Flux RSS
« Tout homme naît avec des rêves, peu y consacre leur vie entière et une poignée seulement les réalise ! »
Qu’en sera-t-il pour Gerry ?
Gerry est un petit garçon qui n’a pas de chance. Il perd sa maman très jeune, puis sa seconde « maman » 3 ans plus tard. Son père décide de refaire sa vie … sans ses enfants, lui et sa sœur Florence. C’est finalement un oncle et une tante, qui le recueille et lui offre la possibilité de faire les brillantes études auxquelles il rêve … car Gerry a déjà un rêve : fabriquer un canon qui permettrait d’envoyer des obus afin de livrer immédiatement le courrier à l’autre bout de la terre.
Cette idée, il l’a eue en lisant Jules Verne … « De la Terre à la Lune » !

© Girard – Casterman
Doué d’une intelligence hors norme, en avance sur son âge, il enfonce les portes des écoles et universités, tout en y découvrant également la jalousie, la méchanceté, l’ignorance et le manque d’imagination. Cette dernière par contre ne lui manque pas … et c’est souvent qu’il s’entretient avec son « mentor imaginaire », Jules Verne lui-même !
Son premier conseil :
« Apprends à connaître tes ennemis intimes ! Ils se mettront en travers de ta route chaque fois que tu voudras sortir du rang, penser différemment ou innover ! »
Gerry ne voit pas le « mal ». Il ne vise que la concrétisation de son objectif et si pour cela il doit accepter l’aide, notamment financière, du Canada, des Américains (CIA en tête) qui s’empresseront de détourner ses innovations et inventions, tant pis !
« On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs ! » dit la maxime et pensera-t-il longtemps !
« Nous réalisons une percée scientifique et ce moustachu borné ne pense qu’à la guerre ! Jules Verne avait vu juste : l’idiot regarde dans le miroir et voit un génie » (Dr Gerry, p. 41)

© Girard – Casterman
Or livrer le courrier par missile, il en est sûr, c’est possible … Comme envoyer des satellites en orbites via de supercanons et non plus des fusées fort onéreuses … perdues après le lancement !
Alors pour cela, il met son génie à inventer des canons, des obus, … de plus en plus puissants. Et par conséquent, de plus en plus intéressants pour les gouvernements du monde entier.
C’est ainsi que mû par ce désir brûlant d’atteindre son objectif, il devient marchand d’armes, marchand de canons, semeur de mort !
Et si subitement ses financiers « par intérêt » s’inquiètent de son génie, de sa volonté de s’en affranchir financièrement, lui coupent les ailes, l’emprisonnent carrément et détruisent sa réputation, son honneur, son nom … que faire ?
Le politique a toujours été si peu reconnaissant, girouette cachant son hypocrisie derrière des mascarades médiatiques quand cela les arrange ! Rien ne change sous le ciel !
Subir, affronter et garder comme seul et unique objectif … son rêve ! Cela coûte que coûte !
« La vie commence avec le pouvoir de l’imagination. Ne fais pas de compromis sur tes rêves et bats-toi » (Jules Verne à Gerry, p. 50)

© Girard – Casterman
Viennent alors les mauvais choix, les mauvais « partenaires », les mauvais « camps » pour les « amis » d’hier ! De démocraties, il se met à apporter son savoir à des dictateurs, des régimes autoritaires … Dangereux pour lui, sa famille, ses entreprises ! Mais qu’importe tout cela, si finalement il réussit à réaliser sa chimère !
Arrive pourtant le moment où même son « mentor » ne le comprend plus !
« Quand j’ai écrit « De la terre à la lune », je voulais inspirer des rêveurs, pas des meurtriers. Au lieu d’être un humaniste qui œuvre pour le bien commun, tu es un destructeur hypocrite ! » (Jules Verne à Gerry, p. 73)
En effet, peut-on, sous prétexte d’accomplir son rêve tout accepter et se masquer la portée et les conséquences de ses inventions ?
« -Mes ennemis me talonnent et les embûches s’accumulent. Mon rêve était trop ambitieux …
- Les grandes choses partent toujours d’une grande ambition. Accroche-toi à ton rêve. C’est la seule chose que tu possèdes. » (Gerry et Jules Verne, p. 115)

© Girard – Casterman
Grande réflexion à l’heure où sort « Oppenheimer » au cinéma ! Pouvons-nous créer l’arme la plus destructrice du monde, en partant d’un bon sentiment, sans en accepter les conséquences morales une fois celle-ci détournée à des fins d’apocalypse ?
« Quand mettras-tu enfin ton talent au service de tes rêves ? » (Emma, sa femme, à Gerry, p.126)
Dès lors, le docteur Gerry peut-il être responsable de ce que les gouvernements font de ses inventions ?
« Voyons chérie, je suis un scientifique ! On ne blâme pas l’inventeur du moteur à essence chaque fois qu’il y a un accident de la route ! » (Gerry à son épouse, p. 100)
Après « Leonard Cohen », voici que Philippe Girard nous entraîne dans les méandres de la vie de ce savant visionnaire, devenu tellement dangereux pour les uns et pour les autres que son génie ne pouvait se partager avec n’importe quel pouvoir politique. Inspiré très librement, bien que malgré tout fort proche, de la vie de Gérald Vincent Bull, ce Canadien révolutionna la balistique moderne. Inventeur du Super Canon de Saddam Hussein, il nous en livre probablement une « biographie » romancée bien plus réelle que la plupart des articles le présentant … ou plutôt le clouant au pilori de la moralité géopolitique et militaire. Assassiné en 1990 devant sa porte à Uccle, sa mort est encore un mystère 33 ans plus tard.

© Girard – Casterman
Loin de vouloir le « disculper » de son parcours ou de porter un jugement sur celui-ci, Philippe Girard tente plutôt de nous présenter ce rêveur humaniste perdu dans les affres d’une « civilisation née à partir du moment où les hommes ont créé des armes » ! (dixit Gerry, p. 49).
Clairement à l’opposé de l’icône qu’est Leonard Cohen, Philippe Girard reconnaît que, cette fois, son « héros » est plus une source d’embarras qu’un modèle pour tous les Canadiens qu’ils sont.
En partant de son enfance difficile, voici le parcours d’un scientifique idéaliste, innovateur, marchand d’armes par obligation, mari aimant et père protecteur, qui visait les étoiles mais dont les créations ne finirent finalement qu’à prouver que ce marché ne connaît ni frontière, ni règle. Entre rêverie, naïveté, ambiguïté d’un côté et duperie, hypocrisie, tromperie de l’autre, le pot de terre face au pot de fer … Tout le monde connaît déjà la conclusion !
Roman graphique, bien documenté, pour traiter le sujet en profondeur et en un seul tome, son intérêt est plus pour son contenu, la réflexion qu’il propose que pour son graphisme. Ce dernier étant fort classique à ce type de format, cela n’enlève cependant rien à la lisibilité et à la fluidité du récit. Bien au contraire !
Cette approche humaine, scientifique, historique peut paraître à certains moments choquante mais toujours passionnante.

© Girard – Casterman
Bref, un roman graphique instructif à la l’image de son héros trop méconnu du grand public derrière l’image que les médias lui ont collée à la peau.
Un roman graphique dont le mot central s’écrit en lettres de feu : rêve !
Thierry Ligot
Titre : Supercanon ! Le marchand d’armes qui visait les étoiles
Éditeur : Casterman
Scénario : Philippe Girard
Dessin : Philippe Girard
Couleurs : Philippe Girard
Nombre de pages : 152
Prix : 24,00 €
ISBN : 9782203241121
![]() |
©BD-Best v3.5 / 2025 |