« - Sinistres ! Ici la voix du très saint et nécessaire ministère de la morosité ! Monsieur Joyeux, notre roi au rire mille fois redouté, vous souhaite une abjecte journée bien, bien, bien plombante et bien, bien, bien pourrie! Souvenez-vous ! Les rires et les sourires ne sont autorisés que pour lui et sa cour de sous-rieurs ! La déprime, elle, est vôtre et à volonté, tristes sinistres ! Savourez-la nuit et jour car elle est la garantie de votre pathétique survie. Monsieur Joyeux le sait ! C’est pourquoi il vous prodigue ses méfaits pour votre mal-être permanent, et ce dans votre propre intérêt ! Je vous l’accorde, cela ne prête pas à rire, alors soyez sombre et faites la trogne, maudits sinistres ! Et vive Monsieur Joyeux ! Vive le Roi ! »
Monsieur Hubert 31-36 aime son travail car il a le loisir de repenser à ses rêves joyeux. Il est fonctionnaire au bureau des mauvaises nouvelles. Pendant qu’il officie à la torture des âmes en mettant des avis de décès et des actes de divorces dans des enveloppes, il rêve de princesse. A la naissance, il a eu le sourire entaillé vers le bas car c’était un affront pour le roi dans ce monde où seuls les nobles ont le droit de sourire. Finalement, grâce à cela, nul ne peut voir son optimisme. Un beau jour, ou plutôt un mauvais jour comme les autres, Monsieur Hubert croise la route de la princesse Carmine, l’hilare et rebelle fille du roi. Il faut faire taire cette folle, sinon la police du sourire va s’occuper d’eux.
© Louis, Hirlemann, Daviet - Bamboo
Si George Orwell, Aldous Huxley, Jacques Prévert et Paul Grimault avaient travaillé ensemble, ils auraient accouché d’une histoire du style de L’homme sans sourire. On se trouve dans un régime totalitaire soumettant le peuple, comme dans 1984. Chacun doit faire le travail pour lequel il est destiné, comme dans Le meilleur des mondes. Un roi règne en despote mégalomane comme dans Le roi et l’oiseau. Habillant les zeppelins gouvernementaux, un curieux logo proche d’un sourire rappelle la swastika. Le scénariste Stéphane Louis ne se contente pas de rendre hommage à des œuvres incontestables, il propose un conte noir et fou, un récit à tiroir avec une seconde lecture. Comme dans Matrix, le principal thème abordé n’est pas forcément celui que l’on voit ni celui auquel on pense.
© Louis, Hirlemann, Daviet - Bamboo
Dans un graphisme à la Triplettes de Belville, Stéphane Hilermann s’inscrit dans la digne lignée d’un Nicolas de Crécy. Les angles de ses traits sont pointus comme des rires sardoniques. L’ambiance sinistre est accentuée par les couleurs sombres de Véra Daviet dans la ville basse et la blancheur hypocrite de la tour du Roi où la joie est obligatoire.
© Louis, Hirlemann, Daviet - Bamboo
Dans cette dystopie, tout rire et tout sourire ont été bannis. Le narrateur poète dont l’identité reste secrète jusqu’à la dernière page raconte une histoire d’amour improbable entre deux êtres issus de classes sociales opposées. Ils ne devaient pas, ils ne pouvaient pas se rencontrer, et pourtant… Stéphane Louis crée une fable moderne au concept inédit, mais ça, on ne peut s’en rendre compte qu’à la toute dernière page et alors relire l’album sous un autre prisme.
Laurent Lafourcade
One shot : L’homme sans sourire
Genre : Dystopie
Scénario : Stéphane Louis
Dessins : Stéphane Hirlemann
Couleurs : Véra Daviet
Éditeur : Bamboo
Collection : Grand Angle
Nombre de pages : 72
Prix : 16,90 €
ISBN : 9782818975305
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