« - Tu as quel âge, mon garçon ?
- Vingt ans, monsieur.
- Vraiment ? On dirait un ange ! On ne va tout de même pas exposer un aussi beau minois aux tirs ennemis !
- On a encore besoin d’un tambour…
- Parfait ! Faisons comme ça.
- Bien. Bosse, tambour. Suivant ! »
Vincent Bosse revient sur sa jeunesse. Nous sommes à Borodino en 1860. Dans sa datcha, il reçoit un invité. Il fait bouillir de l’eau dans un samovar pour offrir le thé à son hôte. Vincent lui raconte sa carrière de tambour, et en particulier la retraite de Russie, quarante-huit ans plus tôt, dans les troupes de l’armée napoléonienne. Il paraît même que l’empereur lui aurait souri.
© Spruyt – Le Lombard
A travers l’expérience et l’innocence du jeune tambour Vincent Bosse, Simon Spruyt montre l’absurdité d’une désastreuse guerre. Le 7 septembre 1812, 250 000 soldats russes et français s’opposent dans un massacre qui comptera 75 000 tués ou blessés. L’armée napoléonienne en sortira vainqueur mais meurtrie. Le jeune tambour fera partie des rescapés. Avec eux, il entrera dans Moscou que les soviétiques mettent en flammes afin que leur ville sainte ne tombe pas sous le joug de l’Aigle. Observateur désillusionné, acteur en marche d’une boucherie humaine, Vincent Bosse avance comme un jouet dont le mécanisme ne s’arrêtera que quand il faudra le remonter.
En 2018, Stéphane Perger et Kid Toussaint publiaient Brûlez Moscou dans la collection Signé, également au Lombard. Cet album apporte un éclairage supplémentaire à l’incendie de la ville dont il est question ici.
© Spruyt – Le Lombard
Simon Spruyt n’est pas un simple auteur de BD. C’est un peintre de planches dont certaines cases valent des tableaux de maîtres, dans un style entre Bruegel l’ancien et Fernand Léger. Pour Vincent Bosse, et uniquement pour lui, il choisit un visage blanc, ce qui permet non seulement de le reconnaître d’une époque à l’autre, entre jeune homme et vieillard, mais aussi de prouver son innocence. Le tambour ne représente rien d’autre que la colombe de la paix, qui jamais ne tient un fusil et constate amèrement son impuissance face au désastre. Indéniablement, il préfèrerait se faire massacrer plutôt que de tenir une arme.
Serge Lama racontait la retraite de Russie dans une chanson de la comédie musicale Napoléon. Le texte retranscrit l’ambiance de l’album de Simon Spruyt comme s’il avait été écrit pour lui :
Triste, triste colonne
Le vent souffle et la cloche sonne
Tombe, tombe
La neige en trombe
Fait une tombe
Blanche aux chevaux
Tristes, tristes s'enterrent
Les soldats de plomb de la Terre
Vivre, vivre
Vivre ou survivre
Statues de givre
Sous des manteaux
Triste, triste légende
L'armée d'hier n'est qu'une bande
D'ombres, d'ombres
De fuyards sombres
Qui ne s'encombrent
Plus des drapeaux
Triste, triste retraite
Tambour noir et sourde trompette
L'impériale
La bonne étoile
D'hier se voile
Sur ce troupeau
© Spruyt – Le Lombard
Dans une annonce final inattendue, l’auteur donne une dimension nouvelle à l’une des œuvres les plus grandioses de la littérature russe. Après la fausse biographie du peintre Bouvaert dans Elégie pour un âne paru chez Casterman fin 2019, Simon Spruyt signe avec Le tambour de la Moskova un deuxième coup de maître, tant graphique que scénaristique.
Laurent Lafourcade
One shot : Le tambour de la Moskova
Genre : Histoire
Scénario, Dessins & Couleurs : Simon Spruyt
Traduction : Laurent Bayer
Éditeur : Le Lombard
Nombre de pages : 120
Prix : 19,99 €
ISBN : 9782803677740
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