Rencontre avec Thierry Gloris (part 2) : Je suis un gros lecteur de romans-feuilletons
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Rencontre avec Thierry Gloris (part 2) :  Je suis un gros lecteur de romans-feuilletons

Thierry Gloris, scénariste, nous accorde un entretien passionné et passionnant. Après la première partie consacrée à sa nouvelle série événement : Une génération française. A l’occasion de sa riche actualité de rentrée (Cléopâtre 1, le troisième volume d’Une génération française, Aspic 6), voici un survol de sa déjà importante bibliographie.


Bonjour Thierry. Revenons sur quelques temps forts de ta carrière. Ton premier grand succés est le Codex  Angélique, avec Mickaël Bourgouin chez Delcourt. Comment un jeune prof passionné de BD, réunit-il à se faire publier par l’un des plus gros éditeurs du pays.
Tu passes dix ans à taper à la porte et au bout d’un moment ils t’ouvrent. Voilà, c’est aussi simple que ça.

Avec Meridia, dessiné par Joël Mouclier, tu brises des tabous et montres des scènes rarement vues en BD. Comment se fixer des limites pour ne pas tomber dans le trash ?

Alors très honnêtement je crois que je n’ai pas trop de limite à ce niveau. J’aurais plus des limites d’écriture. Avec Méridia, on est passé à côté de notre public. Je ne m’y attendais pas. Meridia est une série trash. Voulant faire de l’héroïc-fantaisy, j’ai souhaité aller vers quelque chose de plus réaliste, plus dur, dans la même veine que game of thrones, qui n’existait pas à l’époque en série télé et que je n’avais pas lu. Dans ma logique, ce n’était pas la fantasy mon vrai sujet. C’était un point d’entrée dans un univers. J’ai choisi une ligne directrice. Parti sur l’idée de Conan, je me suis dit qu’il pourrait être intéressant d’avoir un héros gay, de travailler sur des sexualités ou des sentiments un peu divergents du cliché homme fort-femme faible. Je voulais parler d’un ensemble de relations différentes. Quelques mois après, est arrivé le mariage pour tous et toutes les manifs qui ont suivi. Je suis tombé de haut car pour moi l’homosexualité dans la société française avait été acceptée par tout le monde. Méridia est tombé juste après. On n’a vraiment pas rencontré notre public. Le lecteur d’ héroïc-fantaisy veut des hommes forts et des femmes avec des gros seins. Même les critiques n’ont pas compris qu’on essayait de faire autre chose, tout en poussant les codes du genre. La petite thématique sur « Qu’est-ce que la sexualité, la bi sexualité, qu’est-ce qu’aimer ? » n’a pas été comprise. Un personnage dit : « Tu peux aller baiser qui tu veux, l’important est de ne pas leur donner ton amour, sinon tu deviens faible. Le seul amour que tu peux donner, c’est à ton chien car au moins, lui est fidèle. ». On abordait aussi le thème de la corruption. Le méchant de la série qui est un roi devient un zombie. Plus il corrompt, plus il pourri. C’était une métaphore. En fait, il y avait tout un second degré mais on est passé à côté de notre lectorat potentiel qui n'a vu qu'une énième série HF. Comme quoi, il est très difficile de sortir d’une thématique alors que le lecteur demande constamment de la nouveauté. Mais il est incapable de la trouver.

 

 

 

 

Aspic, détective de l’étrange, est ta première série au long court. C’est aussi un hommage aux freaks et à tous ces monstres de foire.
 
Aspic est plus un hommage à la littérature de la fin du XIXème siècle : Sherlock Holmes, Leroux avec Arsène Lupin. Je suis un gros lecteur de romans-feuilletons (Eugène Sue, Balzac, Zola, etc…).

Pourquoi y a-t-il un changement de dessinateur pour le cinquième album ?

Jacques Lamontagne était engagé sur deux séries : Aspic et Les druides. Lors de la reprise de Delcourt par Soleil, il y a eu un travail de rationalisation qui était certainement indispensable. Il a été demandé à Jacques de faire un choix car il fallait un album par an d’une de ses séries. Jacques a beau être très rapide, même en allant très vite, il met neuf mois pour faire un album. Donc mener les deux albums et en sortir un par an était impossible.



Avec Isabelle, la louve de France, tu tentes l’exercice périlleux de la biographie en BD. Dans un tel travail, comment ne pas être trop didactique ou chronologique ?

Je n’ai pas de solution. Je me pose des questions à chaque planche. J’ai besoin de me documenter même si je sais déjà pas mal de choses. Pour chaque page, je me place du point de vue de l’enfant que j’étais, des choses qui vont me rester après m’être documenté et de comment je vais appréhender l’histoire. Je suis sur ce grand écart : d’une part, il faut que mon lecteur tourne la page suivante parce qu’il a envie de savoir ce qu’il va se passer, et d’autre part, il ne faut pas que ce qui est raconté soit creux ou soit un cliché. Mais c'est plus facile à dire qu'à réaliser.

Comment choisis-tu les conflits que tu traites dans la collection « Champs d’honneur » autour des batailles célèbres ?

Sur les champs d’honneur, je suis parti des thématiques que je voulais travailler. Les batailles sont choisies à ce titre-là. Chacune présente une réflexion sur l’identité. On le voit lorsqu’on a lu les cinq albums. Ensuite, je voulais des batailles qui ne soient pas très connues. La seule où je suis tombé sur un os, c’est la Bérézina. Au même moment, Dupuis sortait une série en trois tomes sur cette bataille. A la base, tout le monde connaît ce nom mais de nombreuses personnes ne savent pas ce qu’il s’y est réellement passé. Pour Castillon, je l’ai choisie  car d’un point de vue militaire c’est aussi une révolution. On passe de la poudre à l’arc. Le lieu du combat est à deux heures de chez moi. Je suis allé sur le champ de bataille pour essayer de voir comment ça s'était passé.


Une autre vague est prévue ?

Dans l’absolu, ce sera une histoire de vente. Je pense qu’on va les avoir ; ça a l’air de ne pas trop mal fonctionner. Je ne veux plus travailler sur le thème de l’identité parce que j’en ai fait quand même pas mal et ça deviendrait hyper redondant. Il faut que je trouve une autre thématique, plus positive et pas purement technique, afin de donner de l’humanité.


Avec NSA, on se retrouve dans la série américaine, tu touches un peu à la politique fiction. Et alors que la couverture laisserait penser à un nouveau XIII, IR$ ou autre ALPHA, tu prends le contrepied avec des personnages totalement hors du commun. Comment t’es venue la genèse de cette série ?

C’est loin tout ça… Alors, il y a une chose  importante qui est à savoir, c’est que j’adore le travail de Van Hamme – Jean, pas Jean Claude ! (rires) – parce que je trouve que c’est très structuré, comme chez peu d’autres auteurs, notamment sur Largo Winch, que j’aime beaucoup. Après, je dois reconnaître que les thématiques chères à Van Hamme comme « J’aime l’argent et j’en veux toujours plus », ce n’est pas foncièrement ma tasse de thé. Mais j’arrive à dissocier les deux, son talent de conteur, que je trouve extraordinaire, et ce qu’il raconte. Je repense par exemple à Thorgal, série que j’adore. Je me rappelle que lorsque ma fille a lu les albums –elle devait avoir 12 ou 13 ans-  je lui ai demandé si elle avait aimé la série. Elle m’a répondu que oui, tout en précisant avec la spontanéité propre à son âge qu’elle n’avait en revanche aucune sympathie pour le personnage de Thorgal. De son point de vue de jeune fille, pour qui la proximité avec les parents, les frères et sœurs, sont encore essentiels, Thorgal était un personnage détestable parce qu’il abandonnait trop souvent sa famille pour poursuivre ses aventures. Et c’est vrai qu’en y repensant après coup, on s’aperçoit que ce héros est en fait totalement égoïste. Ça m’a fait réfléchir aussi sur la question du point de vue, et m’a aidé à comprendre que si j’admirais énormément le talent narratif de Van Hamme, ses thématiques, en revanche, m’intéressaient moins. Mais il est tellement doué qu’il arrive malgré tout à m'y intéresser. C'est fort.
Bref, trouvant la mécanique de Largo Winch efficace, j’ai trouvé intéressant d’aller travailler un peu sur les Etats Unis, chose que je n’avais jamais faite. J’ai donc essayé de voir ce que je pouvais faire comme Van Hamme. Je suis parti de l’idée de complot style série américaine. C’est un peu comme du Largo Winch qui est en train de remonter le fil de complot de puissants cachés dans l'ombre. J’y ai lié une thématique écologique de gaz de schiste qui dévaste l’environnement. Pour garder une motivation dans l’écriture, j’ai cherché des relations nouvelles pour moi entre les personnages en l’occurrence : La relation frère-sœur. Voilà comment est né NSA.

 

 

 

 

La série est bourrée de clins d’œil. Le chien s’appelle Mulder.

Oui, une référence à The X-files. Il y a plein de clins d’œil de ce type. Tant qu’à travailler sur les Etats-Unis, autant y aller à fond. Malheureusement, la série s’est arrêtée au deuxième tome.

Comment t’es-tu retrouvé sur le collectif Tuniques Bleues chez Dupuis ?

Le pur hasard. Je n’avais rien demandé à personne. Ça m’est tombé dessus une semaine avant Noël. J’ai reçu un coup de fil d’une éditrice qui m’a demandé si cela m’intéressait, et en plus avec Denis Bodart au dessin. Alors là, j’ai dit oui de suite. C’était aussi simple que ça. Tout est venu en fait d’une histoire courte sur Waterloo dont j’avais co-signé le scénario avec mon épouse Marie, dans Spirou.  


Tokyo Home semble comme une parenthèse acidulée dans ton univers. Tu viens de faire un long séjour au Japon. Est-ce une culture qui te passionne ?

En fait, non. Ma sœur vit au Japon. J’ai pu y rester un mois ce qui était génial. Ce qui m’intéresse c’est la différence, c’est d’aller découvrir autre chose. Quand tu lis des choses sur le Japon, c’est très différent de notre civilisation. Quand tu vas là-bas tu comprends pourquoi c’est si différent. C’est vraiment un autre monde, dont Amélie Nothomb décrit parfaitement les codes dans certains de ses romans. On a une forte appétence pour le Japon grâce aux mangas qu’on a vu dans les émissions de Dorothée. Au départ, j’ai choisi comme décor ce pays pour avoir une certaine connivence avec ma fille qui avait 7 ou 8 ans à l’époque et qui avait des photos du Japon et des mangas dans sa chambre. J’étais en pleine écriture du Codex Angélique, qu’elle ne pouvait pas lire, ni montrer à ses copines ou à sa maîtresse. C’est ainsi qu’est né Tokyo Home, la découverte de quelque chose d’étranger, un hymne à la différence.

 

 

 

 

Après quelques passages furtifs, tu rentres dans Spirou grâce au Japon avec la série humoristique Bushido. Qu’est-ce qu’elle raconte ?

C’est plutôt une quête initiatique, avec un fort rapport à l’enfance. Avec Bushido, on est dans une quête de soi, une quête identitaire pour savoir comment devenir un homme. J’ai toujours eu une passion pour les arts martiaux et pour l’art militaire. J’ai grandi avec ça. Cette série est aussi un hommage à Dragon Ball.

Un album est déjà sorti alors que, d’habitude, Dupuis attend que la série fasse ses preuves dans le journal. Ça prouve que l’éditeur y croit fort, non ?

On a terminé le tome deux. Il devrait y en avoir au moins 4. Je croise les doigts !

Quelle est ton actualité du moment et quels sont tes projets ?
 
Le premier tome de Cléopâtre vient de sortir, co-scénarisé avec Marie et dessiné par Joël Mouclier. Aspic 6 paraît comme d’habitude en septembre, et dans la logique on embraye sur le 7. Je vais attaquer le tome 3 de Bushido. Je termine la saison d’Une Génération Française dont les albums sortent à un rythme soutenu. Valois, racontant les guerres d’Italie au début de la renaissance, va être publié chez Delcourt avec Jaime Calderone au dessin. Valois est la dynastie des rois qui règnent sur la France à ce moment-là. Ce ne sera pas une généalogie de ces rois, mais une grande saga d'aventure. Le titre « Valois », n'est qu'un marqueur chronologique. Enfin, je travaille avec Jacques Lamontagne sur un western.

Merci Thierry.

 

Propos recueillis par Laurent Lafourcade



Publié le 08/09/2017.


Source : Bd-best

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