas de vision moraliste mais un constat que l’Histoire peut vous rappeler qui vous êtes.
Stephan Zweig n’a jamais nié ce qu’il était mais c’est juste que ce n’était pas son sujet de prédilection et heureusement d’ailleurs ! C’est juste qu’il a vécu à une période ou il ne pouvait pas échapper à son destin.
A propos du débat français sur l’identité national, j’ai un peu de mal à répondre à cette question. Stephan Zweig était un écrivain et pour moi, un écrivain n’est pas une personne qui réfléchit à des questions de sociétés, comme pourrait le faire un sociologue ou un philosophe, c’est quelqu’un qui traduit une émotion et un ressenti. Donc, je n’ai pas de discours là-dessus.
Je sais qu’il y a des périodes de l’Histoire qui sont plus noires que les autres et qu’elles ne vous laissent pas le choix en tant qu’individu. Ce sont des périodes tragiques et ce qui est intéressant pour un artiste c’est de pointer du doigt ces moments là ou la tragédie est plus proche et les destins sont intéressants.
J’aurais du mal à rapprocher Stephan Zweig à l’UMP car pour moi ce sont des choses qui ne vont pas ensemble.
Sorel : En ce qui me concerne, j’ai aussi du mal à faire le parallèle entre les deux choses. Concernant les propos de Claude Guéant, le Ministre français de l’Intérieur, sur la hiérarchie des civilisations, je pense que Stephan Zweig ne se posait aucunes questions de cet ordre là. C’est vrai qu’il est ramené en permanence au fait qu’il est juif parce que le monde extérieur était devenu totalement hostile au peuple juif. Lorsqu’il vivait en Angleterre, ce n’était plus sa judaïté le problème mais on l’apparentait plus à un Allemand, alors qu’il était Autrichien ! Mais c’est vrai qu’il était inscrit «enemy alien » sur son passeport.
Seksik : Mais ce qui est intéressant en effet, c’est que le livre peut avoir des résonnances actuelles. Période sombre, période qui bascule. Haine qui, quelque part, germe… Ce livre parle aussi de cela même si à la base c’est l’amour et l’écriture qui en sont les propos. C’est intéressant de voir qu’une œuvre parlant d’une histoire se passant en 1942 au Brésil peut résonner aujourd’hui en France, en Belgique ou en Allemagne. Cela peut effectivement prendre une autre dimension.
Sorel : Il est vrai que le sujet du livre est un personnage qui, à cause de ses origines, ne se sentira nulle part chez lui. Là-dessus, il y a un parallèle avec notre époque ou l’on voit des gens qui errent de pays en pays et à qui ont leurs reproches leurs origines ou leurs confessions religieuses. Les Derniers Jours de Stephan Zweig est en fait un roman sur l’exil.
Interview © Graphivore-Missia 2012
Images © Casterman 2012
Photo © Missia 2012
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