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« C’est un roc !… C’est un pic !… C’est un cap !… Que dis–je, c’est un cap ?… C’est une péninsule! » C’est surtout un fameux bouquin qui fait de la BD en théâtre et du théâtre en BD que nous a livré Léonard Chemineau en adaptant la pièce d’Alexis Michalik, Edmond. Comme Rostand, le papa de Bergerac. Ou son inspirateur lui-même inspiré et pris à la gorge par des délais intenables et un petit mensonge qui allaient le mener à se faire un nom, en lettres de noblesse théâtrale. Car, parfois, la réalité qui se cache au-delà du rideau est encore plus incroyable et réjouissante que ce qu’il se trame sur les planches. Interview avec cet auteur, passé de l’ombre à la lumière, des coulisses à l’idée lumineuse. Interview avec Léonard qui a trouvé les tons, les décors et l’énergie pour animer cette aventure humaine et traghilarante. Avec du souffle, du panache et du nez pour marquer 2018.

© Chemineau
Bonjour Léonard, avec Edmond, vous adaptez non pas la pièce Cyrano de Bergerac mais celle d’Alexis Michalik qui se promenait dans les coulisses incroyables de la création de cette pièce majeure. Mais, vous, connaissiez-vous Cyrano ?
De vue. J’étais novice, en fait. Je n’avais jamais la pièce, ni le film. J’étais, du coup, super-content de la découvrir. Encore plus dans ce qu’elle a de récit fondateur et matriciel, comme L’Avare ou Roméo et Juliette. La problématique est humaine et Edmond me permettait de remonter à la source.
Mon éditeur a joué finement le coup en me disant d’aller voir la pièce avant de me proposer le projet. Je me suis demandé si j’étais bien l’auteur qui convenait. Mais j’ai énormément aimé la pièce de Michalik qui véhiculait la même sensation que celle que j’éprouvais : découvrir une histoire qu’on ne connaissait pas.
Vous l’avez vue, vous, cette pièce ?
Non, malheureusement.
Jusqu’ici, elle n’a pas été montée en Belgique. Mais c’est peut-être pas plus mal, du coup, votre regard posé sur la BD est donc neuf. Je me suis efforcé de réfréner ce que j’avais fait sur les albums précédents, qui baignaient dans un ton plus dramatique ou mystérieux. Avec Edmond, je devais tendre vers l’humoristique, dessiner des gueules.
Il est plus facile de faire pleurer que faire rire, c’est aussi vrai en BD ?
C’est évident. Dans une pièce, tout s’enchaîne, tout est très travaillé. Pour construire cette BD, je devais décortiquer les fils narratifs de cette histoire tragicomique, ma toute première distillant un peu d’humour noir. Mais c’est une histoire positive.

© Chemineau

© Chemineau chez Rue de Sèvres
Vous avez vu Cyrano, depuis ?
Non, toujours pas. Mais je crois qu’Edmond est beaucoup plus joyeux encore que la pièce qu’il a écrite. Plus chevaleresque même, bouffé par la grandeur, le panache, sa fidélité de parole.
Il y a des BD qui font du théâtre (on l’a encore vu récemment avec Le petit théâtre de Spirou). Deux arts faits pour s’entendre ?
En tout cas, Michalik est derrière cette BD, la même personne, les mêmes ressorts. Et ça fonctionne très bien. Alexis a une écriture très cinématographique, qui virevolte, proche finalement des mécanismes des séries avec des personnages qui ne s’arrêtent jamais, qui continuent d’évoluer, d’être virevoltant. Ça fonctionne très bien.

© Chemineau chez Rue de Sèvres
Un film sortira d’ailleurs le 9 janvier.
Vous n’aviez pas vu les précédentes versions de Cyrano, ça vous a donné quartier libre au niveau du casting de votre album ?
Je me suis affranchi des personnages. J’ai été très livre avec un casting comme je le voulais. Pour certains personnages de Cyrano, je suis reparti des grands acteurs qui les ont incarnés. Comme Constant Coquelin. Pour d’autres, j’ai laissé libre cours à mon imagination tout en veillant à bien les marquer. Beaucoup interviennent rapidement, je ne pouvais pas prendre le risque de la confusion. Comme les deux personnages féminins, Rose et Jeanne, une blonde et une brune, pour les distinguer directement.

© Chemineau
Il fallait rester dans l’énergie, dans le mouvement, pourtant, non ?
Dans un théâtre, le spectateur est enfermé dans une salle, contraint par l’espace en quelque sorte. Les personnages parlent les uns avec les autres, ce qui pourrait être d’un mortel ennui en BD. Au théâtre, le fil se déroule sans effort pour le faire avancer. Mais En BD, c’est un effort permanent, qui pourrait être fastidieux, le regard pourrait se décrocher. Il faut donc mettre les moyens et les efforts pour atteindre une narration fluide. J’y ai mis un an, voire un an et demi, et j’ai notamment poussé mon storyboard au maximum, c’était presque un crayonné. Pour être précis. Je me suis beaucoup relu, également.

© Chemineau chez Rue de Sèvres
Les personnages se devaient de bouger en permanence. C’est quelque chose que j’ai appris de Spielberg et Zemeckis dans un entretien que j’avais lu revenant sur le tournage de Retour vers le futur. Vous vous souvenez de cette scène où Doc et Marty sont arrêtés sur le bord d’une route, sans décor. Commence alors une longue discussion. Un dialogue nécessairement long pour que le spectateur comprenne bien ce qu’il se passe. Les personnages auraient pu rester statiques mais, non, Marty court d’un bout à l’autre, fait des allers-retours. Il n’y a aucune raison qu’il coure et pourtant ça maintient le stress du spectateur, la scène reste complètement dynamique. Je n’avais jamais pensé à ça.

© Chemineau chez Rue de Sèvres
Au niveau des cadres, des décors, des vêtements, cette BD devait être beaucoup plus variée et touffue. Parce que là où les personnages restent au théâtre dans le même apparat; ici, ils pouvaient sortir.
C’était l’intérêt de les faire sortir de cette scène carrée sur laquelle la lumière n’est pas réaliste. En BD, je pouvais embaucher autant de figurants que je voulais, faire passer des fiacres et des voitures à cheval. Ce fut un gros boulot de recherche, heureusement aidé par le fait qu’il y a beaucoup de documentation sur cette époque pas si éloignée, beaucoup de sources disponibles et notamment sur la pièce en elle-même. Ce qui me permettait une mise en abîme. J’ai ainsi mis la main sur une chronique de la première. Il n’y avait pas de photos à l’époque, du coup, le dessin l’illustrait déjà, avec une caricature. Pas mal de choses racontées par Alexis Michalik sont réelles forcément, comme Sarah Bernhardt, soutien inconditionnel d’Edmond, qui a précipité son spectacle, le soir de la première, pour arriver à la moitié de la pièce.

© Chemineau
Au niveau de la mise en scène de l’album, au début et à la fin, aux extrémités de l’histoire, les équipes marketing ont créé un beau décorum, avec la quatrième de couverture. Pour nous plonger dans cette ambiance de début de siècle.

© Chemineau chez Rue de Sèvres
La typographie change aussi en fonction des intervenants.
C’est la difficulté, trouver un moyen de retranscrire la modulation de la voix, les intonations que permet le théâtre. Car, je ne vous apprends rien, on n’a pas le son en BD. Il me fallait un moyen de compréhension. La typo reliée permettait d’illustrer la fioriture des textes de théâtre, tandis que la typographie normale illustre les dialogues de BD comme on en a l’habitude.
Reste qu’il fallait trouver une façon de faire mal jouer Jean Coquelin (ndlr. le fils de Constant, celui-ci ayant obligé Edmond à trouver un beau rôle pour son fils). Du coup, j’ai déformé la typographie, j’ai volontairement mal écrit, de façon à ce qu’on comprenne mal ce qu’il dit. J’ai fait ça à la main, comme j’aime le faire, pour que le texte suive le dessin, devienne du dessin.

© Chemineau
Vous-même, vous avez fait du théâtre ?
Du théâtre grec lors de mes études de dessin. Mais, il y a deux ans, je ne m’en souvenais pas, je n’y ai pas tellement pensé en réalisant Edmond. Peut-être mon inconscient ? Notamment, sur le début de la pièce, avec cette impression d’arriver sur scène dans le silence pour déclamer un texte que normalement on connaît alors que la salle toute noire pourrait nous faire perdre nos moyens.

© Chemineau chez Rue de Sèvres
Pour créer les personnages de mes albums, je ne joue que rarement devant le miroir, comme certains le font, mais je joue sur les expressions, de manière à devenir la chose que je suis en train de dessiner. Les expressions n’en sont que plus réalistes, je trouve. Puis, il y a le jeu des corps par rapport aux autres corps. Le dos fier ou le dos voûté, ça ne veut pas dire la même chose et le personnage s’en déplacera différemment. J’imagine ainsi me faufiler dans des endroits, je fais des essais, je positionne les membres par rapport aux autres, étudie les possibilités d’interactions.
Vous avez visité un théâtre, aussi ?
Oui, le théâtre où Cyrano a été joué pour la première fois. Une source documentaire super-importante. Il me fallait capter l’envers du décor pour réaliser cet album. Entre la salle allumée qui s’éteint et les loges, le décor, le timing pour que tout prenne place. Comment ressent-on la vie de derrière ?

© Chemineau
Un de vos personnages dit d’ailleurs: « Mais il est un endroit, un seul, où nous sommes tous côte à côte dans l’ombre… c’est au théâtre. »
Du côté de la salle, il y a pas mal de communion, on est tous assis sans faire de bruit, coincés. De l’autre côté, c’est l’inverse, les pas sont feutrés, mais il y a de la lumière, des acteurs volubiles, un espace plus ouvert. Une certaine euphorie.
Autre passage et deux citations qui fusent dans la bouche des personnages : « Quand Molière vivait, les comédiens étaient enterrés hors des cimetières. Vous êtes en marge de cette société bourgeoise. Vous êtes des artistes, des hors-la-loi. » et « … Mais ce soir, on ne nous oubliera pas. Pour nous autres, acteurs, demain n’existe pas. Nous sommes des artisans de l’éphémère, mon coq. Allons leur montre notre art. »
Ce qu’amène Alexis Michalik, c’est une réflexion profonde sur ce que sont jouer et créer. Et du côté des acteurs, force est de constater qu’on se rappelle très peu d’eux quand les années sont passées. Comme si la lumière était tellement forte, qu’elle nous aveuglait et nous faisait oublier. Coquelin, c’était le Depardieu de l’époque, riche, imposant. Il produisait ses spectacles, possédait un théâtre. Il a oeuvré aussi pour son art et ses pairs en créant des maisons de retraite pour acteurs. Pourtant, il y en a peu pour s’en rappeler, aujourd’hui. Les artistes et les oeuvres n’ont pas le même genre de postérité. Au-delà de l’homme, les récits sont éternels. Et Cyrano récupère des mythes fondateurs qui perdurent constamment, des problématiques fondatrices.

© Chemineau chez Rue de Sèvres
Avec sa pièce et désormais la BD, Michalik montre la création bordélique et accidentelle de cette oeuvre, des circonstances durant lesquelles Edmond Rostand a puisé dans tout son inconscient, qui a rejailli sans faire exprès.
Et, finalement, on a parfois présagé la mort du théâtre face au cinéma, là où d’autres arts se sont affaiblis, le théâtre est resté fier et fort.
Le théâtre, la BD ne mourront jamais, je pense. Quoi qu’on veuille, les histoires sont vitales pour les gens. Le théâtre, c’est un lien impossible qui se crée entre des gens qui sont devant d’autres gens. Le symbole reste, les supports changent depuis l’éternité. À un moment, peut-être qu’on ne sera plus que dans le numérique, mais ça va s’enrichir. On raconte, on écrit, on fixe dans le temps, on divertit. Déjà du temps de l’homme préhistorique. Les modes changent, mais le fondamental reste.

© Chemineau
Il est aussi question de l’importance d’avoir une muse.
J’en ai une ! Ma femme. Mais je ne vous dirai pas ce qu’elle m’a inspiré. Mais elle le sait. Je pense que pour créer, il faut vivre, que si on reste enfermé, on ne peut pas créer le lien. Il faut trouver sa muse et ce qui nous passionne, en permanence, connaître les personnes qui nous entourent. Ça aide à créer plus riche. Cyrano, c’est l’extérieur qui vient le créer, la richesse de la vie.
La suite, pour vous, c’est quoi ?
J’ai signé pour un album avec Lupano chez Dargaud. On partira dans l’Espagne musulmane de l’an mil. Une histoire sur l’amour du livre et la transmission des savoirs.
Propos recueillis par Alexis Seny
Titre : Edmond
Récit complet
D’après la pièce de théâtre d’Alexis Michalik
Scénario, dessin et couleurs : Léonard Chemineau
Genre : Biographie, Comédie dramatique, Théâtre
Éditeur : Rue de Sèvres
Nbre de pages : 120
Prix : 18€
Qui n’a jamais vu/lu une blague de l’ami, Dany ? En album, au détour d’une discussion ou de manière pirate sur les réseaux sociaux, les égéries de l’auteur pas que coquin ont vu du pays et en ont fait voir de belles aux hommes pas toujours à leur avantage dans les histoires racontées par l’auteur liernusien et sa bande. Une sorte d’inventaire mis en petites tenues sexy et qui s’offre un relifting dans une réédition et révision suite au rachat des Éditions Joker par les Éditions Kennes. Interview.

© Dany chez Kennes
Nouvelle couverture pour une série culte depuis un bon moment. Culte… et osée. Trop que pour reparaître à l’identique en 2018 ?
Dany : En effet, on a dépoussiéré et remaquetté ces albums parus entre 1990 et 2010. Mais, force est de constater que, à l’époque, on était beaucoup plus libre. Certes, le politiquement correct a sa raison d’être. Dans des cas comme Weinstein ou tous ces autres salopards qui ont profité un jour ou l’autre de leur position. Mais il y a eu des excès. Balance ton porc… à tort et à travers. C’est ainsi que ce politiquement correct est devenu une nouvelle censure mise en application par un petit nombre dont la virulence sur les réseaux sociaux, notamment, une vision particulière de certaines choses. Tout le monde panique et se demande ce qu’il peut encore exprimer… ou pas.
Et forcément, mes albums sont dans le viseur de certains. Des albums de culs ? Non, de gags !!! C’est fait pour rigoler, pas pour lire d’une seule main. Bon, je reconnais qu’avant, je jouais plus sur un côté aguicheur, en couverture des « Ça vous intéresse ? ». Cette fois, sur les nouvelles couvertures, j’ai voulu accentuer le côté gag plus que le côté sexy.

© Dany chez Kennes
Mais il ne faut pas se tromper de combat. Vous n’imaginez pas le nombre de femmes qui viennent à mes séances de dédicaces. Pourtant, on pourrait croire que mon public est masculin. Mais non, pas que, loin de là. D’ailleurs, comme je vous l’ai déjà dit, dans mes gags, les femmes s’en sortent souvent beaucoup mieux que les hommes qui sont tournés en ridicule.
Reste qu’il faut rester vigilant à ce qu’on dit désormais. J’ai tendance à penser qu’on cherche à éliminer les humoristes anticonformistes. Je ne pense pas qu’un Desproges pourrait faire carrière de nos jours. Pour un mot de travers, ou compris de travers, on risque d’avoir dans la minute toute une série d’associations sur le dos. J’ai une anecdote incroyable à ce propos. Un gag refusé par Amnesty qui avait commandé à divers dessinateurs une planche sur le thème de la violence faite aux femmes. On est d’accord, c’est un sujet pas évident, dramatique et à condamner, mais j’avais pris le parti d’en rire, avec une blague de Tibet.

Ce n’est pas très malin, mais ça me faisait beaucoup rire. D’autant que le benêt dans l’histoire, c’est le mari ! Mais les choses se sont bousculées et l’attachée de presse a prévenu les médias. Qui n’ont pas attendu pour se bousculer sur le pas de ma porte. RTL, la RTBF, France 3. Je n’ai jamais eu autant de journalistes à la maison. D’autant plus qu’à l’époque, il y avait encore des preneurs de son, plein de câbles partout. L’un repartait que l’autre arrivait et on recommençait à déplacer les meubles. La folie pour une planche finalement incomprise.
Du coup, à quoi avez-vous veillé avec cette nouvelle sélection ?
J’ai remis à mon éditeur une liste des gags qu’il pouvait utiliser. J’ai porté principalement mon attention sur les gags pouvant avoir une connotation raciste, xénophobe… On se permettait beaucoup de choses à l’époque, tout le monde pouvait en prendre pour son grade. Après, peut-être, a-t-on aussi fait du mal ? Je ne sais pas.

© Dany chez Kennes
J’ai aussi écarté les gags où le sexe était peut-être trop explicite. Notez que des BD’s porno, il y en a, de qualités diverses, souvent moches et pas intéressants. Puis, on n’est jamais que le porno de quelqu’un d’autre. Il y aura toujours des gens que tout choque et qui profitent de la moindre occasion pour vous chercher des noises.
J’ai parmi mes amis, des humoristes. Les Taloche qui ne feraient pas de mal à une mouche. Mais aussi Laurent Gerra. Il me disait un jour: « Moi, je m’en fous, je dis tout, sans limite ». C’était faux, au fil de nos discussions, on s’était aperçu qu’il y avait certains sujets qu’il ne risquait pas d’aborder. On se prend si facilement des procès, désormais. Heureusement, il y a Ferrari. C’est étonnant d’ailleurs qu’on ne cherche pas à l’attaquer.
Certains s’excusent, aussi, après coup.
C’est la grande mode du « désolé si j’ai pu blesser ». Mais, finalement, est-ce que le fait de s’interdire de parler de telle ou telle population ne reviendrait pas à les mettre à l’écart, à les exclure. N’est-il pas là le danger ? Aujourd’hui, la règle est qu’on ne peut pas faire de blagues sur les Juifs sauf si on l’est soi-même. Et, pourtant, ils en ont des très bonnes, trash aussi !
Dans un autre extrême, c’est clair, il y a ceux qui se servent de leur métier pour partir en guerre. Mais quand on vire un présentateur pour une blague, je me demande : « Où va-t-on? »

© Dany chez Kennes
Comment contrecarrer la censure, du coup ?
Oh, vous savez, elle le fait elle-même. Elle a ses effets pervers. Quand j’étais gamin, la censure catholique s’appliquait notamment au cinéma. Avec une classification : Pour tous/ Déconseillé aux enfants/ À proscrire. La liste était bien visible sur les portes de l’église. Croyez-moi bien que la publicité fonctionnait à l’envers et que, forcément, les films des deux dernières catégories nous intéressaient bien plus, mes copains et moi.

© Dany chez Kennes
Vous pourriez aussi en quelque sorte pratiquer une certaine censure quand on voit le nombre de vos dessins et gags qui circulent sur les réseaux sociaux et internet, en général.
Je n’ai jamais pu contrôler ça. Oh, ce n’est pas que j’y vois des sous que je pourrais y récupérer. Mais j’apprécierais que ma signature figure au moins en dessous de ces planches partagées et repartagées. Or, elle est souvent bannie par un malicieux jeu de recadrage. À un moment, des connaissances qui apparemment ne connaissaient pas vraiment mon style m’envoyaient des idées de gag. « Regarde, tu pourrais en faire une histoire. » Sauf qu’ils avaient dégoté mes propres gags ! C’est dommage de ne pas pouvoir obliger à citer la source, l’auteur. C’est incroyable quelle proportion peut prendre un dessin piqué sur le web. Après, dans le meilleur des cas, certains m’envoient un message : « On a adoré ton gag. »

© Dany chez Kennes
Autre problème du web, les fausses-dédicaces. Mais aussi les vraies dédicaces vendues cher et vilain quelques heures seulement après une séance.
Ça m’est beaucoup arrivé. Dans le deuxième cas, ça a pris une proportion telle que certains auteurs refusent désormais de faire des dédicaces. Ou de se faire payer. Marini le fait et, bien sûr, tout le monde se précipite. Mais un auteur inconnu ou méconnu, qui n’a qu’un seul album à son actif ? Je trouve que l’idée du cadeau offert est jolie et j’y tiens.
Puis, il y a les faussaires. Et j’y ai aussi été confronté récemment. Un ami, fan absolu de ce que je fais, m’a un jour envoyé une photo prise quelques heures plus tôt, lors d’un marché dominical. Une photo d’une dédicace qu’un marchand vendait. « C’est bien de toi ? » C’était tellement bien fait que je n’ai pas douté, au début. Puis, j’ai été plus attentif. Les couleurs n’étaient pas celles que j’utilisais en dédicaces, notamment. On s’est arrangé pour prévenir le marchand de sa contrefaçon. Mais, il n’était pas le dessinateur, il refourguait seulement. Le pire, c’est que je suis sûr que le faussaire est un bon dessinateur. C’est ça le plus gênant. Pour le reste, c’est vrai qu’une dédicace, c’est beaucoup plus facile à imiter que si on doit reproduire une planche. D’ailleurs, comme on va vite, il se peut qu’on rate parfois un dessin en dédicaces. Mais, ça reste un business juteux.
Pour contrer ce phénomène, j’ai pris l’habitude de signer mais aussi dater mes dédicaces. J’ai rajouté une sécurité supplémentaire. J’ai dégoté un tampon en Corée avec la traduction de mon nom en coréen. Du coup, je tamponne, une fois le dessin terminé. Une manière d’authentifier tout en apportant une touche exotique.
Propos recueuillis par Alexis Seny
Série : Les blagues de Dany
Réédition – nouvelle mouture
Tome : 1 – Ne pas toucher
Scénario : Collectif
Dessin et couleurs : Dany
Genre: Érotisme, Humour
Éditeur: Kennes
Collection : Joker
Nbre de pages: 48
Prix: 12,90€
Experts, galeristes, commissaires d’exposition, Alain Huberty et Marc Breyne sont les pionniers de la première heure du marché des orignaux de Bande Dessinée. Depuis les années 80, ces deux passionnés ont contribué à la reconnaissance et au rayonnement de cette discipline comme un art à part entière. Au fil du temps, ils ont insufflé une vraie vitalité au marché des planches originales, alors que celui-ci n’en était qu’à ses balbutiements. Longtemps qualifié de mineur et populaire, la bande dessinée a acquis en trois décennies ses lettres de noblesse. Des galeries aux salles de vente en passant par les institutions culturelles, les « Petits Mickey » sont aujourd’hui des stars convoitées.
A l’occasion de l’inauguration de leur nouvel espace Place du Châtelain à Bruxelles, Alain Huberty et Marc Breyne reviennent sur leur parcours et l’évolution du marché dans un entretien croisé :
Alain, Marc comment est née votre association ?
Marc Breyne : J’ai ouvert ma première libraire spécialisée en bande dessinée à Bruxelles en 1983, à l’âge de 22 ans. J’y vendais des albums, des objets et quelques planches. A l’époque il n’y avait pas de galeries où acheter des originaux de bande dessinée. Ce marché n’existait pas. L’intérêt pour cette discipline se limitait à un cercle restreint d’initiés. Un jour Alain Huberty passe la porte de ma boutique, à la recherche de planches de Gaston Lagaffe. Je ne possédais alors pas d’originaux de Gaston.
Alain Huberty : J’étais vraiment décidé à faire l’acquisition d’une planche de Gaston. J’avais rassemblé toutes mes économies soit à l’époque 2 000 Francs belge. Marc n’avait pas de planche de Gaston mais je connaissais quelqu’un qui en vendait deux. Je n’avais pas la somme pour l’ensemble alors j’ai convaincu Marc d’acheter la seconde puis de la revendre. Avec le bénéfice, nous avons investi dans d’autres originaux. C’est comme ça que tout a commencé, un jour de 1988.

D’abord collectionneurs avant de devenir galeristes, comment avez vous fait de votre passion votre profession ?
Alain Huberty : A l’époque j’étais professeur de mathématiques. Je passais tout mon temps libre entre la galerie de Marc et les routes, à la recherche de planches originales. Notre passion nous a conduit à frapper aux portes des plus grands auteurs. A cette époque, tout était disponible et à des prix beaucoup plus accessibles qu’aujourd’hui. On ne cherchait pas à vivre de la revente mais simplement à financer notre collection.
Marc Breyne : J’ai commencé à collectionner des éditions originales quand j’avais 12/13ans puis un peu plus tard les planches. Mon premier dessin était une planche de Felix par TILLEUX vendu 1000 francs belge, soit 25€. A l’époque je n’avais vraiment pas d’argent.
Une fois acheté on m’a proposé de me racheter ce dessin 4 fois son prix. A partir de ce jour, je me suis dit que je pouvais à la fois acheter, vendre et collectionner.
Comment et pourquoi avoir créé votre première galerie ?
Marc Breyne : J’ai organisé ma première exposition en 1987, dans ma boutique, avec des planches d’OUSMAN, HERMANN ou encore TIBET. A l’époque c’était vraiment un marché confidentiel et d’initiés. A peine une petite dizaine de collectionneurs s’y intéressait.
Alain Huberty : La demande tendant à se développer, parallèlement à la librairie de Marc baptisée Petits Papiers, nous avons ouvert une galerie éponyme sur le Boulevard Lemonnier. Un lieu entièrement dédié aux Arts de la bande Dessinée.
Pourquoi avoir choisi d’ouvrir une antenne à Paris?
H&B : L’accueil du public à l’ouverture de notre première galerie à Bruxelles a été un succès ! Ce lieu répondait à une demande qui n’existait pas jusqu’alors que ce soit à Bruxelles ou à Paris.
Aujourd’hui on dénombre beaucoup de galeries d’originaux mais à l’époque c’était une initiative marginale. La bande dessinée n’était absolument par reconnue comme de l’art. Paris étant une place incontournable, il nous paraissait indispensable de pouvoir présenter le travail des artistes avec qui nous collaborions aux collectionneurs parisiens mais également aux étrangers présents à Paris. Nous avons donc décidé d’ouvrir une galerie, rue Saint Honoré en 2009, nous permettant d’exposer à la fois auteurs classiques, jeunes dessinateurs et artistes issus de la Bande dessinée.

En 2012, vous rejoignez le Sablon à Bruxelles, pourquoi ce choix ?
H&B : Face au succès grandissant nous avons fait le pari d’ouvrir un nouvel espace dans le quartier des antiquaires du Sablon pour s’inscrire dans le parcours de galeries et être plus proche des collectionneurs et des amateurs d’art.
Quelles étaient alors vos intentions ?
H&B : En choisissant de nous implanter au Sablon, notre intention était de décloisonner les genres tout en inscrivant la Bande Dessinée comme discipline artistique à part entière, au même titre que la peinture, la sculpture ou encore la photographie. Avec ce nouvel espace de 300 m2 nous souhaitions ouvrir le dialogue entre la Bande Dessinée et la création contemporaine en organisant des expositions croisées Philippe Druillet / Hervé di Rosa – Peter Klasen / Alex Varenne – Ricardo Mosner / Kiloffer – Claude Viallat / François Avril. La même année, nous inaugurions, au couvent des Cordeliers à Paris, l’exposition « Quelques instants plus tard… ». Un projet qui rassemblait des œuvres inédites réalisées à 4 mains par 40 auteurs mythiques de Bande Dessinée et 40 figures majeurs de l’art contemporain.
Quelles ont été les réactions des auteurs de Bande Dessinée lorsque vous avez ouvert au Sablon ?
H&B : Ils étaient très enthousiastes ! Nous étions les premiers à leur proposer un espace d’exposition de 300m2 consacré non pas uniquement à l’exposition de planches originales mais également destiné à accueillir des recherches plus personnelles. Libérés de la contrainte de la case ils pouvaient s’exprimer sur des grands formats, initier des collaborations et envisager des projets artistiques ambitieux en marge de ce qu’offre le monde de l’édition.
Quel fut l’accueil du monde de l’art contemporain ?
H&B : Les artistes d’art contemporains ont également été sensibles à nos propositions. La bande dessinée exerce un pouvoir évocateur qui a nourri l’œuvre de beaucoup d’entre eux. L’univers des collectionneurs quant à lui était plus retissant à cette nouvelle approche. Nous avons observé que les collectionneurs de bande dessinée s’intéressaient à la création contemporaine, là où les collectionneurs d’art contemporain été plus réfractaires. Cependant les lignes sont progressivement en train de bouger.
Pour quelles raisons participez-vous à des foires d’art ?
H&B : En tant que galeristes notre rôle est de soutenir nos artistes en présentant leurs travaux au delà des murs de nos galeries. Des foires comme la Brafa, Art Paris Art Fair ou encore Drawing Now sont pour nous des opportunités de continuer à éveiller de nouvelles sensibilités de collections et d’œuvrer sans relâche à la reconnaissance de la Bande Dessinée comme discipline artistique à part entière.

Vous exercez également en temps qu’experts auprès de maisons de vente aux enchères, comment avez-vous débuté ?
H&B : Nous étions pionniers dans le marché des originaux alors que la spéculation ne s’y intéressait pas encore. Il faut attendre le record en vente publique de la double planche du Sceptre d’Ottokar d’Hergé en 1999 pour voir l’intérêt des maisons de ventes se manifester, booster par hausse des prix de +61% entre 99 et 2001. Dans un tel contexte, les maisons de vente recherchaient des experts, et nous étions très peu à l’époque, capables de répondre à cette nouvelle demande du marché en réalisant des ventes de qualité. Nous avons débuté en 2009 avec la Maison de ventes MILLON. Depuis nous organisons chaque année des ventes courantes et des ventes de prestiges.
Comment analysez-vous ce marché ?
Aujourd’hui, l’engouement pour la bande dessinée est des plus forts, les prix progressent encore mais on sent une régulation du marché. Celui-ci suit la même évolution que la photographie : d’abord une acceptation en tant qu’art ; ensuite une période où tout se vend à des prix déraisonnables et enfin, un marché qui se structure autour des vraies valeurs artistiques. Aujourd’hui les prix les plus élevés concernent les dessinateurs aux réputations bien assises. Les images les plus courues et les plus chères sont celles des grands classiques : HERGÉ, André FRANQUIN, Albert UDERZO, Enki BILAL, MOEBIUS, Milo MANARA, Marcel GOTLIB...
L’ouverture de cet espace, place du Châtelain, marque une nouvelle étape dans votre évolution ? Qu’est ce que cela représente pour vous ?
H&B : L’ouverture de cet espace est l’aboutissement d’une démarche entreprise il y a plus de 30 ans, celle de contribuer au rayonnement de l’art de la Bande Dessinée. Dans cette continuité, il nous semblait important de créer un lieu d’échanges et de rencontres entres les auteurs, les artistes, les collectionneurs, les éditeurs mais aussi les amateurs. Nous avions envie de rejoindre un quartier plus dynamique. Ixelles aujourd’hui est le centre de la vie culturelle de bruxelloise où se pressent étudiants, artistes et intellectuels. Un univers cohérent avec les nouveaux projets que nous souhaitons développer : lancements d’albums, résidence d’artistes, performances ou ventes aux enchères.
Vous conservez néanmoins une présence Place du Sablon?
Oui en effet nous conservons notre « Shop » qui fait face à la galerie Tintin. Cette vitrine sera consacrée aux œuvres sérielles et objets dérivés de bande dessinée.
Sans arme mais avec la haine et la violence des mots, c’est ainsi que s’est tenue la conférence unilatérale de Wannsee. Celle-là même que, près de 80 années plus tard, Fabrice Le Hénanff a infiltrée, y jouant les espions, les souris invisibles au coeur de l’état-major de l’horreur sans perdre une miette de ce qui se racontait… et allait bientôt se matérialiser en l’un des plus grands monstres que le siècle dernier ait connu: la solution finale. Dans le labyrinthe de ce huis clos qu’est la villa Marlier, le temps d’une réunion expéditive pour envisager l’étape suivante (et d’où l’humanité ne reviendrait plus) que réservait les Nazis aux Juifs, Fabrice Le Hénanff de son style flamboyant et martyrisé a trouvé son chemin pour mener à 2018. Une époque contemporaine qui semble ne rien avoir appris de ses erreurs et continue à se voiler la face et les faux-semblants dans l’utilisation des mots pour caractériser des foules d’hommes et de femmes en détresse. Quand on parle de « centres de tri » et de « question des migrants ». D’un pan à l’autre de l’histoire, nous avons fait le bond avec Fabrice Le Hénanff. Interview pour que la mémoire, même lancinante de douleur, triomphe de l’ignorance.

© Le Henanff chez Casterman
Résumé de l’éditeur : Wannsee, banlieue de Berlin, le 20 janvier 1942. Quinze hauts fonctionnaires du Troisième Reich participent à une conférence secrète organisée par les SS. En moins d’une heure trente, ils vont entériner, et organiser, le génocide de millions de Juifs.

© Le Henanff chez Casterman
Bonjour Fabrice, c’est aujourd’hui que paraît Wannsee, un album qui me paraît éminemment important. Comment vous sentez-vous ?
Bien mais c’est vrai qu’il y a de la fébrilité, de l’inquiétude. Jusqu’ici, je n’ai pas eu de retour hormis les journalistes qui m’ont interviewé, aujourd’hui, et à qui j’ai demandé comment ils avaient trouvé cet album. Leurs retours sont bons. Après, vous savez, il y a des albums qui ont de très bonnes critiques qui ne se vendent pas et d’autres qui se font démonter par la presse mais partent comme des petits pains. C’est un mystère, on verra comment cet album est reçu.

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Avec cet album, vous revenez en tout cas à un sujet que vous affectionnez : la seconde guerre mondiale. Vous entrez dans une brèche qui parle forcément de la guerre mais aussi d’autres choses.
Le lecteur pourrait très bien se dire : encore un ouvrage sur la guerre, sur le conflit. Moi, je ne vois pas cet album comme ça, ce n’est pas LA guerre mondiale en tant que telle. C’est un aspect de celle-ci, un autre épisode, une autre finalité, un autre drame.

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Ce sujet, je l’avais dans un coin de ma tête. Je le traînais sans être jamais parvenu à trouver le point d’accroche. Je retournais dans tous les sens cette phrase factuelle : la solution finale a été mise en place lors de la conférence de Wannsee par quinze hauts-fonctionnaires, le 20 janvier 1942. Tout était là mais je devais trouver le moyen de tenir 80 planches autour d’une table de discussion. Et, surtout, parvenir à ce que le lecteur ne la quitte pas en cours de route.
D’autant plus que dans cette conférence, les quinze individualités autour de la table se sont, à peu de chose près, fondues dans la voix collective. Il n’y a pas eu de remous, la réunion n’a pas tiré en longueur et tout ne semble être, au final, qu’une simple formalité…
En résulte un texte de 15 pages qui m’a servi de boîte de travail mais qui n’était pas suffisant que pour tenir les 80 planches en question. Il me fallait apporter d’autres éléments. Puis, se posait la question de la représentation de ces quinze hommes. Le dessin à la couleur ne fonctionnait pas. J’ai donc opté pour un rendu tirant plus vers le sépia.

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Et vous êtes, j’ai l’impression, un cran graphique au-dessus de ce que vous nous aviez proposé jusqu’ici.
C’est la suite, pas forcément logique. Une étape importante. Casterman m’a ici poussé à me sortir les mains des poches, à y aller. Wannsee, je le vois comme un album spécial, avec un graphique lui aussi spécial. Je pense qu’il va être important pour la suite. Il y aura un avant et un après. C’est un album plus crayonné, au traitement plus léger pour mieux plonger vers les ténèbres. À la réflexion, je pense que je me rapproche des caméléons dont il était question dans mon premier album. Dans le sens où j’ai essayé de trouver une réponse graphique à chaque album. La peinture dans H.H. Holmes, l’hyper-réalisme dans Westfront et Oostfront…

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Ici, il m’a fallu du temps pour trouver la bonne façon de faire. Sans encrer, je ne suis pas bon dans cet art. Mais là où je palliais les défauts de mon dessin par la couleur; j’ai voulu, dans Wannsee, le remettre en avant, ne pas le masquer.
Sur cet album, signe du ciel pour tenter de ramener ces (in)humains à la raison ?, on a l’impression qu’il pleut continuellement.
J’ai hachuré les originaux, les cases ont été martyrisées par mon crayon, avec l’aide de pointes très dures, les plus dures possibles. Si je m’aventurais dans un tel récit, le papier devait en rester marqué. L’empreinte devait impacter le dessin et la couleur rentrer dans la griffure, pour l’imprégner et en faire resurgir comme un fantôme.

© Le Henanff chez Casterman
Tous les hommes à cette table sont des fantômes, ils sont là, font acte de présence mais pas de bravoure. Tous sont subordonnés aux décisions d’Heydrich. Tous sauf un, dans votre récit : Kritzinger.
Oh, vous savez, il s’est couché comme les autres mais pour faire durer la sauce je devais y glisser un peu d’opposition, un ressort, mon poil-à-gratter. En réalité, il ne sait rien passer et, quand bien même, Heydrich aurait dit : fermez-la !
Les rapports sont pires, en fait. Ils relatent les initiatives prises par certains participants de cette réunion face à des commanditaires qui n’en attendaient pas tant mais qui ont peut-être eu aussi peur que chacun essaie de se tirer la couverture à lui. L’idée de cette réunion, c’était d’accélérer le mouvement après certains fiascos connus notamment sur le front de l’est.

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La villa Marlier de Wannsee, près de Berlin, servait donc de huis clos dans votre album. Encore fallait-il varier les angles, les images pour ne pas lasser. Et en sortir, quand même un peu.
Ça me tenait à coeur de sortir de cette maison maudite. C’est en effet tout ce qu’il y a de plus huis clos: une salle, une table autour de laquelle se concentre l’album. Il s’agissait de varier les plans mais aussi de créer quelques coupures. Le début de l’album permettait l’arrivée et la présentation des personnages, s’enchaînaient la mise en place de la situation et une première pause. On sort, on fume une cigarette et j’en profite pour raconter la Shoah par balles. La réunion ne sert de toute façon à rien, tout est écrit et on s’en fiche du consentement des uns et des autres. Il m’importait aussi de parler de la question des métissages également abordée lors de cette conférence. Quant à Auschwitz, il n’y a pas de preuve qu’ils aient parlé de ça.
Projet de couverture abandonné

© Le Henanff
Lors d’une de ces pauses dont vous profitez pleinement pour nous extirper ailleurs et renforcer un peu plus votre pouvoir graphique, il y a cette planche sublime et glaçante bâtie comme une étoile juive et illustrant toute l’horreur de cette guerre.
Cette planche m’a donné du fil à retordre. À la base, il devait y en avoir plus mais c’est la seule qui soit restée. Hormis la composition, c’est le seul symbole de tout l’album pour les Juifs. Et une étoile jaune un peu plus loin. Il y avait tellement de croix gammées qu’à un moment je devais montrer la victime…

© Le Henanff chez Casterman
Celle que les quinze hauts-fonctionnaires du parti nazi ont chassée, noyée sous des termes techniques et jouant avec les mots pour faire passer comme du petit-lait le sinistre plan d’extermination. Et quand on entend, encore aujourd’hui, parler de la « question des migrants » et de « centres de tri », je me dis qu’on n’a rien compris.
C’est tout à fait ça et c’est étonnant. Mon album arrive comme une piqûre de rappel, à temps, à point, mais je ne sais pas si elle servira. Après les Juifs, il y a eu les Bosniens, les Arméniens… Ça ne s’appelait plus la Shoah mais le massacre continue. Aux suivants…
On parle de jouer sur les mots, quitte à appeler un chat, un chat et un rat, un rat, vous faites intervenir ces deux animaux le temps de plusieurs planches.

© Le Henanff chez Casterman
Là aussi, ils me permettaient de sortir de table, de quitter la complaisance et d’avoir d’autres vues, d’autres pièces à explorer. En plus, avec une dimension symbolique, certes pas des plus fines. Cette idée m’est venue vers la fin de l’album, en me souvenant du film Pour l’exemple que j’avais vu il y a très longtemps et dans lequel des soldats anglais, dans leurs tranchées, organisaient le procès d’un rat qu’ils accusaient de leur voler leur nourriture, de les contaminer, de souiller leurs affaires, etc. Le timing était le bon et je pouvais intégrer à ma grande histoire une autre plus petite, avec cette symbolique un peu lourdingue, du chat chassant le rat et parvenant à l’attraper. Ma crainte étant qu’il me reste assez de pages pour aborder la question des métisses.
Avoir autant de monde autour d’une table, c’est compliqué à gérer ?
Oui et non. Certains ne sont que des figurants. Je n’ai besoin que de certains pour faire vivre le débat dirigé par deux acteurs : Heydrich et Eichmann. Les autres sont des figurants mais entraînent tout de même la difficulté de leur mettre un visage.

© Le Henanff chez Casterman
Dans ce « joli » petit monde, ce n’est pas trop dur de passer autant de temps de création ?
À chaque fois que je fais un album, je me lève avec, je mange avec, je me couche avec et je rêve avec. Il m’a fallu douze mois pour dessiner Wannsee et deux ans pour l’écrire. Si les premiers mots étaient lourds, tout s’est mis à couler de source avec le dessin. Hormis le rat qui est venu plus tard, j’ai eu beaucoup de réponses à mes questions.
Et la couverture ?
Vaste sujet, également. J’ai soumis énormément de propositions qui ont été refusées par Casterman. À cause de leur violence, de leur horreur. Puis, je suis tombé sur la p. 25, ce qui est pour moi un des moments les plus importants : la table de décision, au premier plan et Auschwitz en fond. Casterman en a refait un montage, et Auschwitz a laissé sa place à la villa. C’était plus discret. En fait, pour pouvoir mettre ma planche avec l’étoile juive, j’ai fait des concessions sur la fin et la couverture. En tout cas, sur celle-ci, je ne voulais pas qu’il y ait de croix gammées – bon, il y en a une petite sur un brassard. Même si ça fait vendre, à ce qu’il paraît. Si je vends 10% de livres en moins, on saura à quoi c’est dû (il rit).
En fait, là, je digère cet album qui fut exigeant. On parle souvent d’accouchement, de bébé quand on parle d’un album. Dans mon cas, avec Wannsee, ce fut plus une césarienne. Je n’ai aucune idée du public que trouvera ou pas cet album. On est parti sur un tirage bas, prudent, de 5000 exemplaires. Aura-t-il une vie après dans les écoles, les bibliothèques ? On verra. Toujours est-il que je suis heureux. Honnêtement, j’ai fait de mon mieux.
Pour la suite, vous revenez à un autre de vos thèmes fétiches, la peinture et ses grands représentants. Ici, Monet.
Quelles vacances ! Je reviens à la couleur, je me pose, autant financièrement qu’intellectuellement. Je peins et ça me repose. C’est assez compliqué de sortir d’un album comme Wannsee, ça laissera des traces.

© Le Henanff

© Le Henanff
Sinon, j’ai d’autres propositions de scénaristes. On verra, selon mes envies, quels projets me plairont à travailler.
Merci beaucoup Fabrice !
Propos recueillis par Alexis Seny
Titre : Wannsee
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Fabrice Le Hénanff
Genre: Historique, Huis clos, Politique
Nbre de pages: 88
Prix: 18€
Malgré toutes les sauces auxquelles s’est accommodé le chevalier noir, on en demande encore. Toujours plus. Car Batman, de ses origines à aujourd’hui, a toujours su garder sa classe et sa force de fascination, soignant ses entrées, de cases en cases, de main en main, sur tous les continents. Et le vieux n’est pas en reste. Après un premier volet remarqué, Marini a rallumé le bat-signal dans un monde fort sombre (et qui aurait pu l’être encore plus avec un Bruce Wayne soupçonné – à tort, évidemment – de viol, comme voulait le faire à la base l’auteur franco-belge auquel le comics va comme un gant, une seconde nature) pour la deuxième partie de son Dark Prince charming. Un conte défait dans lequel le Joker fait office de vilaine marraine autour de l’enlèvement d’un enfant mais aussi de second héros équilibrant le jeu avec un Batman déchaîné. Goddamn… Gotham.

@Enrico Marini chez Dargaud/DC Comics
Bonjour Enrico, ça y est, il y a un signal lumineux dans le ciel, votre Batman trouve sa conclusion. Mais Batman, qui est-il pour vous ?
C’est Bruce Wayne (il rit). Un des héros de mon enfance et un grand cadeau, merveilleux qu’on m’a fait. Dargaud et DC m’ont offert cette chance unique de jouer mon Batman. C’est d’autant plus incroyable que, quand j’étais petit, tous les enfants que je connaissais voulaient être Batman, avec ses gadgets, ce sens du combat contre le Mal. Batman, c’est une sorte de Zorro. Il nous permet de nous amuser tout en combattant un méchant.
Bien sûr, si les histoires portent son nom, il n’y a pas que lui qui entre en compte dans l’ADN de celles-ci.
En effet, au-delà de la personnalité charismatique de Batman, il me permettait de rentrer dans un décor comme Gotham qui me permettait de m’exprimer plus que d’habitude. Batman, plus que son personnage et justicier principal, c’est tout un univers qui me parle beaucoup. Plus que d’autres, c’est sûr. Et, si je suis fasciné par Spiderman, le côté sombre amené par Batman est encore plus fascinant. C’est lui, dans le monde du comics, qui a les meilleurs adversaires.

@Enrico Marini lors du Bat Concert
À cela s’ajoute l’absence de super-pouvoir. C’est ce qui porte l’intelligence, le besoin de gadget. Et pas mal de facettes à découvrir au fil des aventures de ce détective.
Votre version vous a-t-elle permis d’en savoir plus sur ce personnage ?
Non, ma version, je la connaissais, j’avais toutes les informations. Je me suis basé sur mes références, mes classiques de gamin. Ceux qui m’ont rendu quasi-intime avec ce super-héros. Tant les versions de Neal Adams et Denny O’Neil que celle de Kevin Nolan… Puis, plus tard, Frank Miller, Année 1, Killing Joke.
J’aime cette version de Batman, mur, sombre, plus viril et également plus délictuel. J’ai aussi aimé découvrir ce personnage comme introverti.

@Enrico Marini
Puis, il y a le Joker.
Alors, lui, je ne pouvais pas m’en passer. Mon histoire est autant une histoire de Batman que du Joker. C’est un acteur, en totale opposition avec un Batman plus taciturne, qui pourrait être joué par Clint Eastwood, d’ailleurs. Le Joker, lui, est dans la représentation, il a une façon de bouger bien à lui, et évolue d’un côté plus humoristique à l’autre, complètement psychopathe. Il est capable de moments de tendresse, de mélancolie mais aussi des pires atrocités. En fait, il change de personnage toutes les cinq minutes. C’est là que j’ai pris le plus de plaisir. J’espère qu’il surprendra le lecteur, mon Joker.

@Enrico Marini
J’espère que le public sera séduit par la version que j’en ai. J’ai tenté de trouver des facettes nouvelles tout en ne déviant pas de la trajectoire des histoires classiques du chevalier noir. Les bases restent, j’ai essayé d’amener des touches personnelles.

@Enrico Marini
Des touches personnelles, partout et tout le temps : à l’inverse de 99,9% des comics où toutes les étapes de création sont distribuées entre des scénaristes, des dessinateurs, des encreurs, des coloristes et que-sais-je-encore, vous avez tout fait de A à Z. C’était la condition pour que ce Batman vous appartienne totalement ?
J’ai tout fait et même plus. Même le lettrage. C’est une folie. Si je raconte ça à des Américains, ils vont être morts de rire. En effet, eux, ils sont facilement à cinq sur un même projet. Ici, j’ai aussi fait le layout et la maquette. C’était un gros boulot mais ce fut plaisant. Comme ces contacts avec les Américains, avec Dargaud que je connaissais déjà, tout le monde était inclus. Bon, il y a eu énormément de mails, dans tous les sens, des Skype.

@Enrico Marini chez Dargaud/DC Comics
Et, au final, voilà, c’est déjà fini. Après un an et demi très intense, l’intégralité du bébé est en librairie.
Et aux États-Unis ?
Je vais y aller cet été, participer à la convention de San Diego, accompagné un peu ces deux albums. Je me rendrai ainsi compte de l’accueil qui lui a été réservé. Puis, il faudra un an pour que je puisse faire un vrai bilan.

@Enrico Marini chez DC Comics
Vous aurez donc proposé 126 planches, c’est beaucoup et peu à la fois. N’avez-vous pas eu de frustration à ne pas utiliser certains personnages ? Et ce, même si vous en faites déjà intervenir beaucoup.
126 planches, c’est un an et demi. La couleur directe m’a pris du temps, aussi. Mais je pense que l’histoire était suffisante que pour ne pas la rallonger. Une fois que j’ai eu l’idée de base, je l’ai posée, une fois que j’avais décidé de faire une histoire qui soit autant celle de Batman que du Joker, le scénario a été très vite. Mais je l’ai laissé murir deux ou trois mois.

@Enrico Marini chez Dargaud/Dc Comics
Si, un jour, je reviens à Batman, je ne veux en tout cas pas d’une longue série, quel que soit le sujet. Je ne suis pas un homme de longue série. Bon, j’aimerais encore faire deux ou trois albums des Aigles de Rome, j’ai de plus en plus de mal à réaliser les Scorpion. Aujourd’hui, je suis plus un homme de one-shot. Soixante pages, ce n’est pas assez, mais un peu plus, cent ou cent vingt, ça me satisfait.
Vous n’êtes pas le premier, pas le dernier, à vous accaparer un super-héros et à passer outre-Atlantique. De quel artiste, aimeriez-vous voir un Batman ?
Oh, ce n’est pas obligé que ce soit un Batman. Il y a Hulk, le Punisher… C’est vrai qu’il y a beaucoup d’Européens, surtout des Italiens et des Espagnols qui s’illustrent dans le monde du comics. Je ne suis pas le premier Français à m’y aventurer. Peut-être le premier à le faire tout seul. L’essentiel, je crois, c’est d’être passionné par le super-héros qu’on anime. J’espère être parvenu à faire passer ça. C’était un challenge.
Sinon, allez, un Batman par Mathieu Lauffray, ça pourrait être vraiment bien. C’est fascinant ce qu’il arrive à faire. Son langage, son style fait pour ça.
Ce samedi, vous présentiez, en conclusion d’une après-midi sous le signe de l’homme chauve-souris, le Batman de Leslie H. Martinson et Ray Kellogg avec Adam West. Que représente ce film pour vous ?
Je dois avouer que j’ai été plus influencé par ceux de Burton et Nolan. Mais ce film, c’est cartoonesque et amusant, fun, c’est une chouette parodie. C’est culte, quoi !
Propos recueillis par Alexis Seny
Titre : Batman – The Dark Prince Charming
Tome : 2/2
Scénario, dessin et couleurs : Enrico Marini
Genre : Comics, Thriller, Action
Nbre de pages : 72
Prix : 14,99€
À l’occasion de la sortie de l'album Wannsee (aux éditions Casterman), Fabrice Le Hénanff répond aux différentes questions posées par notre rédaction.
D’où vient l’idée de faire cet album sur la conférence de Wannsee ?
J’avais cela dans la tête depuis plusieurs années, cela venait du fait que dans les manuels scolaires cette conférence est résumée en une seule phrase « La solution finale a été décidée lors d’une conférence à Wannsee le 20 janvier 1942 » et cela s’arrête là. Plusieurs questions : Wannsee c’est où ?, une conférence avec qui ?, pendant combien de temps ?, quels en sont les participants ? L’idée c’était de savoir ce qu’avait été cette conférence et en quoi avait-elle été décisive au niveau de la solution finale. J’ai pensé à fouiller autour de cela et c’est de cette façon que l’album a débuté.

La villa Marlier à Wannsee.
C’est un album qui traite du plus grand génocide ayant eu lieu au XXème siècle, comment l’avez-vous abordé ?
Plusieurs problématiques sont apparues pour faire cet album : comment représenter une réunion, à huis clos en l’occurrence, sur quatre-vingts pages ? Comment tenir quatre-vingts pages autour d’une table ? Pouvoir mettre un visage sur les différents protagonistes réunis autour de cette table ? Pour ce dernier point, ce fut une grande difficulté, car hormis Adolf Eichmann et Reinhard Heydrich, les autres sont de parfaits inconnus du grand public. Il faut être vraiment un historien pour savoir qui étaient les participants qui étaient simplement des fonctionnaires et dont on possède très peu de représentations. Vu le caractère secret de la réunion, il n’y a aucune photographie de celle-ci. Soixante-quinze ans plus tard, l’ensemble des protagonistes ont été identifiés mais en moyenne sur chaque personne il y avait qu’un seul portrait, ce qui n’a pas facilité le travail.

© Le Hénanff - Casterman.
Avez-vous reçu des réactions de la communauté Juive vis-à-vis de l’album ?
Non, l’éditeur l’a présenté au Mémorial de la Shoah à Paris qui en a fait une lecture avant la publication. À juste titre, l’éditeur pouvait avoir des réticences et se poser des questions par rapport à cet album. Ils l’ont lu en tant qu’historien et non en tant que lecteurs BD, ils ont eu un regard sur le travail effectué et non sur les dessins proposés. La réponse a été que le travail était sérieux et qu’il n’avait pas matière à polémiquer sur le sujet.

Lettre de convocation envoyée à Luther pour la conférence de Wannsee.
La galerie des protagonistes placée à la fin de l’album version BD ?
Dès la conception du livre, il y avait une volonté d’inclure une partie dossier historique à la fin de l’album. Lorsque j’ai parlé de dossier, Casterman pensait à un dossier photographique. Quand je me suis attelé à la tâche, mon idée était de rester dans le cadre de l’album. Comme j’avais représenté les personnages de façon dessinés, nous avons décidé de continuer dans cette optique pour illustrer le devenir de chacun des personnages en faisant le bilan du reste de leur vie montrant qu’aucun des survivants de la Seconde Guerre mondiale n’avaient vraiment été inquiétés. Le dernier est mort en 1987 aux Etats-Unis. Pour ma part, je considère l’album comme une BD documentaire.

Adolf Eichmann en uniforme SS (1942)
Qui a guidé le choix pour la préface de l’album ?
On voulait une préface mise en garde. On a eu l’idée de contacter Didier Pasamonik car il avait déjà travaillé sur le sujet en organisant une exposition sur la Shoah et la bande dessinée. On lui a proposé de faire une préface afin de balayer certaines idées avant d’entrer dans le vif du sujet. C’est une sorte d’avertissement où il fait aussi le point sur l’ensemble des albums ayant traité du sujet. Il n’y en a pas énormément, le sujet n’étant pas des plus faciles à aborder. L’ensemble des albums parlent de la déportation et de l’extermination, je pense que Wannsee complète ce tableau car c’est une des étapes avant la solution finale.
Avez-vous été confronté à des propos négationnistes et révisionnistes à la suite de cet album ?
J’ai vu quelques mots passés sur le net. Je n’en ai que faire. Si ces gens restent dans le déni, c’est leurs problèmes, je pense qu’il y a assez de preuves comme cela. Si ces gens pensent que la terre est plate et que l’on n’a jamais été sur la lune, c’est leurs affaires.
Si vous aviez la possibilité d’effectuer une modification à l’album, laquelle ?
Je ne sais pas, pour l’instant je suis en train de le digérer. Peut-être sur l’entame de l’album, celui-ci commence par du crayonné léger et plus on avance dans l’album, plus celui-ci devient noir. La réunion commence à la page vingt-deux, je reprendrais les vingt premières pages pour tenter de rééquilibrer le dessin. Malgré tout je suis satisfait du résultat et la transition se fait naturellement.
Personnellement, j’ai vu un autre projet de couverture circuler sur le net incluant l’entrée d’Auschwitz. Comment s’est déroulé le choix de la couverture ?
Au départ, l’éditeur ma présenté une version rouge avec l’entrée du camp d’Auschwitz au-dessus. Pour moi, c’était cela mais ensuite la sortie n’a pas été évidente et j’ai dû faire des concessions. Je l’ai remplacé par une vue de la villa pour faire plus classique. Pour moi, c’était l’autre couverture mais c’est comme cela.

© Le Hénanff - Casterman.
Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille actuellement sur un album biographique pour le musée de Giverny concernant une journée de la vie du peintre Monet. Sinon sur un autre projet qui me tient à cœur concernant une des dernières missions attribuée à la Luftwaffe. Tout dépend du succès du nouveau-né.
Propos recueillis par Alain Haubruge.
Titre : Wannsee
Scénario et dessin : Fabrice Le Hénanff
Couleurs : Fabrice Le Hénanff
Genre: Histoire, Guerre
Éditeur: Casterman
Nbre de pages: 88
Prix: 18,00€
ISBN : 9782203149632
« Il s’étaient donné rendez-vous dans dix ans, même jour, même heure, même… Rome ». Pas si facile de se débarrasser de deux personnages aussi attachants que Marie et Raphaël, Jim l’a appris, et pas forcément à ses dépens, faisant entrer ses deux amoureux d’une nuit dans la cinquantaine. Tout un programme. Se diversifiant, Jim sort aussi un premier recueil de nouvelles parlant d’amour mais surtout des petits moments chéris (ou maudits aussi parfois) de la vie. Rencontre avec un auteur qui ne s’arrête jamais en si bon chemin même s’il aime ne pas savoir forcément où il va.
Bonjour Jim, on aurait pu se retrouver à Rome, c’était un poil trop loin, nous voici donc à Bruxelles. Elle vous inspire, cette ville ?
Bruxelles, c’est Paris en plus sympa, en plus bienveillant. Si j’ai des idées d’histoires qui s’y passeraient, on verra. En tout cas, j’ai un film en projet qui devrait se tourner ici à Noël. Mais pas destiné à représenter Bruxelles en elle-même.
Cela dès que je plonge dans une ville, pour peu qu’elle me charme, qu’il y ait des bars et des quartiers où traîner, c’est comme une malédiction qui pèse sur mon cerveau : je ne peux m’empêcher d’y imaginer des histoires!
Si nous nous rencontrons aujourd’hui, c’est pour le troisième tome et nouveau cycle d’Une nuit à Rome mais également pour votre premier recueil de nouvelles : L’amour (en plus compliqué). Au détour d’un court récit, vous y abordez l’importance de se réveiller la nuit, de prendre les choses frontalement. C’est le cas pour le couple auquel vous vous attachez mais c’est généralisable, bien sûr. Et vous, vous réveillez-vous la nuit ?

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Un peu trop souvent à mon goût. Du coup, je ne sais pas si je remets ma vie en question mais je réfléchis surtout à des points de détail de mes scénarios, je dénoue et teste des pistes. La nuit, c’est l’occasion de penser au-delà des questions qui me sont personnelles. Puis, en général, c’est de cette manière que je me rendors assez vite. Enfin, touchons du bois, pour le moment, je dors assez facilement. Puis, je me suis habitué à faire une sieste d’une heure dans l’après-midi. Une sorte de méditation pour faire le point et me sortir de l’énergie de la journée.
Cela dit, j’ai pas mal écrit le soir et dans mon lit, des idées, des bouts de dialogues que je notais et m’empressais de renoter au propre, de retravailler et de faire mûrir quand mon réveil sonnait, sur le coup de 6h. Jusqu’à 9h. Après quoi, je basculais sur Une nuit à Rome.

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Ces dialogues, ces morceaux d’histoire, ils donnaient lieu à plusieurs pistes de nouvelles ou ils n’en concernaient qu’une seule ?
Oui, j’étais pris par l’excitation de mener à terme mon récit, de le peaufiner avant d’en attaquer à une autre. Je suis bien aidé par cette capacité du cerveau à s’immerger totalement et à mener une piste à bonne fin, jusqu’à boucher le vide qui pouvait perdurer sur le disque dur.
On parlait de se réveiller la nuit. Encore faut-il dormir ! Ce n’est pas vraiment le cas de Raphaël, votre personnage masculin d’une Nuit à Rome qui va encore faire des folies !
Ah, Raphaël ! Il court après l’idéal amoureux qui est aussi l’art de se compliquer la vie. C’est un naïf qui veut vivre sa grande histoire d’amour. Il a bien une vie normale mais ce besoin de grand amour l’emporte toujours vers l’inconnu.

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Vous le retrouvez donc, tout comme Marie pour un deuxième cycle d’Une nuit à Rome. Ce qui n’était pas vraiment programmé au tout début de cette histoire qui d’un cycle est devenu une saga, comme vous l’appelez. Le lecteur vous y a poussé ?
Il a sa part de responsabilité, c’est vrai, de par son intérêt pour les personnages et leur vie après Rome. Mais, Marie, c’est un personnage qui me colle à la peau et que je n’ai plus jamais lâché.
Puis, il se fait que j’ai passé le cap fatidique des 50 ans, ça m’aidait à envisager mes personnages, dix ans plus tard. J’avais la base mais j’ai avancé dans l’histoire sans savoir où elle mènerait. Une situation sans fin. C’est une position délicate pour un auteur, loin des démarches naturelles de création d’histoires. Il y a une vraie possibilité de se piéger, de retourner le problème dans tous les sens pour savoir comment finir. Car si j’ai ce besoin de ne pas savoir où mon récit va, j’aime que le récit soit structuré. Il s’agit donc de mêler la structure, la courbe du récit au danger, au déséquilibre.

Le découpage du tome 4 © Jim
Avec mon éditeur, on s’amuse à partir sur une idée de départ pour ensuite laisser le cheminement se faire et retomber sur ses pattes. En fait, c’est un jeu de tricot, pour structurer le récit, je lance des fils et il m’importe qu’ils se réunissent afin que tout se boucle. Comme si tout avait été pensé dès le départ alors qu’il n’en est rien. Les notes éparpillées dans mes fichiers en témoignent. C’est ludique et ça me permet d’échapper à la routine, j’ai besoin de ne pas savoir où je vais pour me lancer dans une histoire.
Pourquoi Rome, du coup ? Vous auriez pu changer de ville. Il y a tant de suite de films portant le nom d’une ville et qui finalement s’en échappe !
Oui, sauf que je prends Rome comme une contrainte mais aussi un moteur donné par le titre. Ça coulait de source ! La suite en elle-même, moins. Avec un tome 1, il s’agit de surprendre positivement, de réussir son coup et d’emballer le public pour qu’il vous suive un pas plus loin. Après, c’est compliqué d’imaginer une suite ; il y a une attente du public, cette nécessité de surprendre avec un cahier des charges défini : des lieux, des personnages…

© Jim
C’est ce pourquoi il m’a fallu deux ans pour élaborer le tome 3 et qu’il m’en faudra certainement moins pour le 4. Il y avait plus de pression et je ne pouvais pas m’engager dans une suite qui ne me semblait pas naturellement indispensable. D’où ce pitch : « peut-on revivre deux fois certaines choses? », c’est une question légitime mais le postulat ne va pas de soi.
L’idée est de voir comme cette histoire d’amour fantasmée a ses implications dans la vraie vie. Je voulais faire écho au tome 1 en utilisant Rome, forcément, mais aussi une fête d’anniversaire, le fait que chacun des deux personnages principaux est dans le doute et ne sait pas si l’autre viendra effectivement au rendez-vous.

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Et, une nouvelle fois, c’est ce pacte passé entre les deux personnages qui va les y conduire… ou pas. Et l’ère du mobile se fait plus que jamais sentir. Parce que dans ce tome 3, vous ne leur laissez même pas l’opportunité d’un seul moment ensemble.
Non, ils ne se voient pas, il leur fallait bien un moyen de communiquer. J’aime notre époque, aussi dure soit-elle, mais ces portables sont un moyen de communication intéressant qui n’empêche pas certaines bourdes et interprétations. Vous rendez-vous compte que certains vivent une histoire d’amour par téléphone, sans jamais se voir ?
Puis, il y a ceux qui draguent intempestivement sur les réseaux de rencontres, couchent ensemble et puis s’oublient en pensant déjà à d’autres. C’est la réflexion amenée par une autre de vos nouvelles qui se termine par une phrase choc : le coeur en mode avion.
Un téléphone, c’est froid, métallique, très cérébral. Le coeur, lui, il appelle la chair.
Dans vos œuvres, il y a souvent de grandes cases, s’ouvrant sur de grands décors ou de grandes scènes, vous aimez ça, non ? Que permettent-ils ? Ce sont des portes ouvertes pour faire croire au lecteur qu’il participe encore plus à l’histoire ?
Oui, ça aide à nous plonger dans le récit. Et puis, les petites cases je les réserve à du temps rapide ou du temps qui a moins d’importance, les grandes cases à des moments forts…

© Jim
On a parlé de Raphaël. À côté, il y a Marie. Et si vous rencontriez une femme comme Marie dans la réalité, que se passerait-il ? Seriez-vous comme Raphaël ?
Je ne sais pas répondre à cette question, et je tiens à garder la stabilité de mon couple… (Rires)
Marie truste en tout cas l’attention, comment expliquez-vous qu’elle soit devenue culte, si chère à beaucoup de vos lecteurs ? Ce n’est tout de même pas la première héroïne que vous imaginez.
Je crois qu’elle a un pouvoir spécial, qui doit rejoindre un fantasme dans l’imaginaire collectif masculin… et puis, ce côté vénéneux croisé avec l’innocence de petites tâches de rousseur, c’est souffler le chaud et le froid, non ?

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Je me suis laissé dire que ça n’a pas été évident d’accepter de la voir vieillir.
Marie, c’est un de mes personnages fétiches. Elle passe dans beaucoup de mes illustrations et j’irai jusqu’à dire que son âge n’est pas dessiné. Elle est iconique, proche de Sophie Marceau et de son physique extraordinaire. C’est une femme telle qu’on peut se l’imaginer quand on ne veut pas la laisser s’échapper, qu’on va courir après. Peut-être a-t-elle ses défauts mais on ne s’en rend pas compte. Et c’est ce qu’il m’est arrivé avec Marie. J’ai eu du mal à marquer le temps qui passe, c’était un combat pas forcément évident. Je n’ai pas encore assez de talent à ce niveau-là. Si bien que sa vieillesse oscille, plus ou moins marquée au fil des passages de ce troisième tome. Pour le tome 4, je me suis engagé à réussir à la faire vraiment vieillir. Certains lecteurs m’ont fat remarquer que Marie devait certainement faire des teintures. En tout cas, je ne me suis pas résolu à lui faire des cheveux gris.

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Ce n’est pas le cas de Raphaël.
Avec lui, c’est différent, il est inspiré d’un ami qui a accepté de poser physiquement pour moi. Dans ce cas, j’ai sa vieillesse sous les yeux. Ça aide !
Sinon, j’observe les gens et j’ai remarqué deux tendances. Il y a les quinquagénaires qui se voient comme des quadras ou même des trentenaires, refusent leur âge et sont des espèces d’ados attardés ayant des difficultés à être en phase. Ce refus passe par le physique forcément. Puis, il y a les quinquas qui font leur âge, l’ont accepté et la vie continue.

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Comme vous qui, en plus, vous donnez de nouveaux défis.
C’est excitant, non ? À 52 ans, je sors mon premier livre et deviens directeur de collection. C’est nouveau et frais. Puis, même quand je refais la même chose, je parviens à trouver des chemins différents. Il m’importe de trouver l’angle.
Le Grand Angle, en tout cas, vous l’avez trouvé. D’ailleurs, ces personnages, vous y mettez de vous aussi ? Quelles qualités ont-ils qui sont les vôtres ? Et quels défauts ?
Ils doivent avoir tous mes défauts, et quelques rares qualités. J’espère qu’ils ont de l’humour, et l’envie de parler vrai, de ne pas être dans les faux-semblants. J’espère qu’on partage la même aspiration pour la sincérité…

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Ce troisième tome est peut-être un peu moins bien accueilli par certains que la première mouture. La surprise est passée ?
Très honnêtement, je craignais que ce soit le cas, et je ne l’ai pas vraiment senti, ou en tout cas tellement moins que je pouvais le craindre. Et quoi qu’il en soit, c’est normal. Un premier tome, c’est une surprise, il y a tout à découvrir. Le tome 2 était pour certains moins bien que le tome 1, alors qu’il me semble que les tomes 1 et 2 sont indissociables. Et je pense que le tome 1 est meilleur que ce tome 3, oui. Ses interrogations ne sont pas les mêmes, et les personnages ont vieilli, ce qui casse un peu l’entrain des personnages. Et puis j’ai transpiré sur le scénario, je me suis donc efforcé d’assurer le plus possible sur le dessin. Mais le 4 – et je ne le dis pas de façon publicitaire, juste parce que c’est mon ressenti et celui de ceux qui ont lu le scénario – sera une belle façon de tout boucler, l’album sera riche et retrouvera aussi de ces grandes cases qui donnent à vivre, qui manquent un peu dans ce tome 3. J’ai vraiment hâte qu’il soit lu et découvert. Ah ah, vous allez voir ce que vous allez voir !
Pas de troisième cycle pour Une nuit à Rome, alors ?
Il pourrait, mais le moi d’aujourd’hui pense qu’il ne faut pas… et n’en a pas envie… Mais qu’est-ce que je penserai dans dix ans ? En vérité, aucune idée… mais j’espère que je serai passé à autre chose…
Ou à un film ?
Tournage printemps prochain si tout va bien, tout avance bien. Croisons les doigts !
Ce qui me sidère le plus avec vous, c’est votre amabilité, votre cordialité face à des internautes (et lecteurs ?) parfois cinglants par rapport à ce que vous faites, là où certains auteurs évitent catégoriquement les réseaux sociaux et les forums. Vous vous y répondez. Même quand les remarques ne sont parfois pas agréables, quand certains parlent de vous comme du Marc Lévy de la BD, et pas en positif. Vous comprenez ces critiques (faciles)?
Oh, mais ça a dû m’arriver tellement rarement de tomber dessus, à vrai dire. Et pourtant, j’essaie de tout lire ! Mais oui, si je peux je réponds, bien sûr. Je ne peux pas ne pas répondre. Dans ces cas-là, je me dis que c’est surtout quelqu’un qui ne m’a pas lu, ou à un rejet pour une mauvaise raison. Non que je prétende faire oeuvre exceptionnelle, mais je suis plus sombre et tordu que ce qu’on peut croire au simple feuilletage, donc je ne me reconnais pas dans l’idée d’un truc culcul.

© Jim
Mais bon, si ça en défoule quelques-uns, qu’est-ce que j’y peux ? D’une façon plus globale, j’aime beaucoup les critiques, je cherche tout, je veux savoir, comprendre, analyser comment ce que j’ai voulu faire est perçu… Et si, au final, ça peut m’aider à m’améliorer, il faudrait être idiot pour s’en priver…
Ce recueil de nouvelles, c’est une manière de vous donner l’opportunité de raconter plein d’histoires que vous n’auriez sans doute pas eu le temps de traiter sur le long cours ?
C’est venu de ce recueil d’histoires en BD, De beaux moments. Des histoires courtes qui me permettaient d’aborder plein de sujet. Ma consigne était donc de ne pas partir sur du plus long… et de me séparer du dessin. Là où ce que j’avais écrit jusqu’ici était toujours transformé : en dessin, au cinéma. Ici, je me donnais l’opportunité de garder l’idée première.
Un certain Maxime apparaît dans deux nouvelles, hasard ou même personne ?
Hasard ! Je me suis obligé à ne pas faire de pont dans mon esprit. Je suis quelqu’un de radical : si je fais un pont, je vais avoir tendance à vouloir en faire partout et tout le temps. Il y avait déjà suffisamment de contraintes comme ça. (Il rit.)
Mine de rien que ce soit dans Une nuit à Rome ou dans d’autres de vos histoires, vous aimez donner des rendez-vous. Encore plus quand ils sont mystérieux et gardent une part de mystère. Une certaine fascination ?
C’est sans doute un marqueur du récit, une façon de créer un petit suspense… je ne sais pas exactement, je n’y ai jamais pensé. Rendez-vous pris pour un psy pour réfléchir à tout ça…

© Jim/Delphine chez Grand Angle
Si Marie et Raphaël se donnent un autre rendez-vous dont vous avez le secret, il y en a aussi dans L’Amour (en plus compliqué). Et notamment dans ce rapport de force inversé entre un homme et une téléphoniste qui veut lui proposer on-ne-sait-quoi. C’est du testé et approuvé ? Vous aussi, vous avez déjà « dragué » des téléphonistes ou les avez piégées ?
J’en ai déjà piégé, effectivement, mais plus maintenant. Aujourd’hui, c’est quasi tous les jours, ça a beaucoup perdu de son charme… Le temps où c’était rare – donc précieux – est révolu…
L’amour (en plus compliqué). Ce titre, vous l’avez trouvé en collaboration avec les lecteurs, et en particulier ceux qui suivent votre blog !
Le champ artistique est tout sauf démocratique ! Alors j’essaie d’y pallier. Le titre que je préférais, dans un premier temps, c’était « Tous les soirs, on fera la java ». Ça m’évoquait les Bronzés. Force est de constater que les lecteurs n’y ont pas vu cette référence mais un côté désuet qui ne les emballait pas. Il y a des surprises parfois entre l’effet qu’on imagine sur le public et le ressenti réel de celui-ci. D’où l’importance de tester.
Je procède comme ça aussi avec mes scénarios. Ainsi, j’ai envoyé le scénario d’Une nuit à Rome 4 à certains lecteurs. C’est une manière de recenser tous les défauts, de recenser les failles. Je veux en régler un maximum avant la sortie. En bref, l’équivalent des projections-test du monde cinématographique. Au final, je n’en fais qu’à ma tête, je choisis si je suis une remarque ou pas, mais ça vaut le coup ! Je suis un vrai retoucheur. Sur ce troisième tome, j’ai passé six mois à peaufiner. Je veux à tout prix éviter la situation où par manque de temps je dois tout laisser filer trop vite.
La couverture aussi, c’est un sacré chantier. Vous en avez imaginés une trentaine avant de vous arrêter à celle qui vous semblait la meilleure.
Une couverture, c’est un bout de vous-même, c’est vital de trouver la meilleure possible, celle qui captera le potentiel lecteur et qui sera capable de vous plaire quelques semaines, voire des mois.

© Jim
On en a parlé, l’internaute peut vous suivre assez régulièrement sur votre blog. Et vous lui donnez de bonnes raisons de le faire, avec des morceaux de planches, des détails sur l’évolution de vos projets. Vous avez fait de même avec vos nouvelles. Les réactions de vos « followers » étaient-elles différentes face à ce changement de médias ?
Je pense que l’attrait du dessin reste toujours quelque chose d’un peu à part, mais j’ai la chance d’être suivi par des lecteurs pour qui le récit est important. Ils suivent donc dans l’autre camp ma nouvelle façon de raconter des histoires, et merci à eux. J’aime beaucoup le contact avec les lecteurs, que ce soit en dédicaces, via le blog, ou ceux qui ont la gentillesse de m’écrire spontanément. Il n’y a pas ce côté de l’artiste intouchable face à un public représenté par des chiffres, mais bien des échanges entre personnes. Et toutes ces rencontres sont très emballantes, je ne suis pas certain que les lecteurs se rendent compte combien ça peut compter pour les auteurs… c’est un vrai moteur !
Entre l’exercice de la nouvelle et l’écriture d’une BD dans ses dialogues, ses cartouches, qu’est-ce qui est le plus exigeant ? De même écrit-on les dialogues au sein d’une nouvelle de la même manière que dans une bulle, ou faut-il veiller à d’autres choses ?
C’est à la fois la même chose et complètement différent. Dans un scénario, on se fout du descriptif, il sera dessiné. En écriture pure, le descriptif c’est autant du dessin que du dialogue, c’est du style, de la narration, des émotions. Et ça, c’est passionnant.
En tout cas, avec ce passage au roman, sans image, vous n’avez pas perdu votre habitude d’insérer ces bonnes vieilles citations. D’où vous vient ce réflexe ? Qu’est-ce qu’une bonne citation ?
Quelque chose qu’on a envie de noter, en se disant que ça nous servira un jour prochain dans la vie, je suppose ? Et puis, parfois ça claque bien, et c’est suffisant. Une citation, ça ne reflète parfois pas du tout notre pensée, mais si joliment bien écrit que c’est formidable : « Il y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux« . C’est du Chateaubriand, à mille lieues de ce que je pense, mais tellement bien dit !

© Jim
Le secret, c’est de toujours débuter, dites-vous. Cette fois, en tant qu’éditeur pour cette nouvelle collection de romans chez Grand Angle. Que pouvez-vous nous en dire ? Des projets sont déjà signés ? Quelle littérature attendez-vous ? Qui y trouvera sa place ?
Ceux qui ont de bonnes histoires, mais surtout celles qui me toucheront. Je veux être dans l’intime, dans le touchant, et que la forme possède la grâce ; noble ambition !
Vous avez reçu beaucoup de manuscrits ?
Ça commence, et de plus en plus. Jusque-là, c’est parfait, c’est à mon rythme.
Pour ouvrir le bal, il y a votre recueil mais aussi celui d’Ulysse. Et j’ai l’impression que vous êtes encore plus fou de joie pour lui que pour vous ?
Ah mais carrément. Je fais un pas en arrière et ce qui m’importe, c’est que son livre trouve sa place. Parce qu’il est fondamentalement écrivain, il vit dans les livres (ndlr. Ulysse est notamment libraire) et pour les livres, et parce qu’il est doué pour ça.
Parlez-nous un peu d’Ulysse ? Le virus de l’écriture et des histoires, c’est vous qui lui avez transmis ?
Je pense que c’est sa mère, surtout. Pour ma part j’insufflais plutôt le souffle des scénarios, des textes destinés à être dessinés ou filmés… et ma fille tient un blog où elle fait des critiques de livres… Comme quoi, le livre est partout dans la famille.
Il a vraiment fait sa crise de la vingtaine ?
À ce que j’ai lu, on dirait bien que oui…
Votre avis sur son livre ?
Autant demander à une mère si elle aime son enfant… (rires) Restons pudiques, voulez-vous !
Par ailleurs, si on faisait dialoguer les deux titres, Plein de promesses et L’amour (en plus compliqué), on sent la jeunesse naïve de l’un et la maturité expérimentée de l’autre non ?
C’est bien vu, je n’y avais pas pensé. Belle observation, il y a de ça ! Vivement qu’avec l’âge la sénilité me gagne, et je retrouverai un peu de l’élan de l’adolescence peut-être ?…
Dans Une nuit à Rome, tout a commencé par cette rencontre entre Marie et Raphaël. Et la jeune femme qui demandait à Raphaël s’il croyait en l’amitié homme-femme, sans ambiguïté, sans sexe… Pour le coup, c’est râpé et vous le prouvez depuis 300 planches, non ?
Vaste question. Honnêtement, je ne sais pas. Je pense qu’une amitié homme-femme est compliquée. Elle est possible mais je crois aussi que la question du sexe se posera inévitablement s’il y a la moindre attirance. Bon, moi, je reste spectateur, on fera le point en fin de vie.

À choisir, plutôt amour ou amitié ?
Pour ma part, amour, sans hésiter. Tous les avantages de l’amitié, le sexe en plus…
Comment expliquez-vous les nombreuses vies culturelles de vos personnages, eux qui sont timbrés, « puzzlés » et bientôt au cinéma ? Ils avaient un potentiel de déclinaison que vous n’aviez pas perçu ?
C’est du pur jeu. Que dire de plus ? Chaque proposition de création est une rencontre, et tant que c’est amusant, impossible d’y résister, j’avoue…

Des timbres collector avec La Ribambulle

Marie en puzzle
Et d’autres projets cinématographiques ?
Certains avancent, d’autres reculent. C’est un jeu opaque et passionnant, mais éreintant et interminable. Mais ce qui compte, c’est que certains avancent, semaine après semaine. Mais restons prudents et touchons du bois…
Notamment un projet avec un réalisateur de Los Angeles ? Alors, ça y est, vous arrivez à Hollywood ?
Ah mais vous êtes bien informé, dites donc. Là aussi, on est sur un tournage au printemps 2019.
Des coups de cœur récents (ou moins) en BD, films et que sais-je encore ?
La série Bron, La casa del papel, j’ai essayé de ne pas aimer, mais c’était très bien. En film, Mustang vu sur le tard était magnifique !
Et sinon, la suite ? D’autres projets en BD ?
Plein ! Dont Détox à sortir l’année prochaine, avec le jeune et fougueux Antonin Gallo. Nous avions déjà un projet ensemble, Journal de tes rencontres, mis de côté pour basculer sur Détox.

© Jim/Gallo
Et un autre avec Jean-Marc Ponzio ?
C’est en projet aussi, mais nous prenons du retard…
Par ailleurs, où est passé Téhy ? Reviendra-t-il un jour ? Ou la vie d’humains comme les autres, sans action testostéronée ou sans science-fiction, a votre préférence ? Pourquoi ?
Oui, elle a ma préférence, actuellement ; à part Premier Contact, le cinéma fantastique ne m’excite plus l’imaginaire au cinéma. Les Marvel proposent des pitchs d’une nullité assommante. On a remplacé les astuces de scénarios par du mouvement. Ça bouge, constamment, pour masquer la vacuité des enjeux. Et je pense que la bd fantastique a aussi un peu perdu de son intérêt : avant le cinéma ne parvenait pas à tout rendre, mais la bd le pouvait. Maintenant, l’immersion en bd est quand même nettement moins forte. Mais en réalité, c’est une question de goût, d’évolution, simplement.
Enfin, en Belgique, vous avez malheureusement fait l’expérience d’un faussaire tentant de vendre une pâle copie d’une de vos héroïnes sur un site ? Il y a ceux-là et ceux qui vendent des dédicaces tout juste obtenues. À cela s’ajoute la demande croissante d’un salaire pour les auteurs en dédicaces ou des dédicaces payantes. Quel est votre point de vue sur ce (vaste) débat ?

Un faux Jim
Je suis pour qu’on arrête de demander aux auteurs de venir gratuitement dans des salons, ce n’est plus vraiment possible. Il va falloir trouver une économie pour y palier. Pour ma part, j’ai trouvé un équilibre en proposant des dessins aux lecteurs, mais ces dessins demandent du travail en amont. Les lecteurs à présent jouent aussi un rôle primordial en soutenant les auteurs qu’ils apprécient, en achetant une case, une planche, une couverture, mais bien évidemment tous ne le peuvent pas. Ceux qui le peuvent ne se rendent pas forcément compte combien ils aident les auteurs. Mais ça crée une inégalité entre auteurs, inévitablement. J’espère qu’on arrivera plus facilement à trouver une économie pour les salons payants, et que les auteurs y seront bien représentés (et non en fonction du nombre de leurs ventes).
Merci Jim et à la prochaine, à Rome ou ailleurs !
Propos recueillis par Alexis Seny
Série : Une nuit à Rome
Tome : 3
Scénario et dessin : Jim
Couleurs : Delphine
Genre: Romance
Éditeur: Grand Angle
Nbre de pages: 94
Prix: 18,90€
Quand Bruxelles a rayonné au firmament de la modernité mondiale de l’époque, il était déjà là, unissant ses neuf boules comme l’événement fédérait les peuples. Quand Bruxelles est tombée sous les coups haineux et déboussolés de terroristes, on s’en est servi plus que jamais comme d’un symbole, aux côtés du Manneken Pis. Le temps est passé, les décennies aussi, pourtant l’Atomium est toujours bien en place et n’a jamais perdu la boule, imposant et identitaire, même si les plus jeunes ont peut-être oublié ce que ce monstre d’acier représente. Le hasard, la passion et l’envie faisant souvent bien les choses, pile pour l’anniversaire, Patrick Weber et Baudouin Deville font revivre cette époque faste, quand Bruxelles brusselait, dans une oeuvre précise et documentée qui fait aussi figure de thriller d’espionnage bien rodé. Rencontre avec Baudouin Deville, un dessinateur passionné d’une ligne claire et néanmoins atomique. Inoxydable.

© Weber/Deville chez Anspach
Bonjour Baudouin, c’est un grand coup que vous avez réussi avec Patrick Weber et le nouveau venu dans l’édition (mais pas dans le monde de la BD) Nicolas Anspach : Sourire 58 qui fait revivre l’ambiance de l’exposition universelle bruxelloise de 58. Mais, dites donc, ce n’est pas la première fois que vous utilisez l’Atomium !
C’est vrai, il y avait eu Atomium 58, en 1984, autant dire au siècle passé. La vérité, c’est que monument m’a toujours fasciné. Encore aujourd’hui, quand je passe en dessous, écrasé par cette masse de métal suspendue, je me dis que c’est un bien beau rêve d’architecte.

© Baudouin Deville

© Weber/Deville

© Weber/Deville chez Anspach
Si on pousse le jeu des comparaisons entre ces deux albums séparés de 35 ans, il est curieux de constater que tous deux commencent par des planches d’ouverture similaires : les travaux, l’ambiance crasseuse de la création et un goût de mystère, déjà, qui sera exploité de manières très différentes dans les deux histoires.
C’est vrai, je n’avais pas fait le rapprochement, jusqu’ici. En tout cas, je pense qu’il y a quelque part un héritage des films d’époque. Puis, si je suis fasciné par le monument terminé, il en va de même pour la vision, éphémère là, de sa construction. Avec ces câbles agrippés, cette toile d’araignée, ça a de quoi marquer ! Il y a quelque chose d’une atmosphère fantomatique, d’un zeste de science-fiction. Je regrette qu’avec Patrick Weber, on n’ait pas pu évoluer un peu plus au milieu de ces grands travaux.

© Weber/Deville
Peut-être une prochaine fois, ne dit-on pas « jamais deux sans trois »?
La construction de l’Atomium fut fascinante. Il suffit de regarder le film n/b qui a été tourné à cette époque. À refaire, je consacrerais au moins un album là-dessus. Avec des ambiances nocturnes et un Atomium en partie construit, sorte de monstre de métal bardé de câbles en tous sens… J’aimerais y revenir, tout n’a pas été dit! Cela peut donner des ambiances terribles! Un polar noir…
Cela dit, l’Atomium ne vous a pas quitté d’une semelle !
En effet, graphiste de formation, cela fait des années que je travaille pour différentes entreprises (du print et du web) avec mon site http://www.traits.be. Un de mes clients est l’Atomium et son équipe m’a demandé de travailler sur une ligne de produits. J’ai dessiné un visuel qui a été appliqué sur une trentaine d’objets. Actuellement, je ne travaille plus pour eux. La collection est terminée.

© Baudouin Deville
Mais, de là est venue l’idée de faire une BD sur le sujet car en travaillant sur ces produits, je me suis rendu compte que, s’il y avait des livres, il manquait un album de bande dessinée s’intéressant à cette époque magique. J’ai mûri cette idée et c’est Nicolas Anspach qui m’a fait rencontrer un historien. En l’occurrence, Patrick Weber. Les discussions ont fait germer l’idée de cette histoire. Il n’y avait plus qu’à… sauf qu’un autre souci a bien vite surgi : l’exploitation de l’image de ce monument. Rien n’est gratuit mais on a trouvé un accord.

© Weber/Deville chez Anspach
La convention signée, on a pu se mettre au travail tout en mettant au point un plan pour que le bouquin sorte de l’anonymat et réunir les fonds nous permettant de sortir cet album. C’est ainsi que nous sommes partis sur l’idée du crowdfunding sur Sandawe. Et s’il a fallu quinze mois pour financer l’aventure, nous nous sommes rendu compte que l’engouement a été progressif, graduel, et que le budget de 25000€ qu’on espérait réunir a non seulement été financé mais également presque doublé! On a récolté 42 000€. Ça bouillonnait et si un petit tirage à 4000 exemplaires – ce qui n’est déjà pas mal – était envisagé au début, on a réfléchi à une solution pour tirer plus d’albums. C’est ainsi qu’on a mis sur pied une petite structure d’édition : Anspach.

© Weber/Deville chez Anspach
Les éditeurs ayant pignon sur rue n’ont pas répondu présents ?
Ils ont gardé la possibilité dans un coin de leur tête avant de se rendre compte que ça leur coûterait un bras de produire ça. Aujourd’hui, ils s’en mordent les doigts. Mais, comme par hasard, maintenant, ils reviennent à la charge avec plein de propositions. Pas de chance, je ne compte pas la lâcher cette petite structure. J’ai la liberté de choisir et j’en use et en abuse.

© Weber/Deville
Justement, vous nous parlez de l’homme sans qui rien n’aurait été possible, Nicolas Anspach ?
Il est redoutable, c’est le meilleur marketing manager que je connaisse. Pourtant ce n’est pas évident quand on n’a qu’un seul livre à défendre. Plein d’auteurs me contactent, viennent me voir en festival, et sont abasourdis par la petitesse de notre structure. « Comment faites-vous? » Disons qu’on n’est pas nés de la dernière pluie. Patrick est un expert des médias. Et avec Nicolas, comme les Beatles et tant d’autres, on s’est rencontrés au bon moment pour pouvoir réaliser quelque chose de pas mal.

© Weber/Deville chez Anspach
Restait à diffuser l’album, et la petite structure ne pouvait pas tout faire.
À ce moment-là, le noeud du problème n’était plus la création… mais la diffusion de cet album. On y a été au bluff et on a contacté le plus gros diffuseur en matière de BD pour le monde franco-belge : Média Diffusion. Des habitués de « gros projets » qui ont pourtant été convaincus par le nôtre et l’ont accepté.
Une bonne opportunité, quand même, les 60 ans de l’Atomium pointaient à l’horizon. Ils ne pouvaient pas ne pas y penser.
Eux l’avaient peut-être dans un coin de la tête, moi pas, en tout cas. Le projet a été mis en route il y a trois ans, on était encore loin de cet anniversaire célébré. Puis, tout d’un coup, Henri Simons, le directeur de l’ASBL Atomium, a vu le bouquin, a été séduit et a décidé de l’intégrer à la communication officielle de l’Atomium. Un raz-de-marée.

© Weber/Deville chez Anspach
Les astres s’alignaient !

© Weber/Deville chez Anspach
Oui ! Avec le surplus du crowdfunding, nous avons pu produire 12000 exemplaires en première édition. Mais tout restait à faire: il fallait les écouler au risque de se prendre une sacrée déculottée. Mais, chance une nouvelle fois, les libraires indépendants nous ont suivis : ils ne commandaient pas notre livre par 3 ou 4 mais par cent exemplaires, pour certains.
Et la presse, aussi.
Nous avons tenu des conférences de presse et celle-ci s’est emballée, énormément de titres de presse ont parlé du projet, des sites se sont habillés des couleurs de Sourire 58, les interviews se sont enchaînées. Cela dit, on ne s’y attendait pas et, pour une petite structure comme la nôtre, c’est assez épuisant.

© Weber/Deville chez Anspach
Bref, aujourd’hui, nous sommes toujours au top des ventes, ça marche à fond, une deuxième impression vient d’avoir lieu, après un mois seulement. C’est inespéré. Aussi, une suite est en route, au Congo dans les années 60, ce ne sera pas une suite matérielle, nous avons envie d’aller plus loin.
Avant de parler du Congo, plongeons-nous un peu plus dans cette expo 58.
Comment ne pas être fasciné par cette période, visionnaire, dans un petit pays pourtant de rien du tout. Bruxelles, avant 1958, c’était une ville de province à gros pavés. La perspective de l’exposition 58 en a fait une ville internationale, une capitale. Avec des chamboulements architecturaux à la clé : des tunnels, de voies rapides, de la modernité…

© Weber/Deville chez Anspach
Je suis toujours autant interloqué devant l’audace des gens qui ont pensé et organisé ce qui allait faire office de métamorphose. Quel culot, quand même : la Belgique allait recevoir le monde entier au Heysel. Et quand on dit le monde, ça n’a rien d’une extrapolation : l’Expo Universelle a permis d’accueillir 42 000 000 de visiteurs. C’est fou. Et ça relativise les choses quand, à l’heure actuelle, on n’est même pas capable de mettre en projet un stade national. Les différents niveaux de pouvoir sont incapables de s’associer, de fédérer. Là voilà notre ambition comme si rêver appartenait désormais résolument à une autre époque.

Projet de couverture © Weber/Deville chez Anspach
Alors que tout est possible ?
Rien n’est impossible en tout cas. L’organisation de ce moment historique a développé une formidable énergie. Qui perdure dans sons souvenir. En faisant la promo de cet album, là où je m’attendais à ne rencontrer que des septuagénaires, je me suis rendu compte que cette thématique touchait un public beaucoup plus large : ceux qui ont connu l’époque et en ont des souvenirs vivaces, ceux qui avaient 4 ou 5 ans et n’ont gardé que quelques flashs, les plus vieux qui achètent l’album pour leurs enfants et petits-enfants. Sourire 58, de par sa thématique, dépasse le simple monde de la BD, fait office de carte de visite…

© Weber/Deville chez Anspach
… d’une ville qui a fortement changé, vous l’avez dit, et qu’il a fallu reconstituer.
Bref, trois années de recherches durant lesquelles tout n’a pas toujours été à portée de main malgré la proximité de l’époque investiguée. Mais j’ai pu compter sur des archives et, grâce à des experts, j’ai pu exhumer des trucs qui, sans doute, n’étaient jamais sortis des greniers.

© Weber/Deville chez Anspach
Cela dit, ça n’empêche pas de faire des bêtises, malgré le nombre de relectures consciencieuses avant publication. Par exemple, il y a cette lettre envoyée dans l’album. En entête, j’ai mis 1160 – Bruxelles. Un réflexe naïf. Alors que, bien sûr que non, l’invention du code postal est postérieure à l’Atomium. Voilà qui sera corrigé mais jusqu’ici, personne ne l’a remarqué. Ouf !
Au-delà de ça, j’ai dû redessinner toute la place De Brouckère qui a bien changé – surtout ces derniers temps avec le cafouillage du piétonnier qui devait être apaisant et ne l’est absolument pas. La circulation, le décor, il a fallu oublier l’image du De Brouckère des années 2000.

© Weber/Deville chez Anspach
Dans ce retour vers le passé, il allait aussi être question d’engins motorisés de toutes sortes. Mon petit doigt me dit que ce n’était pas pour vous déplaire ?
C’est vrai qu’il y a de tout en matière de véhicules. Des cas, des voitures, des side-cars. C’est un e passion pour moi. Encore plus quand il s’agit de motos anciennes, comme sur mes précédents albums. Avec Jean-Luc Delvaux, lui aussi fondu des mécaniques, on a beaucoup discuté. Il n’y a pas à dire, les voitures d’hier sont bien plus amusantes à dessiner que les bagnoles de maintenant.

© Weber/Deville chez Anspach
Et ce vol aller vers 1958, c’est via une hôtesse, Kathleen, que vous nous l’offrez.
Une idée de Patrick. On voulait éviter le côté chiant et trouver une petite souris qui nous permettrait de prendre place dans ce rendez-vous mondial. On voulait y entrer par un côté plus singulier. Avec une femme, c’était encore mieux.

© Weber/Deville chez Anspach
Une femme comme héroïne, par les temps qui courent, c’est important, non ? Avez-vous très vite déterminé que le héros de cette histoire serait une héroïne ? Y’a-t-il des femmes du réel ou de fictions qui vous ont inspiré dans sa création ?
La création de l’héroïne est vraiment une idée de Patrick Weber. L’éditeur et moi-même avons tout de suite été enthousiastes. Ce qui paraissait intéressant était de montrer une jeune femme dans les années 50, un peu cruche, très réservée et de la voir progressivement s’affirmer. On sent qu’elle vient d’un milieu protégé, bourgeois sans doute. Le père est absent mais il apparaîtra sûrement plus tard dans la suite. Il est peut-être au Congo (hein, Patrick?). Bref, une héroïne un peu naïve, de son temps. Cela me surprenait un peu au début quand je reçus les premières pages de scénario. Je disais à Patrick : « elle n’est pas un peu trop cruche? » Il me répondait que nous étions en 1958 et que le rôle de la femme, à cette époque, était celui-là et que la conquête de l’égalité des droits homme-femme avait encore du chemin à faire!

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Je n’ai pas pensé à une femme précise pour la création de Kathleen. Je me suis inspiré, graphiquement parlant, d’une femme jouant dans une série anglaise « Call the midwife » mais aussi d’autres modèles. Mon éditeur me dit que je me suis inspiré de ma fille, une grande brunette! Bref, un peu de tout.

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Et des personnages bien connus des bédéphiles.
Je m’amuse et comme l’exposition accueillait la grande foule, c’était l’occasion de replacer plein de petites choses, des personnages connus ou moins connus que je suis le seul à savoir où ils se trouvent. J’ai toujours fait ça. Ainsi, vous retrouverez dans Sourire 58, l’Inspecteur-chef Kendall de Blake & Mortimer, le Maharadjah de Tintin ou même Patrick Weber. Ça ne dénote pas, ce sont des clins d’oeil.

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Beaucoup de personnages de la Ligne claire, la voie que vous avez choisie.
Je sais que je dois améliorer fortement ma ligne claire pour le tome 2. Il n’y a pas de miracle, j’admirais Ted Benoît. Lui prenait cinq ans pour sortir un album. Sans doute le temps nécessaire à approcher la perfection. Moi, j’ai réalisé Atomium 58 en un an et demi. Je dois continuer à développer ça, à passer des paliers, tout en veillant à ce que ça reste amusant.

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Puis, il y a la couverture.
Là, j’ai souffert, je dois avoir réalisé 28 projets et en avoir terminé deux ou trois. Jusqu’au jour où Média-Diffusion m’a arrêté net. « Ne touchez plus à rien, on a trouvé ». Ils ont gardé l’idée la plus simple : notre personnage s’avançant avec l’Atomium dans le dos et la belle typographie d’Anne Gérard. Elle a été fabuleuse. Tout comme Bérengère Marquebreucq qui a donné de belles couleurs à cette couverture. J’en suis très content.

Recherche de couverture © Weber/Deville chez Anspach
On pourrait se dire qu’il manque le son, quand même, non ?
Mais on l’aura peut-être. Une grosse société audiovisuelle est intéressée par l’adaptation de notre album en série télé. Cela nécessiterait d’étendre l’écriture du scénario mais c’est une chouette aventure en coproduction internationale qui pourrait être lancée. On verra.

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Ce regain d’intérêt est raccord avec ce retour au vintage si présent dans beaucoup de récits dans des médias très variés comme le steampunk etc.
Dans un monde troublé, je pense qu’on a besoin de se rassurer et on a tendance à chercher dans le passé quelque chose de stable et rassurant. En apparence, bien sûr, car les années 50’s n’étaient pas non plus toutes roses, il y avait la Guerre Froide, les missiles à Cuba. Mais quand on y met la distance, on a tendance à ne voir que le bon côté des choses. Moi, j’aime beaucoup me plonger dans le passé, y implanter mes histoires.

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Avec Sourire 58, nous avons mis au point une fiction qui possède ses aspects didactiques, qui permet d’expliquer aux plus jeunes les traces de ce grand événement. Beaucoup de personnes de la tranche d’âge 20-30 ans ne savaient pas ce que ça représentait vraiment l’Atomium. Mais ça reste un symbole inconscient et collectif. Chaque année, 500 000 personnes visitent l’Atomium. C’est dingue parce que quand on est touriste et qu’on va à Bruxelles, l’Atomium est quand même vachement excentré. On pourrait faire l’impasse. Mais ce n’est pas le cas. On revient à cette fascination pour sa grandeur, sa taille, cette réussite du design qui n’a pas d’équivalent et reste gravé.

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Après, nous, on reste modestes, on est juste contents. Vous savez, il y a beaucoup de gens aigris dans le monde de la BD, la production pléthorique actuelle n’y est pas étrangère. Alors, on se dit qu’on a une chance de pendu. Si le temps m’a permis d’engranger de l’expérience et des acquis, je n’ai pas dessiné le meilleur bouquin du monde mais le résultat me convient.
La suite alors ? Sans spoiler, on peut dire que votre personnage survit à l’Expo universelle et à sa cheffe tyrannique. On va la retrouver au Congo, alors ?
Léopoldville 60. J’ai déjà entamé l’album (2 planches terminées). Kathleen est engagée à la Sabena et assure, entre autres, le service sur des long-courriers à destination de l’Afrique. Sa première vision de l’Afrique est Léopoldville (Kinshasa). Elle n’y arrive vraiment pas au meilleur moment! Les premières échauffourées ont eu lieu, le Congo bouillonne. Elle va être servie, au niveau aventure ! Patrick prépare un redoutable scénario et sa grande connaissance et son point de vue d’historien des événements congolais vont être très intéressants à illustrer. je me réjouis! Et puis cette fine équipe éditeur-auteurs fonctionne bien. Pas de raison de l’arrêter et il faut dire que les bons résultats de Sourire 58 nous encouragent à remettre le couvert. Rebelote, pour se documenter, donc. (Il rit).

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Dans la même veine d’espionnage ?
Non, il y aura un côté plus politique, un regard sur la colonisation. Et dieu sait que ce n’est pas simple d’aborder le sujet tant on risque soit de passer pour un néo-colonialiste, soit pour l’inverse. Mais je fais confiance à la justesse et à l’éclairage de Patrick Weber. Sinon, Sourire 58 pourrait bien avoir une édition anglaise. La belle histoire continue ! Sinon, oui j’ai d’autres projets mais il faut trouver du temps pour les faire. Un album de 52 planches comme Sourire 58 me demande un an et demi de travail!

© Weber/Deville chez Anspach
Au boulot, alors, merci de vous être prêté à nos questions !
Propos recueuillis par Alexis Seny
Titre : Sourire 58
Récit complet
Scénario : Patrick Weber (Page Fb)
Dessin et couleurs : Baudouin Deville
Genre : Espionnage, Histoire, Polar
Éditeur : Anspach
Nbre de pages : 52
Prix : 14,50€
S’il tourne aux quatre coins du monde à travers des films, des romans, des bandes dessinées, le courant d’air de l’aventure revient encore et toujours à la charge dans de nouvelles propositions d’ailleurs. Et peut-être encore plus du côté de la jeunesse qui a le vent en poupe et se prête décidément bien à la perte de repères et à la débrouillardise. Seuls, la dernière adaptation de Deux ans de vacances, Le Labyrinthe ou, désormais, Island, nous invite à nous échouer et à retrouver le système D. Interview avec Sébastien Mao, grand orchestrateur de ce retour à la nature sauvage… ou presque.

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo
Bonjour Sébastien, après avoir oeuvré dans la BD plutôt didactique, vous nous emmenez sur une île « déserte », comment l’idée de ce voyage, sans retour ?, vous est-elle venue ?
Cela fait un moment que j’avais envie de faire une histoire d’aventure qui soit la plus surprenante possible en reprenant l’univers des robinsonades et des enfants qui doivent s’organiser. Ma référence ultime étant Sa majesté des mouches. Je ne voulais pas que ce soit cousu de fil blanc, pas une simple île déserte, tout en alliant à cette expérience un côté didactique. Il fallait que les stratagèmes et inventions utilisées par nos héros soient réalisables.
Du coup, dès le début, vous saviez que vous alliez travailler « avec » des enfants, et vous adresser à un public jeunesse ?
Que ce soit enfantin, c’est un choix raccord à des lectures plus personnelles. Sa majesté des mouches, comme je le disais. Après, je ne m’arrête pas à la classe d’âge. J’aime me dire que cet album, j’aurais pu le lire moi-même. Ce n’est pas un groupe d’adulte mais l’ingénuité permet de nous sentir entre rêve et réalité. Avec la possibilité d’avoir peur.
Pour agir sur un groupe, j’imagine que, comme dans un film, il faut un bon casting ?
L’idée est que chaque enfant donne une facette du groupe. Chacun apporte quelque chose, comme Charly et son côté Pierre Richard, l’héroïne qui est très proche de ma meilleure amie. Puis il y a aussi un aspect plus grave amené avec le harcèlement scolaire. Une problématique qui va se vivre loin des bancs de l’école et des réseaux sociaux, en situation de survie.

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Et le souffre-douleur de s’affirmer en tant que leader.
Ce n’est pas toujours aussi positif, dans la réalité, malheureusement, mais oui, il va s’imposer dans un domaine dans lequel il ne pensait pas possible d’y arriver.

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Cela grâce à son fidèle guide de survie !
Testé et approuvé ! J’en avais un, le guide des Castors Juniors, dans ma jeunesse. Sans doute, une des sources d’inspiration inconsciente de ce récit. À l’époque, je n’avais pas internet. Je m’amusais à refaire tout ce que je voyais à la télé et que je prenais au premier degré. Comme dans les épisodes de MacGyver. Après, j’étais bien évidemment frustré de ne pas y arriver.
À la fin de ce premier tome, vous trouverez une sorte de fac similé de fiches d’un manuel de survie. Avec la possibilité de survivre à 1001 catastrophes. Comme je le disais, je ne voulais pas donner des trucs qui n’étaient pas réalisables. J’ai tout testé… sauf peut-être le combat de crocodile. Mais, faire du feu à l’aide d’une canette de coca et d’une barre de chocolat, ça peut paraître fou mais ça fonctionne.

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Finalement, on observe un certain retour à ces récits types robinsonnades où des enfants se retrouvent à devoir agir en groupe dans des univers plus ou moins hostiles. Il y a Seuls, Labyrinthe, l’adaptation de Deux ans de vacances ou encore Les enfants de la résistance dans un autre genre. Il est tentant de faire le parallèle entre ces histoires et nos sociétés dans lesquelles les enfants sont livrés à eux-mêmes, non ?
C’est vrai, pas mal de récits traitent cette idée de survivre sans aide extérieure. Après, je n’ai aucune volonté de distiller un message politique. Moi, je suis enfant unique et quand j’étais petit, j’inventais des histoires, je devais survivre à 1001 choses, dans une nature hostile… un peu en opposition avec le décor de la Creuse où j’ai passé mon enfance. Mais j’y avais trouvé une forêt, et c’est là que je testais mes bricolages.

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Concernant mes lectures, si j’ai adoré Seuls, je me suis vraiment inspiré de romans que j’ai pu lire. Je voulais mettre des images, des représentations visuelles sur ce que j’avais pu ressentir à la lecture de ces oeuvres qui avaient fait jouer mon imagination plein tube.
Et justement, les enfants d’aujourd’hui n’ont-ils pas un peu perdu de cette capacité à faire travailler leur imagination, à vivre « sauvagement » ?
En fait, il est important de s’ennuyer quand on est enfant. Ça va paraître vieillot que je dise ça, mais je n’avais pas de DVD, pas de tablette. Parfois, je regardais la tv, les dessins animés de Dorothée mais le reste du temps, je jouais avec des légos, je bricolais, je m’inventais des histoires. Lors des vacances dans La Creuse, je créais des cabanes pour combler l’ennui par du concret, la possibilité de vivre dans la nature. J’ai plus appris que si on avait cherché à m’occuper. Je pense qu’il est important que les enfants se réapprivoisent les objets. C’est non seulement instructif mais ça favorise la créativité.

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo
Et vous, si vous étiez sur une île déserte, y’aurait-il des choses que vous ne voudriez absolument pas vivre ? Des phobies ?
Je pars du principe que si je m’en sors, c’est déjà très bien. (il réfléchit). Je dois admettre que je ne suis pas fan des insectes. Sinon, j’aime les sports un peu extrêmes, comme le canyoning… même si je me fais vite peur. Au-delà de ça, c’est assez jubilatoire de faire vivre ce genre de situations aux autres !
Et dans ce déroulé catastrophe, c’est un autre comparse que vous vous êtes trouvé, Waltch.
Cela fait plusieurs années que je travaille avec Duvignan. On a tous les deux eu envie de partir sur des projets un peu plus perso. Et ce nouveau couple que je forme avec Waltch a été arrangé par l’éditeur. Un bon choix quand je vois ces scènes de catastrophes et de survie emmenée par le dessin rond de Waltch, franco-belge, plus bonhomme et familier que ce qu’on peut parfois voir. Island, c’est une affaire de contrastes, et le dessin de Pierre permet de basculer vers quelque chose de plus complexe, quelque chose d’agréable à regarder tout en se rendant compte que les épreuves subies par nos héros sont cruelles. Vous le verrez dans le tome 2.

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo
Mais au-delà du duo, c’est un trio bienveillant que nous formons avec Sandrine Cordurié qui a livré un formidable travail sur les ambiances, entre le jour et la nuit, le brouillard. Si le dessin en noir et blanc donnait bien, la couleur apporte tellement une dimension supplémentaire. C’est la première fois que je me rends compte à quel point la couleur impacte un album que je crée.

© Mao/Waltch/Cordurié
Il y a quelques années, vous publiiez un guide sur Paris. Mine de rien, toutes proportions gardées, ça doit aider quand on crée un monde dans lequel on doit se repérer… comme cette île déserte.
Pour certains, Paris, c’est une vraie île déserte totalement hostile, une jungle. Si la métaphore n’est pas tout à fait usurpée, ce n’est pas vraiment transposable. Après, si la topographie joue un rôle important et prend de la place dans l’album, le fait d’avoir réalisé ce guide parisien auparavant m’a surtout permis de gérer les distances. Celles-là même qui sont encore plus décuplées pour les enfants. Cela m’a permis de mieux assimiler la gestion des déplacements.

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Dans ce premier tome, vous nous embarquez directement dans le feu de l’action avec une scène d’ouverture dont le déroulé n’apparaîtra finalement que 30 planches plus loin.
J’aime l’idée d’une scène d’action en ouverture, une scène-clé qui apporte des mystères avant un lot de réponses plus loin. Ça permet de déconstruire, de semer le doute avant d’amener les explications.

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Cette envie de plonger directement dans une scène forte avant de reprendre depuis le début, je la dois sans nul doute à ma passion pour les séries. Comme le début d’un épisode de Breaking Bad, on n’a pas le temps de respirer, on y est. C’est le grand huit, ça démarre très fort tout en restant sur les rails, sans créer la frustration même si on reviendra en arrière, qu’il faut perdre pour mieux retrouver. C’est la méthode que j’ai essayé d’appliquer.
Et 62 planches, ça en laisse le temps !
Pour ça, l’éditeur est très respectueux. En écrivant l’histoire, j’ai tâché de faire monter le mystère progressivement… comme la pagination passée de 48 à 50 puis 55 et finalement 62. J’espère que ça tient la route, je ne voulais pas prendre de raccourci et oublier certains passages, rester sur ma faim. J’ai voulu être le plus exigent possible, de développer l’action au maximum.

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo
Votre récit est aussi plein de références, de James Bond à Robinson en passant par le Capitaine Némo.
Toutes les semaines, je vais deux ou trois fois au cinéma, depuis des années. Ça m’a permis de me constituer une banque de souvenirs dans laquelle je peux puiser et me remémorer des sensations. Il y a du Spielberg, Hitchcock ou Shyamalan. On part vers une destination précise pour, au final, se retrouver ailleurs à se demander où on se trouve, dans quel univers. Je voulais rendre hommage à cet art qui crée des souvenirs et, j’en suis sûr, fait évoluer.
Par ailleurs, le cinéma est encore plus présent que cela. Un cinéma fait avec de vrais gens face à des situations surprenantes voire horrifiantes. Le Septième Art a-t-il déjà poussé le concept dans ces extrémités-là ? En mode caméra caché, recherchant la sincérité des émotions.
À ce point, je ne pense pas. J’aime beaucoup Borat ou Brüno malgré leur caractère très violent, homophobe. Je pense que le cinéma recherche toujours la sincérité. Après, je pense tirer plus mon inspiration d’expériences psychosociales. J’ai d’ailleurs repris des études de psychologie, à un moment. Cela permet d’interroger la logique d’un personnage lambda face à une situation difficile.

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo
Il y a la magie du cinéma et la magie tout court. Comme celle de Gérard Majax que vous remerciez.
C’est devenu un de mes meilleurs amis. Il a bercé mon enfance. Et quand je vois le nombre de personnes qui viennent près de lui lorsque nous déjeunons ensemble, je ne dois pas être le seul. Ce sont les hasards de la vie professionnelle qui nous ont amenés à travailler ensemble (ndlr. sur ENIG’MAJAX, série co-écrite avec le magicien et dessinée par Tase dans les pages d’Enigma). Comme Island était ma BD la plus personnelle et que son univers touchait à la magie, c’était l’occasion rêvée pour le remercier.
Finalement, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la magie à votre manière, en BD ?
Comme j’étais fils unique, je lisais beaucoup de BD. Toutes les semaines, j’avais Spirou, Mickey… Mais, je me suis rendu compte très tard qu’on pouvait en faire sa vie. J’ai toujours écrit mais j’avais tellement peur de montrer mes manuscrits aux éditeurs. Puis, un jour, j’ai passé le cap. Par chance, je suis tombé sur Bamboo, leur bienveillance, leur humanisme. C’est pour ça que je n’éprouve aucun besoin de leur être infidèle.

© Mao/Waltch/Cordurié chez Bamboo
La suite ?
Je suis à fond sur le tome 2, la première trame est bien avancée. Même si nous donnons déjà beaucoup de réponses à la fin de ce premier album, nous aimerions sortir la suite le plus rapidement possible… tout en ne se précipitant pas. Chaque scène doit être imbriquée pour avancer sans oublier des choses. Le moindre détail, un petit dialogue a son impact. Ce fut le souci sur le tome 1: des petits passages avaient un gros impact et risquaient de créer des incohérences. J’ai donc dû revoir ma copie.
Island pourrait bien s’étendre sur plusieurs cycles, je ne manque pas d’idée. La fin d’un album pouvant être le début de quelque chose d’autre, permettant d’aller plus loin. Il y a un côté complotiste que je voudrais travailler tout en restant sur les rails. Bien sûr, le rêve serait de faire le plus de tomes possible pour développer au maximum cet univers. En réalité, ça dépendra de la manière dont la série est reçue. Mais l’envie est là de faire subir plein de catastrophes à notre équipe.
Après, j’ai d’autres envies. Comme une BD historique sur Paris et ses illuminations. Là encore, il y a un côté magique mais aussi lyrique.
Propos recueuillis par Alexis Seny
Série : Island
Tome : 1 – Deus Ex Machina
Scénario : Mao
Dessin : Waltch (Page Fb)
Couleurs : Sandrine Cordurié (Page Fb)
Genre : Aventure
Éditeur : Bamboo
Nbre de pages : 80
Prix : 14,90€
À ciel ouvert du web depuis quelques années, la Comic Art Factory a trouvé quatre murs, un toit et de belles baies vitrée dans la chaussée de Wavre à Bruxelles. Pour fêter ça, c’est dans l’univers délicat et tellement porteur de Renaud Dillies que cette galerie qui entend faire parler la passion avant le pognon, s’est glissée. Derrière elle, on trouve d’ailleurs un amoureux de la BD, et plus largement des arts et de la culture : Frédéric Lorge. Rencontre.

Renaud Dillies et Frédéric Lorge
Bonjour Frédéric, dans quelques heures, vous ouvrirez les portes de ce nouveau temple de l’original, la Comics Art Factory. Mais comment cette histoire a-t-elle commencé ?
En 2014, lorsque j’ai pris l’initiative de contacter moi-même des auteurs et illustrateurs, comme Quentin Gréban ou Isabelle Dethan, leur demandant s’ils n’avaient pas envie de vendre quelques oeuvres. Une envie qui me trottait dans la tête depuis un bout de temps. Tout en pensant que ça arriverait plus tard, en 2019 ou 2020. Et ça arrive maintenant. Mais devenir galeriste, ça ne relevait pas d’un but, ni même d’un fantasme. Il fallait que cela arrive en faisant concorder lieu, espace, bail pas trop cher, etc.
Une chose était certaine, je ne voulais pas d’un couloir comme on en voit trop souvent dans les galeries. Du coup, la Comics Art Factory ressemble un peu à un personnage des Îles de paix avec un petit couloir bordé de pièces et avec une mezzanine et des grandes baies vitrées.

En vitrine, non pas des planches, mais des cases !
Je voulais pouvoir proposer en vitrine un agrandissement de l’une ou l’autre case de l’artiste exposé (ici, en l’occurrence, Renaud Dillies). Il m’importait de varier la présentation, d’aller au-delà de cet aspect très « brocante » de l’éternelle planche présentée comme un tableau sur un chevalet. Maintenant, peut-être qu’un jour, j’y reviendrai. Mais j’essaie de jouer avec le côté graphique, d’exploser et explorer la taille d’une case ou d’une succession de cases. Pour le moment, c’est une séquence entre Abélard et Gaston et la deuxième case de la première planche de Saveur Coco.



Bon, à l’intérieur, le visiteur retrouvera les planches exposées de manière plus classique. Dans le futur, je tenterai peut-être des choses plus acrobatiques.
Mais ce goût de la BD, d’où vous vient-il ?
Mon papa m’a appris à lire avec les publications de comics de LUg, les Strange, les Nova. Après, sont venus Lucky Luke, Gaston, le Spirou de Tome et Janry avant les autres. Mais pas les magazines Tintin ou Spirou, je ne supportais pas que ma lecture soit fragmentée.
Ce n’est que bien plus tard que j’ai commencé à collectionner. Des planches américaines, dans un premier temps, puis du Franco-Belge, qui n’était pas plus facile à acheter.
Et sur le plan professionnel ?
J’ai fait des études de communication à l’Ipsma, j’ai fait quelques piges avant de devenir journaliste BD dans Belgique N°1, le Vlan de Charleroi. J’avais accès à un service presse et une totale liberté de m’exprimer entre le manga, les comics, le franco-belge. Sans viser uniquement le populaire. J’ai également fait des interviews BD pour un fanzine, Devor-Rock qui parlait autant de musique que de BD. Pendant une bonne dizaine d’années
J’ai le souvenir mémorable d’une interview surréaliste et croisée de Midam et Darasse à l’époque du Gang Mazda et de la sortie du premier Kid Paddle. Nous l’avions fait dans un café. Et malgré l’heure matinale, on avait eu l’impression que tout le monde était en état d’ébriété. Midam, dès le début, j’ai senti qu’il tenait quelque chose avec Kid Paddle. J’aime ses gags, sa maîtrise de l’absurde, ses strips. C’est l’un des plus grands gagmen de ces vingt dernières années.

Avant de devenir galeriste, parmi vos 1000 vies, vous avez aussi été chanteur, sous le nom de Deauville. Info ou intox ?
Vu les ventes de CD’s, confidentielles, peu de gens sont au courant. (il rit) Là encore, c’était une envie que j’avais depuis longtemps et qui, je le savais, prendrait vie un jour. Pour le coup, ce fut, entre mes 35 et 37 ans. J’ai concrétisé cette envie en chantant mes textes sur mes propres mélodies, en compagnie d’un arrangeur (ndlr. reconnu, quand même, puisqu’il s’agissait de Phil Delire). J’ai vécu cette expérience sincèrement tout en apprenant à être homme-à-tout-faire comme être mon propre attaché de presse . Ça forge le caractère !
Et déjà, sur vos pochettes, le dessin était bien présent !

Oui, si je me doutais que peu d’albums trouveraient acquéreurs, je voulais bien faire les choses. J’ai ainsi fait appel à Isabelle Dethan qui avait signé Le Roi Cyclope et avait emporté les contes et légendes bien loin des stéréotypes avec des couleurs qu’on n’avait pas l’habitude de voir. Mais aussi à Emmanuel Lepage qui est l’un des dessinateurs que j’admire le plus depuis La Terre sans mal. Il arrive tellement à dessiner les corps au naturel, sans les sexualiser. C’est tellement touchant, doux et tendre. J’ai été touché par sa candeur, son empathie. J’ai savouré cette collaboration qui m’a beaucoup touché.
Pour le coup, c’est un autre dessinateur très touchant auquel vous faites la part belle pour l’ouverture de votre galerie : Renaud Dillies. Et c’est la première fois qu’il vend ses originaux.
Notre rencontre remonte à cinq ans, lors de la parution de Saveur Coco. Je vais rarement en séances de dédicaces, mais cette fois-là, je n’ai pas pu m’en empêcher. J’avais envie de discuter avec lui… et de lui acheter une planche. Mais il ne vendait pas.
Du coup, à raison d’un ou deux mails par an, je le relançais. Jusqu’à ce que je le rencontre pour Loup à Angoulême et qu’il accepte enfin. Les étoiles se sont alignées délicatement.

© Renaud Dillies chez Dargaud
Renaud, prouve à chaque page son amour de la narration BD. C’est délicat mais pas m’as-tu-vu. Puis, son travail de lettrage est formidable. Dans Saveur Coco, chaque phylactère commençait par une couleur différente. Très frais. J’aime être surpris et ce que raconte Renaud, ce n’est pas linéaire. Je vais enfin pouvoir lui acheter une planche, je pense à une en particulier.
D’ailleurs, peut-on en savoir un peu plus sur votre collection ?
Une soixantaine de planches, dont une bonne partie se situe sans doute entre 150 et 200€. Il ne faut pas croire que toutes sont à 5000 ou 10 000€.
Le prochain artiste, ce sera Gilbert Shelton.
Je le connaissais très peu. Ses personnages sont de gros consommateurs de cannabis. Moi, je n’ai encore jamais fumé un pétard de ma vie. Donc j’étais totalement passé à côté de ses Freak Brothers. Sauf qu’ils ont un chat, Fat Freddy qui intervient dans des gags. Bien loin d’un Garfield – qui, s’il avait été humain, aurait été un pervers narcissique insupportable -, le chat des Freak Brothers est là, juste peinard, bien sympathique. J’y suis donc revenu avec des yeux neufs. Il y a une sorte de folie douce, de culture de l’absurde.

© Gilbert Shelton

© Gilbert Shelton
Les deux premières expositions seront donc placées sous le signe des animaux. Hasard ou coïncidence ?
Je ne suis pas un fan de dessin animalier. Certains sont très communs. Mais pas ceux de Renaud. Lui, c’est un dessin animalier qui ne concerne pas uniquement que les enfants, c’est pour les petits et les grands. C’est de l’ordre du conte, universel. Ces animaux sont loin d’être communs. Dans le cas de Renaud, les scènes de ses albums seraient pathétiques, voire très tristes, si aux animaux se substituaient des humains. Les animaux permettent une empathie immédiate tout en abordant le deuil, l’amitié, le racisme. Sans être moralisateur parce que les animaux permettent de se distancier.

© Régis Hautière/Renaud Dillies
Dans un autre genre, j’aime beaucoup le Canardo de Sokal. Lui, s’il filmait ses histoires avec des acteurs, ce serait des épaves, tenues par la boisson et les dangereux extrêmes. Mais le trait de Sokal rend tout ça burlesque.
Quand on est un nouveau venu dans ce monde parfois décrié des galeristes, comment se fait-on une place ? Et comment convainc-on des auteurs de vous faire confiance ?
Les auteurs se parlent entre eux. Puis, je crois qu’ils ne sont pas dupes et voient très bien si quelqu’un aime ce qu’ils font. Les galeristes fonctionnent de manière différente en fonction de leurs objectifs. Certains ont une approche purement commerciale, ils savent qui ils veulent et comment le vendre. Moi, je me suis dit que ce n’était pas parce que j’aimais que je réussirais. Le tout était de permettre le risque tout en me modérant. C’est ainsi que nous nous sommes mis d’accord sur les prix avec Renaud Dillies. Un prix qui soit cohérent. Vous savez, dans l’ombre des best-seller, il y a beaucoup d’artistes qui se vendent à moins de 1000€. Il y a moyen de se faire plaisir pour tous les portefeuilles.

© Renaud Dillies chez Dargaud
Bon, dans un futur proche, j’aimerais aussi exposer et vendre des auteurs dont les travaux se monnaient entre 5000 et 10 000€. Mais je sais aussi que je ne travaillerai pas avec certains car ils souhaitent vendre leurs originaux trop chers.
Se faire plaisir quelle que soit notre bourse, vraiment ?
Certain ! S’il y a bien un monde de collectionneurs qui font monter les prix, qu’on parle d’Astérix, de Tintin, d’originaux vendus à des sommes records et qui sont autant de placements et investissements; il ne faut pas comparer un kilo de sucre et un kilo de sel. Je pense que tout est affaire de choix et que si quelqu’un veut se composer un portfolio ou décorer un mur chez lui avec quelque chose d’original, au-delà des vedettes, il n’y a rien d’impossible. Une oeuvre, on la choisit d’abord pour soi, pour l’émotion qu’elle procure. Ça doit être le moteur. Pour quelques centaines d’€ déjà, on peut s’offrir quelque chose qui nous séduit. Après, peut-être vous faudra-t-il choisir entre faire l’impasse sur une semaine de vacances à 500€ et une oeuvre qui vous fera plaisir et rayonnera dans une de vos pièces au quotidien.

© Kokor aussi à découvrir sur le site de Comic Art Factory
C’est dommage que les médias s’attachent tant aux records. Une collection se monte dans la durée. Moi, je ne me sens pas l’âme d’un gestionnaire financier ou d’une Madame Irma, je ne suis pas là pour rassurer le financier inquiet. Mon intérêt est dans le sens et l’émotion, et si elle peut être procurée à prix démocratique, c’est encore mieux. Regardez ce que fait une Nais Quin qui a publié Ramona, une histoire d’amour entre ados loin des clichés habituels, chez Vraoum. Vous pourrez repartir avec un original A4 au crayon, d’une grande maîtrise, pour 200 ou 250€. C’est raisonnable, tout en restant conscient que, oui, ça représente un demi-loyer.
Comme les tractations se passent-elles alors entre le galeriste et l’auteur ?
Il y a plusieurs cas de figure.
Celui qui n’a pas attaché à l’original et ne le considère que comme une étape. Il fixe le prix qu’il veut en obtenir ou le confie au galeriste qui en tire le prix qu’il estime. Soit par dépôt-vente ou alors le galeriste achète la planche à l’auteur et fixe un prix idéal pour ne pas être perdant.
Il y a l’auteur qui change d’avis un mois après vous avoir dit non. Il considère ses planches comme ses bébés, il y a une valeur sentimentale. Alors, c’est au galeriste de le convaincre, de lui expliquer pourquoi il a envie de collaborer avec lui et comment il compte les mettre en valeur. Ça passe si les deux parties sont à l’aise.
Enfin, il y a l’auteur qui est incapable de se séparer de son oeuvre, qui la considère comme personnelle et représentative d’un moment de leur vie.
Dans votre cas, avez-vous appris le métier de galeriste ?
Je considère ça comme une extension de mon amour pour la BD. Au fond, j’ai toujours travaillé en rapport avec le secteur culturel, en radio, comme journaliste ou comme animateur de centre culturel. Mais, cette fois, c’est vraiment la première fois que la culture représente un métier. Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais passé une semaine sans lire de BD. Encore aujourd’hui, je lis pas mal de comics via Comixology.
Pour être galeriste, je pense qu’il faut de la rigueur et de la transparence. Si je vais chez un auteur et que j’en repars avec 50, 60 voire 70 planches, comme je suis jeune dans le métier, je dois mettre tout en oeuvre pour qu’il me fasse confiance, de manière spontanée. Il faut aussi être soigneux. Vous le dites, je suis très jeune en tant que professionnel dans le milieu mais j’ai de l’expérience en tant que passionné de bandes dessinées. Je me souviens de rencontres lors de ventes aux enchères. Je repérais tout de suite les marchands, ils n’ont qu’une seule et unique question à la bouche : « L’artiste dont vous parlez est-il mort ou vivant? ». En réponse, il y avait un silence embarrassé auquel le marchand répondait systématiquement : « C’est beaucoup plus facile de travailler avec des morts ». Je suis contre cette logique, le mieux qu’on puisse faire est de permettre à l’artiste de bénéficier de la vente de leurs oeuvres de leur vivant.

Puis, quand il est trop tard, c’est vrai qu’il arrive que certains séduisent toujours plus le public et les acheteurs. Les grands anciens comme on les appelle. De tout temps, certains se sont approprié des choses de manière… disons… particulières. Après, chacun a sa conscience pour lui. Je ne suis pas là pour juger mes collègues. Ce qui est clair, c’est que je préfère collaborer et si je fais de l’expo-vente, j’aime que le visiteur lambda entre dans la galerie, intrigué par les cases mises en vitrine dont il ne connaît pas forcément l’auteur. Ça me donne l’opportunité de lui expliquer. Et s’il a le temps, une heure, je l’inviterai volontiers à s’asseoir dans le canapé et je lui passerai quelques albums.
Votre coup de coeur, actuellement ?
En ce moment, c’est un artiste que je redécouvre alors que je n’étais pas forcément branché sur les récits de guerre qu’il a pu concevoir : Joe Kubert. J’ai été bluffé par certaines planches que j’ai vues aux USA, par son découpage. Pour moi, c’est du même niveau que Will Eisner, une leçon de narration dans la manière dont il travaille les visages, les corps, le cadrage. Regarder son western, Firehair, c’est une claque. Il avait compris son médium et les choses que seule la BD permettait de réaliser. Depuis, je remonte le temps à la recherche d’histoires publiées dans des comics des années 70’s et qui n’ont jamais été republiées.
Les prochaines expositions ?
Pour juin, je prépare une exposition collective sur l’heroïc fantasy. Il y aura Cédric Fernandez (Les forêts d’Opale), Thibaud de Rochebrune (Michel Ange, La geste des chevaliers dragons)…
Et, à la rentrée, la galerie se mettra aux couleurs de Ninn du duo Darlot-Pirlet chez Kennes.
De chouettes moments en perspectives. Merci Frédéric et longue vie à la Comic Art Factory.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site de Comic Art Factory ou sa page Facebook. L’expo-vente de Renaud Dillies est à voir jusqu’au samedi 6 mai au n°237 de la Chaussée de Wavre à Bruxelles.
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