Sous le sapin de Noël - Les 10 indispensables
Flux RSSFlux RSS

         Toute l'actualité

Sous le sapin de Noël - Les 10 indispensables

 

Comment choisir 10 albums sur une année de lecture de plus de 400 titres ? Forcément, le résultat est subjectif, mais il est là. Choisir, c’est renoncer. Voici donc, sans classement, la sélection des dix albums retenus pour vous et qu’il est encore temps de déposer au pied du sapin.

 

 

 


 

 

 


 

 Tanger sous la pluie

 

Janvier 1912, fraîchement débarqués à Tanger, au Maroc, Monsieur et Madame Matisse sont pris en charge par le jeune Amido qui les mène jusqu’à leur hôtel. Un arrêt dans le marché de la ville les enivre déjà des senteurs et des couleurs locales. C’est tellement « pictural » que le peintre jette déjà sur le papier ses premiers croquis. Arrivés à leur lieu de villégiature, le réceptionniste les installe dans la chambre 35, celle qui a la plus belle vue sur le golfe de Tanger. Matisse a hâte de se mettre au travail. Dès demain, à lui Tanger ! Mais, voilà que le lendemain, et pour plusieurs jours qui suivront, il pleut. Il paraît qu’il y pleut assez souvent d’ailleurs.

 

Dès l’avant-propos, les auteurs ne prennent pas leurs lecteurs en otage. Si Matisse est réellement allé au Maroc à cette période, aucun livre n’est là pour raconter ses sensations. Là est arrivée leur imagination. En quatre chapitres, Fabien Grolleau raconte et romance les deux voyages que Matisse fit au Maroc. Chapitre un, il découvre la ville sous la pluie et cherche l’inspiration. Préférant rentrer au pays, sa femme le laisse sur place. Chapitre deux, le peintre trouve en Zorah, une fille qui vend ses charmes, sa muse, son inspiratrice. Elle sera sa Shéhérazade, lui contant une histoire merveilleuse pendant qu’il la peint. Mais tout ça ne sera pas du goût d’Hassan le réceptionniste. Chapitre trois, le soleil est revenu. Matisse profite du pays, de ses paysages, de sa nature, avant de rentrer en France. Chapitre quatre, il est de retour à Alger. Retrouvera-t-il Zorah ? Saura-t-il pourquoi la jeune femme a déclenché les foudres d’Hassan ? Connaîtra-t-il la fin de son histoire ?

 

 

 

© Grolleau, Abdel de Bruxelles - Dargaud

 

 

 

Dans un style graphique cousin de celui d’un Fabien Toulmé, mais avec des aplats de couleurs qui n’appartiennent qu’à lui, Abdel de Bruxelles réalise un album envoûtant. Dès le débarquement à Tanger, on a changé de pays, on est là-bas, on découvre le Maroc avec Matisse et sa femme. Des petites rues aux patios intérieurs des grandes maisons, du marché aux épices au port de Méditerranée, Abdel de Bruxelles invite au voyage. Il y a aussi tout le traitement bleuté duconte narré par Zorah et qui verra sa conclusion dans une réalité dont on ne sait pas vraiment si elle a été inventée ou pas. Et que dire de cette fenêtre qui s’ouvre au premier matin ensoleillé alors que la pluie a cessé dans la nuit. Sublime.

 

Quand on lit des milliers de bandes dessinées et qu’on tombe sur des albums comme ça, on sait pourquoi on le fait. Si le livre était paru chez un petit éditeur peu connu, les sélectionneurs d’Angoulême le trouveraient formidable et il remporterait de multiples prix. Tout n’est pas perdu. De sa couverture magnifique à sa dernière case à la sentence portant à réflexion, Tanger sous la pluie ne peut pas passer inaperçu. On n’est qu’au début de l’année et l’un des meilleurs albums de 2022 est déjà édité.

 

 

 

One shot : Tanger sous la pluie 

Genre : Biographie romancée 

Scénario : Fabien Grolleau 

Dessins & Couleurs : Abdel de Bruxelles

Éditeur : Dargaud

Nombre de pages : 120

Prix : 21 €

ISBN : 9782205079715 

  

 

 

 

 

 

 

 

Edgar P. Jacobs le rêveur d’apocalypses

 

            Paru toute fin 2021, trop tard pour la sélection de l’année dernière, on ne peut pas passer à travers ce chef-d’œuvre.

1921, Edgar Pierre Jacobs et son ami Jacques Van Melkebek prennent une bière chez Leopold à Bruxelles. Les temps sont durs pour les deux jeunes hommes à la recherche d’entrées d’argent régulières. Jacques est passionné de dessin. L’Académie Royale des Beaux-Arts est faite pour lui. Quant à Edgar, il rêve d’opéra. Chanter sur scène, voilà son destin. Mais Edgar est passionné par tous les Arts, que ce soit les Arts antiques qu’il admire dans les Musées ou les arts graphiques. Rattrapé par son talent dans ce dernier domaine, à la faveur de rencontres, son destin l’amène vers le dessin. Edgar passe de l’art lyrique au dessin publicitaire et à l’illustration. 1941, Jacques lui présente un certain Hergé, qu’il assistera. 1942, la guerre empêchant les planches des auteurs américains d’arriver en France, Jacobs se verra proposer de remplacer Alex Raymond. Ainsi naîtra Le rayon U. 1946, c’est avec la naissance du journal Tintin que Blake et Mortimer font leur apparition dans Le secret de l’Espadon.

 

            La vie de Jacobs est si riche que l’auteur a tout d’un héros de bande dessinée. Le scénariste François Rivière s’est entretenu des heures durant avec lui. Si quelqu’un connaissait bien l’ermite du Bois des Pauvres, c’est bien lui. Il était donc l’homme idéal pour raconter sa vie et faire qu’elle se lise « comme un roman ». On croisera bien sûr Laudy et Hergé, mais aussi Franquin et Martin, Leblanc et Duchâteau, pour ne citer qu’eux. La véritable surprise de l’album ne vient pas tant de Jacobs dont bon nombre de lecteurs connaissaient les grandes lignes de la vie, pas tant non plus de François Rivière qu’on savait excellent scénariste (Albany en particulier), mais de Philippe Wurm. Si le dessinateur n’en est pas à son coup d’essai, il publie depuis 1988, il est la révélation de ce Rêveur d’apocalypse. Wurm donne une ahurissante leçon de ligne claire. L’introduction est merveilleuse. Le final est magistral. Le cœur de l’album est un envoûtement.

 

 


© Wurm, Rivière, Bekaert – Glénat

 

 

 

            En complément à cet album, on ne peut que conseiller la lecture de deux ouvrages indispensables. Le fouillé Edgar P.Jacobs, un pacte avec Blake et Mortimer, signé François Rivière et Benoît Mouchard paru aux Impressions Nouvelles, raconte dans le menu détail la vie privé et publique de Jacobs. Dans un autre style, l’intimiste Mystère Edgar P.Jacobs, livre signé Jean Knoertzer aux éditions Maïa, permet de pénétrer dans l’intimité du maître, de visiter sa maison, de partir en vacances et d’admirer des expositions avec lui, à travers de nombreuses photos inédites et documents, de découvrir sa vie et ses projets.  

 

            Grâce à Wurm et Rivière, on a vraiment l’impression d’avoir partagé la vie de Jacobs, de l’avoir côtoyé. Jacobs rêvait d’apocalypses. Son œuvre a fait rêvé, fait rêver et fera rêver des générations de lecteurs, à travers ses livres et ceux de ses repreneurs. Par Jacobs, demeure !

 

 

One shot : Edgar P. Jacobs le rêveur d’apocalypses 

Genre : Biographie

Scénario : François Rivière

Dessins : Philippe Wurm 

Couleurs : Benoît Bekaert

Éditeur : Glénat

Nombre de pages : 144

Prix : 22,50 €

ISBN : 9782344003916

 

 

 

 

 

 


L’enfer pour aube 1 - Paris Apache

 

 

            Janvier 1903, le métropolitain parisien est en plein développement. Les cendres de la Commune sont encore chaudes. Il y a trente ans à peine, Paris a presque été détruite. Incendiée, pillée, saccagée, la capitale a failli finir en ruine. La belle s’est relevée mais la vermine ne meurt jamais. Dans un Paris malade de son peuple, le succès de la ligne Nord-Sud de ce que l’on n’appelle pas encore le métro, mais le métropolitain, était inespéré. Mais alors que Dauger, des Ponts et chaussées, et Ducouroy, conseiller du ministre des travaux publics, essayent la ligne, leur wagon est attaqué par un grand échalas à l’écharpe rouge masquant son visage. Laissant une pièce d’or sur les lieux de ses attentats, l’homme sème la terreur dans Paris avec ses complices les Apaches.

 

            Philippe Pelaez fait partie des scénaristes sur qui il faut maintenant compter. Récemment, entre Maudit sois-tu, Le bossu de Montfaucon et maintenant L’enfer pour aube, il réalise un triplé exceptionnel. Avec L’enfer pour aube, il propose un thriller politico-historique passionnant, un des albums remarquables de ce premier trimestre. Le fond historique est précis. La France sort d’une période de troubles internes et ne sait pas que dix ans plus tard ce sera le chaos. Pelaez se sert du métropolitain qui n’a encore que trois ans pour montrer une lutte de classes impitoyable. Des grands magasins luxueux boulevard Barbès aux ruelles boueuses de Charonne, les dames en crinoline n’ont pas vocation à croiser la route des titis aux mains sales. Le personnage à l’écharpe rouge n’est pas un simple truand de grande envergure. Il a la même classe que plus tard Fantômas, mais les fantômes sont en lui et manifestement ils le hantent.

 

 

 

 

 © Pelaez, Oger - Soleil

 

 

 

            Tiburce Oger signe son meilleur album. Oger dessinateur fait des merveilles. Oger coloriste reste dans des tons de gris limite sépia sans en être, sauf pour l’écharpe du tueur et quelques autres touches rougeâtres. De fausses couvertures du supplément illustré du Petit Journal, quotidien de l’époque, chapitrent le récit. On court sur les toits avec l’inconnu masqué, on sent la chaleur de l’incendie sur le boulevard, on s’enfuit d’une ruelle avec une victime des apaches de Belleville. Cerise sur le gâteau, la couverture et la maquette de l’album sont magnifiques.

 

            L’enfer pour aube est de ces albums qu’on ne referme qu’après l’avoir terminé et grâce auquel on peut dire : « Paris 1903, j’y étais ! ». On frise la perfection. Envoûtant, effrayant, passionnant, c’est une petite histoire ancrée dans la grande qui restera l’une des excellentes surprises de l’année.

 

 

Série : L’enfer pour aube

Tome : 1 - Paris Apache

Genre : Polar

Scénario : Philippe Pelaez

Dessins & Couleurs : Tiburce Oger

Éditeur : Soleil

Nombre de pages : 68

Prix : 15,95 €

ISBN : 9782302094390

 

 

 

 

 

 


Les dames de Kimoto

  

            Accompagnée de sa grand-mère Toyono, Hana se rend au Kôya des femmes, le temple Jison. Hana va bientôt se marier. Jeune femme épanouie, elle a brillé dans les études. Toyono lui a appris les valeurs de savoir-vivre et l’art de la conversation. Bien que regrettant de la voir quitter la maison familiale, la grand-mère trouve pour elle un bon parti : Matani Keisaku. Il est le maire de son village. Après les fiançailles et les préparatifs du mariage, Toyono exprime à sa petite-fille ses vœux les plus sincères. Hana part sur une jonque pour sa nouvelle vie.

 

            Les dames de Kimoto est une ode à la féminité. A travers l’histoire de Hana, le rôle des femmes dans une société patriarcale se montre déterminant. Alors que le pouvoir politique est aux mains des hommes, les femmes sont aux destinées de la famille. L’histoire est un passage de relai entre une grand-mère et sa petite fille, qui elle-même deviendra mère, puis grand-mère à son tour. En filigrane de la vie de Hana, l’histoire du Japon au XXème siècle s’écrit, avec la douleur de la Seconde Guerre Mondiale. Hana est le symbole de l’évolution de la condition féminine dans un Japon qui passe pratiquement d’un stade médiéval à une modernité qu’il lui faut assumer.

 

 


© Bonin - Sarbacane

 

 

 

            Discret mais n’ayant jamais quitté le PBDFB (paysage de la bande dessinée franco-belge) depuis plus de vingt ans, Cyril Bonin construit une œuvre sensible et délicate. D’abord pur dessinateur, puis auteur complet, il se lance dans l’adaptation littéraire. On y retrouve ce qui fait l’essence de sa biographie : l’amour. Bonin met en scène des gens qui s’aiment. Il a raconté des histoires d’amour intenses, des histoires d’amour platoniques, des histoires d’amour charnelles, des histoires qui donnent envie d’aimer. Celle-ci est l’histoire d’un amour non prédestiné qui se construit, l’amour d’une femme pour les siens, un amour que ni les ans ni les frontières ne pourront atténuer, l’amour d’une mère. Hana est belle, très belle, sublime, aussi subtile qu’un cerisier en fleur. Sous le crayon de Bonin, elle est une muse.

 

            Les dames de Kimoto, roman de Sawako Ariyoshi paru en 1959, est un chef-d’œuvre de la littérature japonaise. Cyril Bonin en fait un chef-d’œuvre de la bande dessiné.

 

 

One shot : Les dames de Kimoto 

Genre : Fresque familiale 

Scénario, Dessins & Couleurs : Cyril Bonin

D’après : Sawako Ariyoshi

Éditeur : Sarbacane

Nombre de pages : 112

Prix : 19,90 €

ISBN : 9782377317875

 

 

 

 

 

 

Hoëdic !

  

            Années 70, Teddy, Bubu, Anne, Franck et leurs potes sont élèves d’un collège de Bretagne. Bubu est fan de maquettes et de BD. Il est amoureux d’Anne, un peu comme tout le monde. Elle voudrait l’ouvrir à l’écologie et aux problèmes de société, mais il est tout le temps le nez dans ses bouquins. Ses modèles sont Blueberry et Archie Cash. Teddy est lui aussi un dévoreur de BD. Sa bible, c’est Spirou. Il en pince pour Natacha. Par-dessus tout, son dessinateur préféré est Maurice Tillieux, l’auteur de César et surtout de Gil Jourdan. Teddy ne lit pas que ça. L’empire des 1000 planètes, de Valérian, est l’un de ses albums de chevet. Franck, lui, a déjà une mobylette et lit L’écho des savanes. C’est un peu le grand frère idéal. Tout ce petit monde va vivre les seventies, au rythme du collège et de l’actualité, pas toujours rose.

 

            Le passage de l’enfance à l’adolescence est un cap compliqué à passer. C’est l’heure des premières amours, des premières sensibilisations aux actualités et à la politique. On prend conscience qu’on grandit et que le monde avance. Les parents ne sont pas toujours compréhensifs. Ils sont dans leurs bulles de fatalité. Alors, quoi de mieux que les héros et héroïnes de bande dessinée pour s’évader dans des univers parallèles ? A travers Bubu, Bazile se souvient de son enfance, des matins d’hiver à la Lenorman. Il revoit ses rêves d’îles où il fait toujours beau, où tous les jours sont chauds, avec Le Flagada, Tif et Tondu, Gaston, Sophie, les Schtroumpfs et tous les autres. Un jour, la prof de français rendit les rédactions. Franck avait choisi d’écrire sur Hoëdic, une île proche qui semble particulièrement lui tenir à cœur. C’était si beau que la prof en a lu des passages à la classe. Hoëdic, c’est le rêve à quelques encablures, une centaine d’habitants et pas une seule auto. Ça serait le décor parfait pour une histoire de Tillieux.

 

 

 

© Bazile, Stibane - Editions du Tiroir

 

 

 

            Hêdic ! Ohédic ! Heüdic ! Wêdic ! Whöödic ! Bubu a toutes les peines du monde à prononcer le nom de l’île. Peut-être doit-elle rester imaginaire… L’album de  Bazile est un hommage à toute cette BD des années 70, fin d’un âge d’or  incroyable, peut-être le plus bel hommage qu’il n’y ait jamais eu. C’est aussi une ode à l’imaginaire. Hoëdic démontre aussi comment se construit la personnalité d’un adolescent, entre une marée noire et un deuil… On grandit, on vit, on meurt… Oui, on meurt. On se croit invincible mais le destin ne regarde pas l’âge de ses victimes. A côté, il faut continuer à vivre...

 

            « Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve. » Cette citation issue du Petit Prince de Saint-Exupéry irait très bien à Bubu, qui a rêvé, comme d’autres, toute son enfance grâce aux plus grands héros de BD. Hoëdic ! est la chronique d’une jeunesse qui s’enchante pour ne pas être désenchantée. Un des meilleurs albums de l’année. Imagine que je croise le dessinateur Bazile, en librairie,… Je lui dis : J’adore ce que vous faites !

 

 

One shot : Hoëdic ! 

Genre : Souvenirs de jeuness 

Scénario & Dessins : Bruno Bazile 

Couleurs : Stibane

Éditeur : Editions du Tiroir

Collection : Roman

Nombre de pages : 144

Prix : 18 €

ISBN : 9782931027486

 

 

 

 

 

 

 

Les cœurs de ferraille 1 - Debry, Cyrano et moi

  

            Dans un univers à la Tom Sawyer avec une technologie hyper-moderne, Iséa est une jeune fille d’une dizaine d’années qui vit seule avec sa mère. Seule, pas vraiment. Iséa a une nounou, Debry, en la personne d’un grand robot humanoïde. La gamine communique en visio avec Tal, une camarade avec qui elle raconte ses journées. Mais par-dessus tout, Iséa est passionnée d’une histoire, celle de Cyrano de Bergerac. Entre une mère autoritaire qui n’a pas pour sa fille l’amour qu’elle devrait lui donner et un robot cœur de ferraille en apparence mais cœur qui bat en réalité, Iséa tente de grandir. « Quand on est triste, il faut regarder la beauté du monde... » lui propose Debry en l’emmenant regarder les étoiles depuis le toit de la maison, simplement regarder les étoiles… Le jour où sa mère va décider de renvoyer Debry, la vie d’Iséa va connaître un tournant : l’adolescente choisit de prendre son destin en mains.

 

            Les BeKa signent un scénario surprenant, une histoire émouvante que l’on n’avait pas vu venir. Des robots dotés de sentiments, ce n’est pas nouveau dans la fiction. Mais au temps de la ségrégation, c’est inédit. Un robot est l’esclave idéal, mais à partir du moment où sa conscience s’éclaire, peut-on toujours le considérer ainsi ? Les cœurs de ferraille est un récit sur la servitude et ses conséquences, non seulement à la fin de ce XIXème siècle uchronique, mais jusqu’à aujourd’hui où des parallèles s’écrivent.

 

 

 

 © Munuera, BeKa - Dupuis

 

 

 

            José-Luis Munuera était le dessinateur idéal pour incarner ce récit. Capable d’alterner des scènes contemporaines à l’histoire et des passages issus de l’œuvre de Rostand, l’auteur espagnol apporte toute l’émotion, toute la tendresse, toute la tristesse parfois, donnant une dimension poignante à un conte dont les relations mère-fille sont au cœur… de ferraille. Munuera s’impose définitivement comme l’un des meilleurs dessinateurs de sa génération. Entre du classique populaire comme Zorglub et un chef-d’œuvre comme son adaptation de Bartleby le scribe, son style élancé marque l’univers du Neuvième Art.

 

            De toutes les séries lancées chez Dupuis cette année, Les cœurs de ferraille est de loin la meilleure surprise. Avec Cyrano en guest star, les auteurs proposent un théâtre graphique d’amour et de tolérance.

 

Série : Les cœurs de ferraille

Tome : 1 - Debry, Cyrano et moi

Genre : Aventure fantastique

Scénario : BeKa

Dessins : José-Luis Munuera 

Couleurs : Sedyas

Éditeur : Dupuis

Nombre de pages : 72

Prix : 13,50 €

ISBN : 9791034765843

 

 

 

 

 

 

 

Darwin’s incident 1

 

Charlie est un humanzee, un être hybride né d’un humain et d’une femelle chimpanzé dans un institut de recherche biologique. Elevé par un couple de scientifiques humains depuis quinze ans, il va aujourd’hui rentrer au lycée. Entre une intégration parmi des adolescents pas toujours bienveillants et un groupe de véganes extrémistes qui voient en lui une icône, Charlie va devoir trouver sa place dans une société formatée pour une soi-disant normalité.

 

On parle souvent de bestialité pour dénoncer des comportements humains violents. Cette histoire démontre que la cruauté humaine est bien plus profonde et que l’on ferait mieux d’attribuer l’adjectif « humanité » à des animaux dangereux. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre Charlie et César, de la planète des singes. Mais là où, dans la dernière trilogie cinématographique de La planète des singes, César s’affiche en opposant aux humains, Charlie est, pour l’instant du moins, dans une posture d’observation. Le jeune humanzee n’aspire qu’à vivre sa vie d’adolescent. Mais gare à qui s’attaquerait à ceux qu’il aime. Ses capacités animales prendraient rapidement le dessus.

 

 

 

© Shun Umezawa/Kodansha Ltd.

 

 

 

Shun Umezawa signe un manga engagé, engagé contre les dérives scientifiques, mais aussi engagé contre la dictature du véganisme. Le prénom de la lycéenne qui se liera d’amitié avec Charlie n’est pas anodin. Elle s’appelle Lucy, comme le plus vieux squelette d’hominidé découvert par Yves Coppens. La boucle entre l’homme et le singe est ainsi bouclée.

Dans sa bonté, Charlie est redoutable. Plus fort qu’un chimpanzé et plus intelligent qu’un humain, il est avant tout une victime de sa condition particulière. Comment Umezawa le fera-t-il « évoluer » ? La façon dont il orientera la série pourrait en faire une série majeure.

 

« Le courant de la conscience s’étend des humains opprimés à tous les animaux, conduisant à de formidables réponses sur l’évolution. » Cette phrase de Charles Darwin prend une toute autre dimension dans cet « incident » qui est l’un des événements manga de l’année. Le grand prix reçu au Manga Taisho Award 2022 est plus que justifié.

 

Série : Darwin’s incident

Tome : 1

Genre : Anticipation 

Scénario & Dessins : Shun Umezawa 

Éditeur : Kana

Collection : Big Kana

Nombre de pages : 192 

Prix : 7,45 €

ISBN : 978237287

  

 

 

 

 

 

Feuilles volantes

 

            Alors qu’il se promenait en forêt afin de s’inspirer du réel pour dessiner, comme le lui avait conseillé son père, le jeune Max rencontre un olibrius, sorti de nulle part, comme il le qualifie lui-même, qui lui donne des conseils. L’homme semble s’y connaître particulièrement bien en bande dessinée. Qui est-ce type qui vit tout seul dans une maison isolée en forêt ? Toujours est-il qu’il conforte Max dans son objectif de devenir dessinateur de petits miquets. Passionné par le Moyen-Âge, Max entreprend de raconter l’histoire de frère Raoul, un moine copiste. Quelques années plus tard, c’est Suzie, la fille de Max, qui poursuivra la carrière de son père.

 

            Quel est le point commun entre un dessinateur de BD en herbe de la fin du XXème siècle, un moine copiste du XVème qui vit l’invention de l’imprimerie, une graphiste du milieu du XXIème qui utilise une technologie en images virtuelles ? Ce sont des créateurs dont les histoires, à des années de distances, se croisent, s’imbriquent, s’entrechoquent dans une prouesse scénaristique signée Alexandre Clérisse. L’imprimeur naissant qui présente son invention révolutionnaire à frère Raoul et l’ermite forestier qui conseille Max se confondent. Est-ce le même personnage ? A quel moment la réalité prend-elle le pas sur la fiction ? Quels en seront les conséquences sur Suzie en plein questionnement sur sa carrière ? Les pas de son père la guideront vers la réponse à toutes ces questions.

 

 

 

© Clérisse - Dargaud

 

 

            Alexandre Clérisse signe une ode au métier de créateur de bandes dessinées. On ne peut s’empêcher de voir en Max un avatar de lui-même. Il rend hommage à l’imprimerie sans qui le métier ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Il image le futur dématérialisé du métier. Trois époques, trois décors, un traitement graphique commun dans la couleur directe exécutée de façon si particulière qui fait de Clérisse plus qu’un auteur un artiste. Mais ça, on le savait déjà. Les souvenirs de l’empire de l’atome, L’été Diabolik ou encore Une année sans Cthulhu étaient déjà des sommets de dessin, sur des scenarii de Thierry Smoldoren. Ici, il prend la main sur le scénario, comme à ses débuts en prenant des risques dans cette triple histoire qui n’en est qu’une.

 

            Les meilleures histoires s’écrivent-elles sur des feuilles volantes ? Celles-ci sont reliées dans l’un des merveilleux événements de l’année, un album digne de l’Oubapo, l’ouvroir de bande dessinée potentielle.

             

One shot : Feuilles volantes 

Genre : Voyage temporel

Scénario, Dessins & couleurs : Alexandre Clérisse

Éditeur : Dargaud

Nombre de pages : 144

Prix : 23 €

ISBN : 9782205084764

  

 

 

 

 

 


L’institutrice 1 - Ne fais pas à autrui… / 2 - Les enfants de Surcouf

 

            Ploménéac, centre Bretagne, vendredi 23 juin 1944. Dans la petite école intégrée à la Mairie du village, l’institutrice est en train d’expliquer aux élèves les exercices qu’ils vont devoir faire lorsqu’elle aperçoit un véhicule avec des hommes en uniformes. La priorité est de cacher Jacques Le Gall, le seul élève juif de la classe. La suite est de demander à Guénolé, élève modèle, de surveiller la classe pour pouvoir aller voir ce qu’il se passe dans la partie Mairie du bâtiment. Des soldats allemands et des autonomistes extrémistes bretons malmènent le Maire. Il sont en fait à la recherche du petit Jacques, qui ne s’appelle pas Le Gall, mais Rosenthal. Afin que l’enfant ne soit pas « raflé », la maîtresse renvoie une partie des élèves chez eux et part en sortie scolaire en forêt avec les autres dont Jacques. Très vite, ils vont devenir le gibier de chasseurs prêts à tout pour les retrouver… surtout Jacques.

 

            Yves Lavandier signe son premier scénario de bande dessiné et réussit un coup de maître. En pour cause, l’homme est cinéaste, pédagogue et essayiste. Il est l’auteur d’une bible de l’écriture de scénario. Autant dire que la dramaturgie, ça le connaît. Avec le diptyque L’institutrice, il écrit une histoire de haute tension en hommage à tous ces héros du quotidien qui ont sauvé les autres pendant les années de guerre. Il met en avant le rôle prépondérant des enseignants, des instituteurs et institutrices qui ont non seulement véhiculé des messages d’espoir, mais ont également mouillé leurs blouses de maîtres et maîtresses pour extraire les enfants juifs de l’enfer auquel ils étaient destinés.

 

 

 

© Maurel, Lavandier – Albin Michel

 

 

 

            Carole Maurel dessine l’histoire de Marie-Noëlle Moënner avec la sensibilité qui lui est propre. Celle qui se dirige pour dans quelques années vers un grand prix à Angoulême est devenue une dessinatrice indispensable. Qui mieux qu’elle aurait pu transcrire en dessin le destin de cette classe de petits bretons ? On voit mal qui. Tout est dit dans chacune des couvertures de ces deux albums. Dans le premier, l’institutrice fait barrage entre la milice et les élèves. Dans le second, on voit juste sa main qui tire un enfant hors de l’eau. Maurel arrive à rendre des scènes poignantes jusqu’à en extraire des larmes comme la séquence du puits dans le tome 2.

 

            La Seconde Guerre Mondiale est le décor privilégié de bon nombre d’albums d’exception ces dernières années. L’institutrice fait partie de ceux-là. Incontestablement l’un des chocs de l’année.

 

Série : L’institutrice

Tomes : 1 - Ne fais pas à autrui… / 2 - Les enfants de Surcouf

Genre : Résistance

Scénario : Yves Lavandier

Dessins & Couleurs : Carole Maurel

Éditeur : Albin Michel

Nombre de pages : 100 / 104

Prix : 16,90 €

ISBN : 9782226453990 / 9782226477002

  

 

 

 

 

 


La vie me fait peur

  

            Paul, la trentaine, vient de se faire virer de l’entreprise familiale par sa femme. C’est l’occasion pour lui de revenir sur sa vie. Entre un père fantasque et une mère très terre-à-terre qui disparaîtra dans un étonnant accident de la route, le petit Paul a toujours eu du mal à trouver sa place. Ce phénomène le poursuivra toute sa vie. Que s’est-il passé entre son enfance et maintenant pour que celle qui était devenue son épouse se retrouve à diriger l’entreprise de tondeuses autoportées créée par son père et le mette à la porte ?

 

            Plus que l’histoire de Paul, « La vie me fait peur » est avant tout l’histoire de Raoul, son père, meurtri par le deuil d’un enfant, Romain, le frère de Paul, mort à deux jours. La perte d’un enfant quel que soit son âge étant la plus grande douleur qu’un parent puisse vivre, il n’est pas étonnant que Raoul en ait des séquelles. C’est certainement pour cela qu’il n’habite plus le même monde que ses contemporains. Fantasque, immature, il vit pour son entreprise, ses loisirs et son ami Jean, doux dingue. Paul aura toujours du mal à intégrer cette dimension parallèle dans laquelle erre son père et dont la mort de sa femme l’enfonce encore plus dans cet espace entre la vraie vie et le désir d’une autre réalité.

 

 


© Durieux, Tronchet - Futuropolis

 

            Didier Tronchet aime raconter des parcours de vie. C’est peut-être parce que lui-même a beaucoup bourlingué, de Madagascar à l’Amérique du Sud. De L’homme qui ne disait jamais non au Chanteur perdu, ou plus humoristiquement de Jean-Claude Tergal à Raymond Calbuth, l’auteur retrace des parcours singuliers de personnages en marge d’une société qui ne va pas à la même vitesse qu’eux. C’est certainement pour cela qu’il a souhaité s’emparer du roman éponyme de Jean-Paul Dubois paru au Seuil en 1994, pour en offrir une nouvelle structure. Au dessin, Christian Durieux retrouve l’ambiance des Gens honnêtes qu’il a signé chez Aire Libre sur un scénario de Jean-Pierre Gibrat.

 

            Les aléas de la vie peuvent transformer un être du jour au lendemain. Avec La vie me fait peur, les auteurs démontrent qu’il y a toujours une raison d’avancer et qu’un jour on devient le magicien de quelqu’un. Moment fort de cette fin d’année BD, si « La vie me fait peur » peut aider à avoir moins peur d’elle, le contrat est rempli. Incontestablement, il l’est.

 

One shot : La vie me fait peur 

Genre : Emotion

Scénario : Didier Tronchet 

D’après : Jean-Paul Dubois 

Dessins & Couleurs : Christian Durieux

Éditeur : Futuropolis

Nombre de pages : 80

Prix : 16 €

ISBN : 9782754829014

 

 

 

 

 

 

Laurent Lafourcade

 


 



Publié le 18/12/2022.


Source : Boulevard BD

        Toute l'actualité

©BD-Best v3.5 / 2024