« - Vous étiez déterminé à tuer ces gens parce que dans votre cœur vous pensiez qu’ils méritaient de mourir ?
- Je n’étais pas déterminé à les tuer. J’étais déterminé à faire en sorte que chaque membre du service, américain ou allié, rentre à la maison.
- Mais en tant que sniper, votre boulot est de les tuer, pas de les blesser ou de les arrêter. Vous devez avoir une certaine mentalité, pour être sniper. Vous les tuez.
- Je les tue pour protéger mes compagnons américains.
- Vous aimez tuer ces gens. Avez-vous jamais compris pourquoi ?
- Je veux dire… Ce n’est pas un problème, de descendre quelqu’un qui veut me voir, moi ou les miens, mort. Pas un problème du tout.
- Vous est-il jamais arrivé, en y repensant, d’avoir quelques regrets que ce soit, au sujet de ce que vous avez fait ?
- Oui. J’ai des regrets. Tous les gens que je n’ai pas pu sauver. »
Février 2012. Interviewé à la télévision américaine par Bill O’Reilly sur Fox News, Chris Kyle ne laisse apparaître aucun remords. En tant que sniper de l’armée américaine, toutes les cibles qu’il a abattues lui ont permis de sauver des vies. Pour des millions de personnes, il est une légende vivante. Un an plus tard, le 2 février 2013, il est abattu dans un stand de tir par Eddie Ray Routh, un ex-marine traumatisé mais n’ayant jamais combattu, dont il était l’idole. Comment un mercenaire tel que lui a-t-il pu se faire piéger par un tel individu ?
© Nury, Brüno– Dargaud
Fabien Nury raconte un morceau important de l’histoire de l’Amérique. Dans un pays incroyablement patriotique, le scénariste décortique les derniers mois de Chris Kyle de manière journalistique et méticuleuse. De la manière la plus objective possible, mais bien évidemment influencée par les propos véridiques des personnages, Nury permet de comprendre d’une part l’aura que dégageait un type comme ce tireur d’élite, mais aussi les cicatrices et les meurtrissures pas forcément apparentes que laissent les conflits armés. Eddie Ray Routh n’est pas un cas isolé. Comme des milliers de soldats dans le monde, il est tombé dans la drogue, l’alcool et la dépression. Il est le caillou dans la ranger d’une nation pré-trumpienne. Il y a beaucoup plus de politique qu’on ne pourrait le penser dans cet album.
© Nury, Brüno– Dargaud
Le graphisme spécifique de Brüno sert au mieux cette histoire aux frontières du reportage. Son trait épais donne une invincibilité apparente à Kyle. Il en fait un colosse aux pieds d’argile, se sentant intouchable en tant qu’icone d’une nation. Les instants suspendus des scènes tragiques leur donnent une certaine dimension. Là où Brüno est un brin moins convaincant c’est quand il essaye de trop coller aux personnages réels comme la mère d’Eddie ou le journaliste O’Reilly, les rendant trop caricaturaux.
© Nury, Brüno– Dargaud
La carrière de Chris Kyle a été racontée au cinéma par Clint Eastwood dans American Sniper, avec Bradley Cooper dans le rôle titre. On y reconnaît bien le personnage dépeint par Nury et Brüno.
Le vrai Chris Kyle/Bradley Cooper/Le Chris Kyle BD
Cet album est disponible en deux versions, une colorisée par Laurence Croix dans une ambiance guerre d’Irak ramenée en Amérique, une autre en noir et blanc permettant d’apprécier au mieux l’épaisseur volontairement plate du dessinateur.
Même si l’on n’est pas forcément attiré par le sujet américano-américain, L’homme qui tua Chris Kyle est un album particulier qui, tel un tir de sniper, laisse une marque indélébile qui le propulse dans la liste des bandes-dessinées qu’il faut avoir lu cette année.
Laurent Lafourcade
One shot : L’homme qui tua Chris Kyle
Genre : Polar
Scénario : Fabien Nury
Dessins : Brüno
Couleurs : Laurence Croix
Éditeur : Dargaud
Nombre de pages : 164
Prix : 22,50 €
ISBN : 9782205084672
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