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Sans doute l’heure n’a-t-elle jamais autant à la BD du réel. Existant de manière plus timide depuis les années 80, ce Neuvième Art voulant expliquer la vie réelle par des reportages, des enquêtes, des essais et autres récits de vie n’a cessé, depuis quinze ans, de s’asseoir et de devenir un pan emblématique d’une bande dessinée devenue adulte et mûre pour raconter autre chose que de la fiction.
Ces derniers mois, entre le lancement de revues et des tentatives novatrices de collection, chaque éditeur tente de mettre le réel à sa sauce et à celle des cases et des bulles. Comme Casterman qui, par la collection Sociorama, décomplexe et décomplexifie la sociologie imbuvable pour en prendre le meilleur et l’écho de notre quotidien, quatre tomes sont déjà parus. Et sans avoir l’air d’y toucher, ils sont une véritable mine d’informations dans des thèmes variés et inattendus.
Bon, on vous le concède, se taper des textes de dizaines de pages emplies de phrases alambiquées, ce n’est pas ce qu’il y a de plus kiffant, sauf, peut-être, si vous êtes scientifiques et que vous en avez l’habitude. Et si de la sociologie, les grands noms sont vaguement enseignés dans les universités, elle s’arrête là, nous privant de la sociologie moderne, celle qui se pointe à l’angle de notre quotidien pour en dire tant sur notre société.
Mais voilà que le Neuvième Art, qui a désormais acquis ses lettres de noblesse dans la représentation de la réalité dans tous les sens, s’y investi et décide d’allier quelques sociologues contemporains avec des auteurs de BD trentenaire. Une belle carte de visite pour eux et une fantastique manière de s’instruire en s’amusant à montre l’envers du décor sur des sujets comme la peur de l’avion, le monde des chantiers, les séducteurs des rues ou même la pornographie. En attendant la banlieue du 20 et le quotidien des caissières de supermarché! La collection est multi-colore et attrayante tandis que chaque ouvrage bénéficie d’environ 160 pages et d’un format de poche à emporter partout pour un prix mini (12€). Pour moins d’une heure de lecture mais avec des images qui marquent.
Le panneau est clair: si vous entrez sur le chantier, ce sera à vos risques et périls. Alors mieux vaut passer son chemin comme la grande majorité des passants qui rangeront leur curiosité et ne s’intéresseront jamais au monde mystérieux qui se cache derrière les palissades, cachés par le bruit démentiel d’une construction en marche. Heureusement pour nous, Nicolas Jounin a enquêté et Claire Braud s’est chargée de l’adapter dans une fiction plus que réaliste. N’oubliez pas de mettre votre casque de chantier. Comme Hassane et Soleymane. L’un est ferrailleur novice et l’autre est coffreur expérimenté mais sans papiers. Mais tous deux ont eu la « chance » d’être choisi par l’agence d’intérim et vont découvrir un nouveau chantier et sa frénésie caractéristique entre les ordres hurlés, les anecdotes des travailleurs, les accidents de travail et tout le reste.
Voilà, ça y est, vous êtes la petite souris privilégiée qui va découvrir l’envers du décor. Et ce à un rythmé effréné tant le trait tout en vitesse de Claire Braud donne une cadence soutenue à cette histoire plus qu’inspirée de faits réels. C’est tour à tour jouissif et horrifiant, toujours juste malgré le plaisir pris par l’auteur à grossir les traits et à transformer les contremaîtres et autres supérieures en animaux vociférant. Sans bande-son, cette enquête bédéifiée est extrêmement et volontairement bruyante et bordélique. Les traits et gestes sont alliés à une compréhension sans effort d’une bien cynique réalité. Ébouriffant.
Alexis Seny
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