Spécial Saint Malo – Rencontre avec Léo
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Spécial Saint Malo – Rencontre avec Léo

Auteur à succès, Luis Eduardo de Oliveira, dit Léo, n’en est pas moins une personne discrète, simple et chaleureuse. Bien qu’il soit titulaire d’un diplôme d’ingénieur, c’est pourtant les métiers de dessinateur et d’auteur de BD qu’il choisira d’exercer. Fasciné par la BD franco-belge mais aussi, victime de son militantisme de gauche, Léo a quitté le Brésil et les terres d’Amérique du Sud en 1981 pour s’installé en France. Il y mène depuis trente ans une carrière prolifique d’auteur de BD, couronnée par le succès inattendu des Mondes d’Aldébaran, la série de science-fiction/fantastique qu’il mène seul depuis 17 ans aux éditions Dargaud.

Malgré les dédicaces aux visiteurs du festival de Saint-Malo et les sollicitations de la presse, notre journaliste Christian Missia a pu passer un moment avec l’auteur brésilien, qui s’est gentiment plié au jeu des questions-réponses.

 

Comment allez-vous ?

Léo : Très bien ! J’ai un nouvel album qui sort et cela faisait très longtemps que je n’étais plus venu au festival Quai des Bulles de Saint Malo. Je suis très content !

Êtes-vous souvent présent dans les festivals ?

Léo : Non. J’avais complètement arrêté de faire des dédicaces car ça me fatiguait énormément.Ca me stresse aussi et vu que je travaille beaucoup, j’avais décidé de ne plus faire de dédicaces. Mais petit à petit, je me suis senti isolé. J’ai ressenti le besoin de revoir mes copains auteurs et aussi de rencontrer mon public. Au début, je pensais juste venir mais en ne faisant pas de dédicaces mais j’ai compris que ce n’était pas correct pour toutes ces personnes qui souhaitent me rencontrer et donc, j’ai recommencé à faire des dédicaces. Saint -Malo est le premier grand festival que je fais et en janvier, j’irai aussi à Angoulême.

Comment se passe la rencontre avec vos lecteurs ? Quelles questions vous posent-ils le plus souvent ?

Léo : Voilà un gros problème que je rencontre lors des dédicaces : je suis incapable de dessiner et de tenir dans le même temps une conversation ! Comme il y a beaucoup de dédicaces à faire, je baisse la tête pour me concentrer mais ça intimide mes lecteurs car je donne l’impression de me fermer. Toutefois, la plupart tentent quand même la conversation et nous arrivons quand même à échanger quelques mots.

Mais je reste à l’écoute du public. Par exemple hier, lors de mon premier jour de festival, j’ai senti que les lecteurs étaient de véritables fans de mon univers car ils connaissaient tous mes albums ! Et ce sont des vrais fans, pas des collectionneurs ! Les collectionneurs sont juste des chasseurs de dédicaces. Ce ne sont pas des lecteurs normaux et ils ne connaissent pas mes histoires. Mais là, j’ai vraiment eu à faire à de vrais fans et c’est important de maintenir le contact avec les gens qui vous suivent et qui aiment votre travail.

Les fans influencent même parfois mes histoires ! Tenez, je me souviens qu’à l’origine, je voulais uniquement réaliser cinq tomes d’Aldébaran et entamer ensuite Bételgeuse mais avec de nouveaux personnages. Je ne voulais pas réutiliser les personnages d’Aldébaran car je voulais renouveler l’histoire. Je pensais que c’était une bonne idée. Un jour, lorsque j’étais en dédicaces dans une librairie en Belgique, quelqu’un me questionne sur le nouveau cycle de Bételgeuse. Cette personne voulait savoir si Kim et Marc allaient revenir. Je lui réponds non mais qu’il y aurait de nouveaux personnages. C’est alors qu’une jeune fille qui faisait aussi la file avec sa mère et qui a entendu la conversation s’est mise à rouspéter en me disant que je ne POUVAIS PAS supprimer les personnages de Kim et de Marc ! C’était IM-PEN-SABLE ! Sa mère aussi s’y est mise en me disant que pendant cinq ans le public s’était habitué à ces personnages. Qu’il les aimait et que c’était absurde de les faire disparaitre pour tout recommencer avec de nouveaux personnages ! Du coup, j’ai fait de Kim le personnage central de toute la saga Aldébaran et je la fais accompagner des autres personnages qui me tiennent à cœur. Cette jeune fille et sa mère m’ont ouvert les yeux et j’ai réalisé à quel point le public aimait les personnages de Kim et de sa bande.

 

 


Avez-vous plus d’hommes comme lecteurs ou plutôt des femmes ?

Léo : Les deux. Aussi bien des hommes que des femmes. Des jeunes et moins jeunes mais quasiment pas d’enfants, par contre. Il y aussi des gens plus âgés qui ont plus de la cinquantaine.

Les femmes aiment particulièrement le fait qu’il y est des femmes fortes telles que Kim, Alexa ou encore Maï Lan.

Comment réagissent-elles devant la sensualité disons… affirmée de vos personnages féminins ?

Léo : Ca passe très bien ! J’étais même assez surpris de leurs réactions car je me demande souvent jusqu’ou je peux aller dans leurs comportements ou dans les dessins de nus. J’ai toujours refusé de me censurer mais je ne veux pas non plus faire une BD racoleuse. Je trouve important de montrer que mes personnages ont une vie sexuelle. Ca fait partie de la vie et je ne vois pas pourquoi je devrais gommer cet aspect des relations hommes-femmes. Et puis, le cinéma et les séries télés le montrent bien alors, pourquoi pas en BD ? Le public est habitué à cette espèce de pudibonderie que l’on voit dans les productions US. Dans les 70’s, à l’époque des hippies, la sexualité était vécue d’une manière très saine. Les hommes et les femmes se déshabillaient librement à la plage par exemple et je voyais cela comme une évolution dans les mœurs. Mais après, il y a eu une régression. Les filles sont devenues prudes à la plage. Je trouve cela dommage. C’est pour cela que mes personnages féminins sont si spontanés. Si elles veulent du sexe, elles le disent, sans complexes.

Moi, en tout cas, ça ne me dérange pas du tout !

Léo : Moi non plus (rires) ! Du coup, je me suis rendu compte que mes lecteurs aimaient ça aussi. Bon, parfois certains m’accusent d’influencer négativement les jeunes filles. Mais je leur réponds que je n’écris pas pour les jeunes filles mais pour les adultes ! Toutefois, certains parents laissent leurs enfants lire mes BD car ils trouvent qu’elles ne sont pas vulgaires. Les jeunes d’aujourd’hui sont déjà gavés par la télé et ils sont beaucoup plus éveillés que moi à leur âge.

 

 


Votre actu c’est la publication de l’épisode 4 d’Antarès, le troisième cycle des Mondes d’Aldébaran. Dans l’épisode précédent, nous avions laissé Kim et ses amis dans une situation dramatique car sa fille avait disparue… Que se passe-t-il dans l’Episode 4 ?

Léo : Je ne vais pas raconter l’histoire de peur de dévoiler ce qui s’y passe (rires) ! Mais c’est vrai que la disparition de la petite fille à choquée mon entourage. Hors, je voulais juste rajouter un peu de suspens. Mais tout deviendra bientôt clair car nous approchons doucement du dénouement…

Arrêtons-nous un moment sur le personnage de Marc. Au début de la saga, dans Aldébaran, c’était lui le personnage principal. Puis, il est complètement passé au second plan à partir du cycle Bételgeuse, au profit de Kim. De plus, il joue les jolis cœurs avec d’autres personnages féminins au point qu’il perdra sa femme - Kim - qui aura un enfant avec un autre personnage… Alors, verra-t-on bientôt Marc revenir au premier plan et va-t-il enfin se réconcilier définitivement avec Kim ?

Léo : (Long silence)… Je ne sais pas (rires)… Cet aspect de l’histoire est un véritable casse-tête pour moi !

Au début, lorsque j’avais créé le personnage de Marc, je l’ai volontairement fait grand, blond aux yeux bleus et musclé. L’archétype même du héros occidental ! Puis, j’ai réalisé plus tard mon erreur car dans mon esprit c’est Kim qui devait être l’héroïne de la série.

Concernant leur histoire, je pense que comme dans la vraie vie, des personnes qui se connaissent depuis toujours finissent souvent par s’éloigner en grandissant… Ils peuvent aussi se retrouver… Mais je voulais laisser cet aspect du scénario ouvert. Je ne sais pas. Je laisse à mes personnages la possibilité de vivre leur vie. On verra. Tout ce que je peux dire c’est que Marc ne fera pas partie de la mission sur l’autre planète, contrairement à Amos Blum, le médecin qui drague Kim… Marc restera sur la base avec Maï Lan…

Mouais…

Léo : Mais ça ne veut rien dire, a priori ! Je peux très bien faire en sorte que Marc et Kim se retrouvent à la fin. On verra… La vie est compliquée (rires) !

Parallèlement à Antares, vous avez aussi lancé un spin-off intitulé les Survivants… N’avez-vous pas peur de faire la série de trop dans l’univers d’Aldébaran ?

Léo : Je me suis beaucoup questionné au moment d’attaquer la série les Survivants parce que, justement, je ne veux pas faire la série de trop. C’est vrai que pour le premier volume de cette nouvelle série, j’ai eu un peu de mal à le distinguer des autres albums des Mondes d’Aldébaran mais actuellement, je dessine le second tome des Survivants et là, il y aura beaucoup plus de différences avec la série mère. Par exemple, je vais explorer beaucoup plus profondément les relations entre mon groupe d’humains et les différentes races extraterrestres qu’ils vont rencontrer sur cette planète sur laquelle ils se sont crashé. Je vais aussi dessiner moins de bêtes extraterrestres.

L’idée de faire les Survivants m’est venu d’une manière un peu étrange. A l’époque ou je terminais Kenya, j’ai annoncé à mon complice Rodolphe que je ne dessinerais pas la suite intitulée Namibia car je voulais ralentir le rythme. J’étais fatigué ! Je continuais néanmoins à co-scénariser la série. Puis, l’idée des Survivants m’est venue. J’en ai alors parlé à ma femme mais celle-ci n’était pas aussi enthousiaste que moi. J’en ai parlé ensuite à mon éditeur qui m’a donné, sans réelles convictions, son accord. J’étais un peu seul avec mon idée de spin-off d’Aldébaran mais comme j’étais convaincu du projet, j’ai réalisé l’album et finalement, tout le monde à aimé !

Mais le revers de la médaille c’est que je bosse plus qu’avant ! Je réalise complètement Antares et les Survivants (scénario, dessins et couleurs, ndr). Je suis aussi scénariste de Namibia et de Terres Lointaines !

 

 


Vous êtes d’origine brésilienne, une nation reconnue pour être très croyante. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler du monument le plus célèbre du Brésil : le Christ Rédempteur du mont Corcovado, l’un des lieux les plus touristiques de Rio de Janeiro. J’aimerais savoir si vous croyez en Dieu ?

Léo : Non, je ne crois pas en Dieu, je suis athée. Et cela se voit dans mes albums. Je suis vraiment contre les religions car je pense qu’elles ont fait souffrir l’humanité! Je n’essaie pas de faire du prosélytisme athée, je raconte juste mon ressenti par rapport à tout ça mais dans mes albums.

Vous dites que vous ne voulez pas faire de prosélytisme athée mais pourtant on a parfois cette impression en lisant les Mondes d’Aldébaran, que vous voulez faire passer un message antireligieux. Et puis, sans vouloir prendre la défense des religions, ne pensez vous pas avoir une vision un peut manichéenne des croyants ? Je veux dire, le Brésil, le continent américain dans son ensemble tout comme l’Afrique sont des régions du monde ou la foi en Dieu et l’appartenance à une religion sont assumées pleinement sans pour autant que cela verse systématiquement dans l’intégrisme. Actuellement, un parti islamiste vient de gagner les élections démocratiques en Tunisie, un pays peuplé majoritairement de musulmans mais qui est aussi dans le même temps très attaché à la laïcité.

LEO : Oui, bien sur. Il y a aussi des bons aspects dans les religions. Il y a aussi des gens de qualité dans les différents courants religieux.

Une citation dit que les religions séparent les hommes mais la foi les uni.

LEO : Non, je ne crois pas en ça. La foi, c’est un truc des religions. Les chrétiens disent que leur foi est plus pure que celle des Juifs. Les musulmans disent la même chose. Les Juifs, pareil…

Pourtant, les philosophes, les anthropologues sont unanimes dans le fait que l’Homme a profondément besoin de croire en quelque chose. Certains croient en Dieu ou aux dieux. D’autres croient aux forces de la nature. D’autres encore croient en la bonté de l’Homme ou à la raison humaine. Je veux dire que la volonté de croire en quelque chose est consubstantiel à notre espèce. La science et la foi sont des conceptions qui différencient l’Homme des autres êtres vivants.

LEO : Je suis influencé par ma culture qui est catholique. Et dans mon enfance, on nous disait de croire, sans réfléchir. Je suis complètement opposé à cela !

Mais dans mes histoires, je ne rentre pas dans les détails. Je critique les religions en général, sans en cibler une en particulier.

C’est vrai qu’au Brésil, on est religieux mais la religion n’est pas aussi envahissante, contrairement à certains pays musulmans, par exemple. Et puis lors de mon arrivée en France dans les années 80, j’ai découvert les conflits meurtriers qu’il y avait en Irlande entre les catholiques et les protestants. Cela m’a profondément choqué car je ne connaissais pas cela au Brésil !

Justement, ne trouvez vous pas cela intéressant d’apporter ce point de vu de brésilien et de montrer qu’il y a des sociétés ou la foi, les religions sont parfaitement intégrées dans des pays laïques ? Surtout que l’on ressent vos origines sud-américaines dans votre œuvre.

LEO : Oui, c’est vrai. Mais dans mes histoires, j’essai de dénoncer des comportements que j’estime primaire. Par exemple dans Aldébaran, les méchants sont représentés par l’armée parce que dans mon enfance, l’armée et les forces de l’ordre étaient souvent corrompues et bornées.

C’est vrai aussi que les prêtres étaient souvent très progressistes en Amérique du Sud, en particulier pendant les coups d’états. Beaucoup ont risqué leurs vies pour défendre les peuples sud-américains. C’est pour cela qu’en arrivant en Europe, le conflit en Irlande m’a profondément choqué. J’étais sidéré de voir cela au XXème siècle ! De plus, je perçois le message du Pape comme étant un discours médiéval et parfois déconnecté des réalités du monde.

C’est vrai, je reconnais que je n’ai pas de personnages croyants qui sont normaux. Je suis incapable de faire cela (rires). Et puis, une BD de 46 planches ne laisse pas souvent de place pour approfondir ce genre de choses.

Dans le cycle Bételgeuse et encore plus, dans le cycle Antares, vous vous questionnez sur la colonisation d'autres planètes par l'humanité. Pensez vous que l'humanité ne devrait pas tenter explorer d'autres monde, le jour ou elle en aura les moyens ?

 

LEO: Dans mon histoire, j'ai choisi de montrer que les humains se mettent à coloniser d'autres planètes sans prendre toutes les précautions nécessaires, très préoccupés à faire fructifier leur énorme investissement. C'est-à-dire, je transpose dans mon futur imaginaire un comportement qu'on voit de nos jours, en dépit de tous les progrès des dernières années, comme c'est le cas de l'exploitation du pétrole dans les pôles où de la pêche à grande profondeur, qui risquent de détruire ces écosystèmes fragiles. Une colonisation des planètes de cette façon, je serais contre, bien sûr. Mais heureusement la possibilité que les humains arrivent à voyager vers d'autres systèmes planétaires est si lointaine, que je me dis qu'à cette époque future, les humains auront évolué aussi du côté de la conscience écologique et morale, et que les erreurs que j'évoque dans mes histoires ne seront pas possibles. Je l'espère!

 

 

Interview © Graphivore-Christian Missia 2011

Images ® Dargaud-Leo 2011



Publié le 14/11/2011.


Source : Graphivore

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