Yann et Olivier Schwartz mettent Spirou sur la trace de Tintin et du Congo : « Les repreneurs de série? Du pain béni pour les psys »
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Yann et Olivier Schwartz mettent Spirou sur la trace de Tintin et du Congo : « Les repreneurs de série? Du pain béni pour les psys »

Le monde de la BD se divise en deux catégories. Il y a les surprises et les albums qu’on attend de longue date. Avec Le maître des hosties noires (deuxième et dernière partie de La Femme-léopard et troisième « Spirou vu par… » des deux auteurs), Yann et Schwartz réussissent pourtant les deux. Ce Spirou sur les traces de Tintin et du Congo cumule ainsi le sens de l’Aventure avec un grand A et vintage, un humour décapant et sans temps mort et une abondante et pertinente documentation souvent tournée en dérision. La « reprise » dans sa plus grande originalité. Nous avons rencontré les auteurs.

 

 

 

 

 

 

© Yann/Schwartz

 

© Yann/Schwartz

 

Bonjour Olivier, bonjour Yann, vous avez tout donné sur cet album, non ?

Yann : C’est exact ! À présent, je peux mourir ! Le Maître des Hosties Noire m’accueillera au milieu de ses fétiches à clous !

Olivier : Tout donné, c’est le mot. Après, je crois que ce n’est pas sérieux. Je ne suis pas assez léger avec Spirou. Je devrais être plus relâché, plus spontané, consacré moins de temps à la documentation. C’est Spirou, pas un manuel d’histoire, quoi !
Couverture alternative © Yann/Schwartz
Couverture alternative © Yann/Schwartz

Mais est-ce plus un album de Spirou ou de Tintin ? 😀 Auriez-vous aimé, à la façon des cross-over américains, voir ces deux personnages se croiser et vivre des aventures ensemble ?

 

 

Couverture alternative © Yann/Schwartz

 

 

Couverture de l'édition délicieusement "brusseleir" de ce nouvel opus © Yann/Schwartz/Croix chez Dupuis


 

Yann : Déjà fait, refait et surfait ! C’est la première idée qui vient quand on pense à un Congo humoristique ; « Tintin », c’est encore aujourd’hui à Kinshasa le surnom donné à un gringalet belge !

Olivier : C’est définitivement un Spirou. Tintin, c’est la perfection absolue. Chez Spirou, il y a des approximations, et j’en suis plus là. À part Franquin, pas mal de dessinateurs y faisaient des fautes… de dessin, de goût, de scènes…

 

 

Couverture de l'édition délicieusement "brusseleir" de ce nouvel opus © Yann/Schwartz/Croix chez Dupuis

 

 

© Schwartz

 

Mais je ne vous cache pas que mon Spirou est un peu mâtiné de Tintin, mon Spip de Milou et Fantasio serait un mix de Haddock et du Professeur Tournesol. Mais je ne suis pas un addict les cross-over. Il aurait fallu que cette dimension intervienne plus tôt dans l’une ou l’autre série.

D’un côté, un Spirou qui n’en finit plus d’être repris (avec brio, le plus souvent, la preuve avec votre album) et, de l’autre, un Tintin figé depuis des décennies (et ce malgré les colorisations etc.). Des forces et des inconvénients de ces deux postures ? Tintin et son image s’affaiblissent-ils alors que Spirou ne cesse de revivre au fil des aventures proposées par différents auteurs ?

Olivier : Les deux options sont valables. Le risque d’oubli vaut de toute façon pour chacune des séries. Mais, en ce qui concerne le héros d’Hergé, l’autorisation a été donnée à des éditeurs, des cinéastes pour faire perdurer le mythe Tintin. Puis, Hergé, c’est un créateur. Du niveau de ceux qu’on n’oublie jamais, comme Bach, Cézanne, De Vinci… Un véritable monstre.

Yann : Bah ! Il faudra bien un jour que Nick et Fanny autorisent une série « Tintin vu par »… ne fut-ce que pour conserver les droits sur le personnage crée en 1929… il leur reste auparavant à coloriser l’Alphart l’an prochain !

Olivier : Pour Spirou, c’est particulier vu que ce personnage appartient à la maison Dupuis depuis que Rob-Vel l’a vendu. C’est un orphelin à la fois dans la fiction et dans la réalité. Du coup, il a des pères à foison. Puis, il est toujours porté par un magazine, et c’est aussi sa force.

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Quelles sont, pour vous, les reprises les plus réussies ? Pour Spirou et de manière plus générale ? Pourquoi ?

Yann : Toute reprise a un intérêt intrinsèque, puisqu’elle permet de dévoiler la personnalité profonde du créatif qui tente l’expérience ; c’est du pain béni pour un psy !

Olivier : Aucune hésitation, pour Spirou, la meilleure reprise, c’est celle de… Franquin. On oublie d’ailleurs que c’en est une ! Viennent ensuite celle de Chaland, de Bravo. J’ai aussi un gros faible pour ce que fait Alec Séverin.

 

 

lucky-luke-spirou-al-severin

 

 

lucky-luke - spirou par al-severin

 

Sinon, la reprise de Lucky Luke par Bonhomme est très réussie. J’aime aussi le travail d’André Juillard sur Blake et Mortimer. Et Aubin est très proche du dessin de Jacobs. Les Tuniques bleues de Lambil constitue également une reprise géniale.

Si on remonte un peu le temps, aux USA, quand Romita reprend des mains de Ditko Amazing Spiderman, il arrive à bonifier d’avantage le titre.

Chez Glénat, c’est Mickey qui trouve une seconde jeunesse avec des repreneurs de tous horizons. Vous vous y êtes intéressés ?

Olivier : J’ai adoré le Mickey de Cosey.

Yann : Donald, j’en rêve ! Celui de Carl Barks a bercé mon enfance ; il était inimitable, à cent coudées au-dessus du pâle palmipède dessiné par d’autres tâcherons dans le Journal de Mickey…

Si l’on revient aux prémisses, rafraîchissez-nous la mémoire, comment êtes-vous arrivé dans la collection « Le Spirou de… » ? Vous avez hésité ?

Yann : Jamais ! Spirou, c’est mon troisième petit frère !

Olivier : Pas le moins du monde. On avait déjà essuyé deux refus pour reprendre des séries; Freddy Lombard et Gil Jourdan. On était clairement dans cette dynamique. Et suite à une succession de désillusions chez Dupuis, ils ont dû se dire : « On va leur donner un os à ronger« . C’était Spirou.

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Vous aviez tous les deux la même vision de Spirou ? Quelle est-elle ? Quel est le « contrat » à remplir tout en trouvant le terrain pour s’amuser ?

Olivier : On est complètement en phase pour Spirou. Je voyais bien un Spirou contre les Nazis, comme le Captain America des années 40. Et Yann a opportunément ressorti son vieux scénario du Groom Vert-de-Gris composé avec et pour Yves Chaland. Il l’a réécrit de fond en comble.

Yann : Olivier et moi sommes branchés sur la même fréquence radio « Prousto-madeléno-zygomatique » !

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

En tout cas, c’est peut-être plus une aventure de Fantasio que de Spirou, non ? Vous lui avez donné de l’importance?

Olivier : Confidence : Yann se prend pour Fantasio. Alors, il m’a assigné le rôle de Spirou… mais il tire toute la couverture à lui dans ce troisième album.

L’idée de ce tome et de son scénario était-elle déjà bien présente au moment d’aborder le premier tome de La Femme-léopard ?

Yann : Erreur, l’intrigue est le fruit de discussions avec Olivier sur le sujet ; je fais du sur-mesure : le but est de donner du rêve et de l’enthousiasme à un malheureux enchaîné à sa table à dessin, qui va « sukkeler » comme on dit à Bruxelles, pendant un an ou deux sur 62 pages. D’où le petit jeu entre nous : Olivier connaît l’intrigue générale, mais pas le détail. Je m’efforce de le surprendre et de l’amuser à chaque fois que je lui envoie une séquence de découpage, afin de le stimuler !

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Olivier : L’idée de les faire partir en Afrique, je l’ai imposée à Yann qui en a profité pour demander deux tomes à Dupuis. Mais on avait bossé en amont et certaines scènes du tome 2 ont été brossées sur un coin de table au fond d’un estaminet d’Ixelles. Avant de commencer La Femme-léopard.

Le fantôme d’Yves Chaland flotterait-il un peu sur cet album ?

Olivier : Le fantôme ? Bof, ce qu’il a fait le rend tellement vivant.

Yann : J’ai conservé le nom de la contrée imaginaire du Congo où sont censées vivre les femmes-léopard ; c’est un petit clin d’œil entre lui (sur son nuage) et moi …

Cette arrivée dans ce Congo belge, comment l’avez-vous préparée ? Comment vous documentez-vous ? D’autant que vous faites dans le détail, y compris les affiches et les dialogues et les chansons en dialectes souvent croustillants.

Yann : Ma technique de travail est simple. Je lis tout ce que je peux trouver sur un sujet, en épluchant les notes en bas de page et la bibliographie, je digère, je noircis du papier, j’en rêve la nuit… et sur cet album, j’ai beaucoup surfé sur les forums de discussion congolais (très ouverts ! Pas besoin de montrer patte blanche pour y participer!) entre les « noix de coco » (mâles)  et les « chouques de Bruxelles » (femelles), c’est-à-dire les congolais nés en Belgique, avec les vrais congolais de Kinshasa ; en effet, certaines habitudes, expressions et traditions sont mystérieuses pour les uns et les autres…

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Olivier : Je fais feu de tout bois. Titres achetés, bibliothèque, internet, j’ai même eu l’autorisation de pénétrer dans le Palmarium, un jardin de plantes à Nantes, pour faire des croquis sur le vif.


Vous en perpétuez finalement intelligemment les clichés répandus dans la BD ?

Yann : La parodie se nourrit en partie de clichés ; tout l’Art des auteurs consiste à essayer de leur trouver un traitement original et surprenant.

Une période faste pour les grandes aventures ?

Yann : Vu l’époque un peu glauque et désabusée, la perte des illusions et des grandes valeurs, la fiction, le rêve et la comédie musicale sont les bienvenues pour apporter un peu de réconfort nécessaire…

Olivier : C’est le retour des années 80 avec la grande aventure.

Dans ce dépaysement, Olivier, il n’y a pas que les femmes qui sont léopards, et c’est sans doute votre album le plus animalier, non ? Un défi de dessiner certaines bêtes ?

Olivier : « Dessinons des animaux« , c’est un bouquin pour enfants d’Anne Davidow qui date des années 60 et c’est un des premiers livres que j’ai possédé, enfant.

Ceci explique sans doute cela. Puis, il y a l’amour s’immisce en fin d’album. Amoureux, Spirou ?

Yann : Bien sûr ! Si Charles Dupuis avait lâché la bride à Franquin, il est évident qu’il aurait développé les rapports entre la jeune et jolie Seccotine, astucieuse et malicieuse, l’alter égo féminin de Spirou…

Olivier : Ce n’est pas Les Nombrils ou Tamara, non plus. L’amour est savamment dosé, homéopathiquement.

Malgré le bouillonnement et la frénésie de cet album, je trouve que vous dosez brillamment les choses. Vous avez évité d’en faire de trop ?

Yann : C’est à vous de me le dire. J’ai en tout cas essayé d’être généreux avec le lecteur. En 1966, j’ai été envoyé en pension en Bretagne et je n’ai eu le droit que d’emporter un album de BD: j’ai emporté « QRN sur Bretzelbourg », qui venait de paraître.  J’ai dû le relire des dizaines de fois cette année-là… il était tellement riche que je découvrais des petits détails à chaque relecture ! Depuis, je déteste les albums lus en un quart d’heure !

 

 

© Yann/Schwartz/Croix chez Dupuis

 

 

© Yann/Schwartz/Croix chez Dupuis

 

Vous sortez d’une admirable trilogie qui aura duré près de dix ans. Spirou, c’est fini pour vous ? Quels sont vos projets ?

Yann : Je travaille déjà sur un nouveau sujet pour Spirou, totalement différent !

Olivier : Nous avons aussi le projet d’une série à nous, Yann et moi. Enfin !

Aimeriez-vous partir vers une autre reprise ? De quel héros ?

Olivier : C’est tentant. Un peu comme de passer devant une vitrine de pâtissier.

Yann : Gil Jourdan, bien entendu ! Aaaah … la petite « Queue de Cerise » … et le vieux Croûton !


La suite de Gringos Locos a-t-elle toujours un maigre espoir de voir le jour ?

Yann : Il y a toujours de l’espoir ! Mon synopsis est prêt !

Olivier : … mais c’est au point mort.

 

 

© Yann/Schwartz

 

 

© Yann/Schwartz

 

Croisons les doigts ! Un immense merci à tous les deux et à très vite. Et bonne année!

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 27/01/2017.


Source : Bd-best

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