Rencontre avec Léonard Chemineau
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Rencontre avec Léonard Chemineau

A l’occasion de la sortie de l’album Les amis de Pancho Villa dans la collection Rivages/Casterman/Noir, Léonard Chemineau, un parisien, m’a accordé une interview exclusive. L’album raconte la vie d’un proche de Villa. Chihuahua, Mexique, 1910. La révolution est en marche. La guerre civile vient de commencer à cause d’une lutte de politiciens, Diaz contre Madero que rejoint Pancho Villa, assassin notoire. Rodolfo Fierro, dit Rudy, fraîchement sorti de prison, croise la route des insurgés de Villa, qui tuent, pillent et rançonnent pour le compte de la révolution. Rudy, un autre assassin, choisit de se joindre aux forts pour opprimer les faibles. Il est accueilli à bras ouverts par Villa, au charisme exceptionnel, qui aime les bons tireurs… Dessinateur et scénariste, Léonard Chemineau adapte ici avec talent, pour sa première bande dessinée, un roman de James Carlos Blake qui nous fait vivre la guerre civile mexicaine de l’intérieur. Le cadre historique est parfaitement respecté. Le personnage de Pancho Villa est criant de vérité. Chemineau retrace l’histoire violente et complexe de Blake sans avoir peur de montrer l’insoutenable et l’horreur. Pour le reste, il nous offre un formidable récit avec en toile de fond la chronique minutieuse et crue de la révolution mexicaine. Entre brigandage et politique, une histoire d’hommes tour à tour horrifiante et passionnée, forgée dans la violence et l’exaltation révolutionnaire, par delà la morale, par delà le bien et le mal. Graphiquement, Chemineau réussit un petit exploit en livrant un pavé de 130 planches. Son trait précis et évocateur dessine une galerie de portraits hauts en couleurs.

Marc Bauloye : Pourquoi as-tu décidé d’adapter le roman de James Carlos Blake ?

Léonard Chemineau : J’ai rencontré un responsable de Casterman en janvier 2009. J’avais été sélectionné au concours jeunes talents. Mes planches étaient exposées et les rencontres avec des éditeurs étaient possibles. Dans mes cartons, j’avais déjà un projet d’adaptation d’un roman qui se passe au Mexique et qui parle de la révolution mexicaine dans les rangs de Pancho Villa. Ce projet n’avait pas encore vu le jour et Casterman avait ce roman de Blake sur Pancho Villa. Cela correspondait à ce que j’avais fait. On m’a donc proposé d’adapter le roman de Blake.

Pourquoi t’es-tu lancé seul dans l’aventure ?

Je préfère me lancer seul dans une aventure de BD. On a vraiment une liberté extraordinaire pour travailler du début à la fin de l’album. J’avais proposé de faire aussi les couleurs mais mon choix n’a pas été retenu. Casterman  avait déjà des coloristes et leur travail s’est avéré meilleur que ce que j’aurais pu faire. Pour l’adaptation scénaristique, l’encrage et le dessin, c’est moi qui l’ai fait. La liberté était beaucoup plus grande. Je pouvais inventer de nouveaux personnages et faire le lien entre les différentes histoires dans le roman pour que cela puisse se lire d’une seule traite du début à la fin.

Quelle est la principale difficulté d’une adaptation ?

C’est d’avoir à choisir entre les scènes du roman. Le roman est toujours plus dense qu’une BD. Il y a toujours beaucoup plus de choses qui sont racontées dans le livre. Le roman fait 350 pages de furie ! Il se passe plein de choses. Le plus difficile a été de couper dans le vif et de garder juste le meilleur du roman de Blake  qui foisonne d’anecdotes.

 

 

 


Est-ce ta première bande dessinée ?

Oui, tout à fait. C’est ma première bande dessinée ! Avant, j’ai participé à un collectif publié par l’Association Normande de BD. J’ai aussi été publié dans des petits fanzines.

As-tu été fasciné par la psychologie des personnages ?

Oui. C’est une des choses les plus fascinantes dans cette histoire. Il y a l’état psychologique des personnages au début et comment cet état évolue au fil de l’album. Pancho Villa, au début, c’est un bandit de grand chemin. Il n’a pas dans l’idée de faire une révolution. Ce qui l’intéresse, c’est l’argent. Puis, il comprend que son pays est en danger et que lui peut changer les choses. Il prend le pouvoir. Il évolue et Rudy, le héros de l’histoire, fait pareil. Au début de la BD, il n’est pas vraiment acteur de sa vie. C’est un bandit de grand chemin au Mexique. Il croise la route de Pancho Villa qui, lui, a trouvé son idéal. Il suit cette force vive qui va les emmener jusqu’à Mexico… Ils ont tous une psychologie différente mais ils sont tous intéressants à faire vivre. En outre, ils ont un autre rapport à propos de la vie et de la mort que nous européens. La mort ne leur fait pas peur…

Es-tu attiré par la violence ?

Pas plus que cela ! Mais, si j’avais été attiré par la violence, j’aurais pu dessiner les choses de façon plus réaliste au lieu d’avoir des personnages avec des traits caricaturaux. J’ai voulu que les personnages soient un peu humoristiques. D’accord, il y a des massacres, des gens qui meurent… Mais, c’est de la BD. C’est une histoire vraie, mais, je voulais que cela reste de la BD. Que ce ne soit pas dramatique ! Et, cela correspond pas mal à l’état d’esprit que les mexicains ont de cette histoire. Pour eux, la mort n’est pas si grave. Elle fait partie de la vie. Pendant la révolution, c’était pareil. Il y avait des naissances et des morts. C’était la révolution. Mais, la mort avait moins d’importance que chez nous. Je le fais passer dans le dessin. Mais, je n’ai pas de fascination morbide pour la violence.

Quelle a été ta formation à la BD ?

Je suis autodidacte. Je n’ai pas de formation spécifique. J’ai lu beaucoup de bandes dessinées. J’ai beaucoup dessiné. J’ai travaillé pour des fanzines et j’ai participé à des concours dans les festivals.

Parle-nous de ton parcours.

J’ai dessiné pour un collectif dirigé par l’Association Normande de BD. J’ai publié des histoires dans des fanzines. Mais, en réalité,  je suis aussi ingénieur de formation. Je suis ingénieur en gestion d’énergie et des ressources.  Et, j’ai fait un doctorat d’ingénieur industriel.  J’avais un travail d’ingénieur de recherches en environnement. Mais, maintenant, j’ai choisi de me consacrer à la BD et de voir ce que cela va donner. Par ailleurs, j’ai constaté que mes études nourrissaient ma BD et que l’inverse était vrai aussi. Comme les scientifiques, il y a longtemps, qui devenaient aussi des peintres.

 

 


Comment définis-tu ton style graphique ?

C’est une question difficile. Je pense qu’il est assez réaliste,  mais pas complètement. Je le qualifie de réalistico-humoristique. Je pense que des fois, je vais pas mal dans la caricature. On peut le définir comme descriptif. J’essaie de dessiner  le plus clair  possible pour qu’on puisse voir immédiatement ce qu’il faut regarder dans la page ou dans la couverture.

Qu’est ce qui a été le plus difficile à dessiner ?

Ce qui a pris le plus de temps et qui était le plus rigolo, c’étaient les scènes de bataille avec des chevaux qui se faisaient massacrer  et des hommes au milieu. Puis, il y avait des conseillers prussiens dans les tranchées et il fallait aussi mettre en scène les chevaux des combattants de l’autre côté. On pense que c’est compliqué, mais, on apprend à simplifier. On apprend tellement de choses en le faisant qu’on peut apprendre aussi au lecteur où il faut regarder…

Comment t’es-tu documenté pour réaliser cette histoire ?

J’ai été au Mexique en 2006, bien avant de faire l’album. Donc, je connaissais le climat du pays, la tête des gens, l’ambiance… Pour la révolution, il y a énormément de documentation sur internet. Il y a de grosses banques de données d’images qui existent et sont accessibles facilement. La révolution a été bien couverte par les américains en particulier. Il y a même des producteurs de films américains qui sont venus filmer la guerre en direct : on voyait donc des vrais combattants mourir réellement et Villa se faisait payer pour cela !

Quels sont tes projets ?

J’ai un projet qui se passe aussi en Amérique latine. Je suis en discussion avec Casterman pour le réaliser. J’ai un autre projet qui se passerait en France de nos jours sur les conséquences potentielles de la crise sur les gens. Ce sera une histoire complètement inédite et qui me permettrait d’explorer de nouvelles pistes graphiques…

 

Interview © Graphivore-Marc Bauloye 2012

Images © Casterman 2012

 



Publié le 30/03/2012.


Source : Graphivore

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