Sébastien Mao s’offre une île déserte XXL face à des héros XXS mais débrouillards : « Comme dans un épisode de Breaking Bad, je voulais faire un Grand Huit »
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Sébastien Mao s’offre une île déserte XXL face à des héros XXS mais débrouillards : « Comme dans un épisode de Breaking Bad, je voulais faire un Grand Huit »

S’il tourne aux quatre coins du monde à travers des films, des romans, des bandes dessinées, le courant d’air de l’aventure revient encore et toujours à la charge dans de nouvelles propositions d’ailleurs. Et peut-être encore plus du côté de la jeunesse qui a le vent en poupe et se prête décidément bien à la perte de repères et à la débrouillardise. Seuls, la dernière adaptation de Deux ans de vacances, Le Labyrinthe ou, désormais, Island, nous invite à nous échouer et à retrouver le système D. Interview avec Sébastien Mao, grand orchestrateur de ce retour à la nature sauvage… ou presque.

 

 

 

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

 

Bonjour Sébastien, après avoir oeuvré dans la BD plutôt didactique, vous nous emmenez sur une île « déserte », comment l’idée de ce voyage, sans retour ?, vous est-elle venue ?

Cela fait un moment que j’avais envie de faire une histoire d’aventure qui soit la plus surprenante possible en reprenant l’univers des robinsonades et des enfants qui doivent s’organiser. Ma référence ultime étant Sa majesté des mouches. Je ne voulais pas que ce soit cousu de fil blanc, pas une simple île déserte, tout en alliant à cette expérience un côté didactique. Il fallait que les stratagèmes et inventions utilisées par nos héros soient réalisables.

Du coup, dès le début, vous saviez que vous alliez travailler « avec » des enfants, et vous adresser à un public jeunesse ?

Que ce soit enfantin, c’est un choix raccord à des lectures plus personnelles. Sa majesté des mouches, comme je le disais. Après, je ne m’arrête pas à la classe d’âge. J’aime me dire que cet album, j’aurais pu le lire moi-même. Ce n’est pas un groupe d’adulte mais l’ingénuité permet de nous sentir entre rêve et réalité. Avec la possibilité d’avoir peur.

Pour agir sur un groupe, j’imagine que, comme dans un film, il faut un bon casting ?

L’idée est que chaque enfant donne une facette du groupe. Chacun apporte quelque chose, comme Charly et son côté Pierre Richard, l’héroïne qui est très proche de ma meilleure amie. Puis il y a aussi un aspect plus grave amené avec le harcèlement scolaire. Une problématique qui va se vivre loin des bancs de l’école et des réseaux sociaux, en situation de survie.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Et le souffre-douleur de s’affirmer en tant que leader.

Ce n’est pas toujours aussi positif, dans la réalité, malheureusement, mais oui, il va s’imposer dans un domaine dans lequel il ne pensait pas possible d’y arriver.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Cela grâce à son fidèle guide de survie !

Testé et approuvé ! J’en avais un, le guide des Castors Juniors, dans ma jeunesse. Sans doute, une des sources d’inspiration inconsciente de ce récit. À l’époque, je n’avais pas internet. Je m’amusais à refaire tout ce que je voyais à la télé et que je prenais au premier degré. Comme dans les épisodes de MacGyver. Après, j’étais bien évidemment frustré de ne pas y arriver.

À la fin de ce premier tome, vous trouverez une sorte de fac similé de fiches d’un manuel de survie. Avec la possibilité de survivre à 1001 catastrophes. Comme je le disais, je ne voulais pas donner des trucs qui n’étaient pas réalisables. J’ai tout testé… sauf peut-être le combat de crocodile. Mais, faire du feu à l’aide d’une canette de coca et d’une barre de chocolat, ça peut paraître fou mais ça fonctionne.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Finalement, on observe un certain retour à ces récits types robinsonnades où des enfants se retrouvent à devoir agir en groupe dans des univers plus ou moins hostiles. Il y a Seuls, Labyrinthe, l’adaptation de Deux ans de vacances ou encore Les enfants de la résistance dans un autre genre. Il est tentant de faire le parallèle entre ces histoires et nos sociétés dans lesquelles les enfants sont livrés à eux-mêmes, non ?

C’est vrai, pas mal de récits traitent cette idée de survivre sans aide extérieure. Après, je n’ai aucune volonté de distiller un message politique. Moi, je suis enfant unique et quand j’étais petit, j’inventais des histoires, je devais survivre à 1001 choses, dans une nature hostile… un peu en opposition avec le décor de la Creuse où j’ai passé mon enfance. Mais j’y avais trouvé une forêt, et c’est là que je testais mes bricolages.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Concernant mes lectures, si j’ai adoré Seuls, je me suis vraiment inspiré de romans que j’ai pu lire. Je voulais mettre des images, des représentations visuelles sur ce que j’avais pu ressentir à la lecture de ces oeuvres qui avaient fait jouer mon imagination plein tube.

Et justement, les enfants d’aujourd’hui n’ont-ils pas un peu perdu de cette capacité à faire travailler leur imagination, à vivre « sauvagement » ?

En fait, il est important de s’ennuyer quand on est enfant. Ça va paraître vieillot que je dise ça, mais je n’avais pas de DVD, pas de tablette. Parfois, je regardais la tv, les dessins animés de Dorothée mais le reste du temps, je jouais avec des légos, je bricolais, je m’inventais des histoires. Lors des vacances dans La Creuse, je créais des cabanes pour combler l’ennui par du concret, la possibilité de vivre dans la nature. J’ai plus appris que si on avait cherché à m’occuper. Je pense qu’il est important que les enfants se réapprivoisent les objets. C’est non seulement instructif mais ça favorise la créativité.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Et vous, si vous étiez sur une île déserte, y’aurait-il des choses que vous ne voudriez absolument pas vivre ? Des phobies ?

Je pars du principe que si je m’en sors, c’est déjà très bien. (il réfléchit). Je dois admettre que je ne suis pas fan des insectes. Sinon, j’aime les sports un peu extrêmes, comme le canyoning… même si je me fais vite peur. Au-delà de ça, c’est assez jubilatoire de faire vivre ce genre de situations aux autres !

Et dans ce déroulé catastrophe, c’est un autre comparse que vous vous êtes trouvé, Waltch.

Cela fait plusieurs années que je travaille avec Duvignan. On a tous les deux eu envie de partir sur des projets un peu plus perso. Et ce nouveau couple que je forme avec Waltch a été arrangé par l’éditeur. Un bon choix quand je vois ces scènes de catastrophes et de survie emmenée par le dessin rond de Waltch, franco-belge, plus bonhomme et familier que ce qu’on peut parfois voir. Island, c’est une affaire de contrastes, et le dessin de Pierre permet de basculer vers quelque chose de plus complexe, quelque chose d’agréable à regarder tout en se rendant compte que les épreuves subies par nos héros sont cruelles. Vous le verrez dans le tome 2.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Mais au-delà du duo, c’est un trio bienveillant que nous formons avec Sandrine Cordurié qui a livré un formidable travail sur les ambiances, entre le jour et la nuit, le brouillard. Si le dessin en noir et blanc donnait bien, la couleur apporte tellement une dimension supplémentaire. C’est la première fois que je me rends compte à quel point la couleur impacte un album que je crée.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié

 

Il y a quelques années, vous publiiez un guide sur Paris. Mine de rien, toutes proportions gardées, ça doit aider quand on crée un monde dans lequel on doit se repérer… comme cette île déserte.

Pour certains, Paris, c’est une vraie île déserte totalement hostile, une jungle. Si la métaphore n’est pas tout à fait usurpée, ce n’est pas vraiment transposable. Après, si la topographie joue un rôle important et prend de la place dans l’album, le fait d’avoir réalisé ce guide parisien auparavant m’a surtout permis de gérer les distances. Celles-là même qui sont encore plus décuplées pour les enfants. Cela m’a permis de mieux assimiler la gestion des déplacements.

 

 

 

 

© Mao/Duvignan chez Bamboo

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Dans ce premier tome, vous nous embarquez directement dans le feu de l’action avec une scène d’ouverture dont le déroulé n’apparaîtra finalement que 30 planches plus loin.

J’aime l’idée d’une scène d’action en ouverture, une scène-clé qui apporte des mystères avant un lot de réponses plus loin. Ça permet de déconstruire, de semer le doute avant d’amener les explications.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Cette envie de plonger directement dans une scène forte avant de reprendre depuis le début, je la dois sans nul doute à ma passion pour les séries. Comme le début d’un épisode de Breaking Bad, on n’a pas le temps de respirer, on y est. C’est le grand huit, ça démarre très fort tout en restant sur les rails, sans créer la frustration même si on reviendra en arrière, qu’il faut perdre pour mieux retrouver. C’est la méthode que j’ai essayé d’appliquer.

Et 62 planches, ça en laisse le temps !

Pour ça, l’éditeur est très respectueux. En écrivant l’histoire, j’ai tâché de faire monter le mystère progressivement… comme la pagination passée de 48 à 50 puis 55 et finalement 62. J’espère que ça tient la route, je ne voulais pas prendre de raccourci et oublier certains passages, rester sur ma faim. J’ai voulu être le plus exigent possible, de développer l’action au maximum.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Votre récit est aussi plein de références, de James Bond à Robinson en passant par le Capitaine Némo.

Toutes les semaines, je vais deux ou trois fois au cinéma, depuis des années.  Ça m’a permis de me constituer une banque de souvenirs dans laquelle je peux puiser et me remémorer des sensations. Il y a du Spielberg, Hitchcock ou Shyamalan. On part vers une destination précise pour, au final, se retrouver ailleurs à se demander où on se trouve, dans quel univers. Je voulais rendre hommage à cet art qui crée des souvenirs et, j’en suis sûr, fait évoluer.

Par ailleurs, le cinéma est encore plus présent que cela. Un cinéma fait avec de vrais gens face à des situations surprenantes voire horrifiantes. Le Septième Art a-t-il déjà poussé le concept dans ces extrémités-là ? En mode caméra caché, recherchant la sincérité des émotions.

À ce point, je ne pense pas. J’aime beaucoup Borat ou Brüno malgré leur caractère très violent, homophobe. Je pense que le cinéma recherche toujours la sincérité. Après, je pense tirer plus mon inspiration d’expériences psychosociales. J’ai d’ailleurs repris des études de psychologie, à un moment. Cela permet d’interroger la logique d’un personnage lambda face à une situation difficile.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

Il y a la magie du cinéma et la magie tout court. Comme celle de Gérard Majax que vous remerciez.

C’est devenu un de mes meilleurs amis. Il a bercé mon enfance. Et quand je vois le nombre de personnes qui viennent près de lui lorsque nous déjeunons ensemble, je ne dois pas être le seul. Ce sont les hasards de la vie professionnelle qui nous ont amenés à travailler ensemble (ndlr. sur ENIG’MAJAX, série co-écrite avec le magicien et dessinée par Tase dans les pages d’Enigma). Comme Island était ma BD la plus personnelle et que son univers touchait à la magie, c’était l’occasion rêvée pour le remercier.

Finalement, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la magie à votre manière, en BD ?

Comme j’étais fils unique, je lisais beaucoup de BD. Toutes les semaines, j’avais Spirou, Mickey… Mais, je me suis rendu compte très tard qu’on pouvait en faire sa vie. J’ai toujours écrit mais j’avais tellement peur de montrer mes manuscrits aux éditeurs. Puis, un jour, j’ai passé le cap. Par chance, je suis tombé sur Bamboo, leur bienveillance, leur humanisme. C’est pour ça que je n’éprouve aucun besoin de leur être infidèle.

 

 

 

 

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo

 

La suite ?

Je suis à fond sur le tome 2, la première trame est bien avancée. Même si nous donnons déjà beaucoup de réponses à la fin de ce premier album, nous aimerions sortir la suite le plus rapidement possible… tout en ne se précipitant pas. Chaque scène doit être imbriquée pour avancer sans oublier des choses. Le moindre détail, un petit dialogue a son impact. Ce fut le souci sur le tome 1: des petits passages avaient un gros impact et risquaient de créer des incohérences. J’ai donc dû revoir ma copie.

Island pourrait bien s’étendre sur plusieurs cycles, je ne manque pas d’idée. La fin d’un album pouvant être le début de quelque chose d’autre, permettant d’aller plus loin. Il y a un côté complotiste que je voudrais travailler tout en restant sur les rails. Bien sûr, le rêve serait de faire le plus de tomes possible pour développer au maximum cet univers. En réalité, ça dépendra de la manière dont la série est reçue. Mais l’envie est là de faire subir plein de catastrophes à notre équipe.

Après, j’ai d’autres envies. Comme une BD historique sur Paris et ses illuminations. Là encore, il y a un côté magique mais aussi lyrique.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Série : Island

Tome : 1 – Deus Ex Machina

Scénario : Mao

Dessin : Waltch (Page Fb)

Couleurs : Sandrine Cordurié (Page Fb)

Genre : Aventure

Éditeur : Bamboo

Nbre de pages : 80

Prix : 14,90€



Publié le 09/05/2018.


Source : Bd-best

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